Les Vilmorin et Édouard André
Stéphanie de Courtois
Représentative de l’ancrage toujours plus profond du monde des plantes dans de larges couches de la société, l’amitié entre Henry de Vilmorin et Édouard André dont nous ne savons situer les prémices s’incarna de nombreuses façons, dont un ouvrage et un jardin. Cette amitié se prolongera dans leurs familles élargies, que ce soient chez le frère ou le fils d’Henry, (Maurice 1849-1918) et Philippe de Vilmorin (1872-1917), ou bien chez René André (1867-1911), le fils d’Édouard André, lui aussi paysagiste .
Des deux hommes presque contemporains, c’est à Édouard André qu’il reviendra en 1899 de prononcer l’éloge funèbre de son ami, évoquant leur commune implication dans de nombreuses sociétés savantes et professionnelles : « C’est là surtout que j’ai cimenté avec lui une amitié qui restera pour moi la source de charmants souvenirs et me laisse des regrets profonds » .
Une passion commune pour les richesses du monde végétal
Paysagiste, Édouard André a une formation d’horticulteur et n’a cessé de mener des essais, d’acclimater des plantes. Il entretient des liens étroits avec des horticulteurs, marchands et collectionneurs en France et dans toute l’Europe. Dans son Traité de la composition des parcs et jardins de 1879, il donne de nombreuses listes de végétaux intéressants à planter, dont le Noyer de Vilmorin et le Filaria de Vilmorin, preuve qu’il connaît les productions et découvertes de son ami. Le même traité cite à deux reprises – et comme l’une des rares sources disponibles en français – les « Fleurs de pleine terre de MM. Vilmorin et Andrieux » dans sa troisième édition, aussi bien comme référence sur la floriculture de plein air et les dessins des parterres que pour les plantes indigènes : « Il suffit, pour utiliser les matériaux que nous prodigue la nature, de connaître et aimer les plantes indigènes. Un grand nombre, énumérées et décrites dans l’excellent livre de MM. Vilmorin et Andrieux, sont déjà cultivées ». Il faut souligner cette mention de l’amour porté aux plantes, tant les deux hommes vivent leur métier comme une vraie passion à partager et, d’autre part, cet intérêt pour les plantes indigènes. Après une époque d’exotisme échevelé, les horticulteurs ont très vite mené des recherches, modifiant progressivement le goût des jardiniers.
Le souci de la diffusion et de la construction de la profession
Dès ses débuts professionnels, André participe aux réunions de la Société nationale d’horticulture dont Henry de Vilmorin est le premier vice-président. C’est dans cet effort permanent d’identification, de classification et de création de nouveaux végétaux qu’ils se retrouvent. Les réunions bimensuelles de la Société nationale d’agriculture représentent une autre occasion. Lorsqu’André y est élu en 1892, Henry de Vilmorin est vice-secrétaire. Au sein de la Société, Édouard André est assez actif, notamment dans la promotion de certains végétaux dont il souligne le caractère utilitaire. Il propose même, à plusieurs reprises, des graines ou végétaux pour que d’autres complètent les expériences. Ultérieurement, il travaillera en 1903 avec Maurice Louis de Vilmorin à la « remise en état des collections dendrologiques d’Harcourt », domaine de la société que les trois hommes inventorient et complètent par des dons.
C’est enfin par la fréquente référence à des végétaux créés ou commercialisés par la maison Vilmorin qu’Édouard André, à travers ses nombreux éditoriaux, brèves ou articles dans la Revue horticole, montre qu’il suit et apprécie le travail de son ami et collègue.
Les plantes au service de la composition des jardins
Comme paysagiste, Édouard André a favorisé un travail étroit avec les pépiniéristes, pour s’assurer le succès de ses chantiers et le renouvellement de son inspiration.
Un aboutissement de leur amitié professionnelle et personnelle fut la quatrième édition des Fleurs de pleine terre en 1894. Henry de Vilmorin, lorsqu’il le présente à la Société d’agriculture, souligne que « l’ouvrage a passablement grossi depuis la troisième édition. Il y a été fait de nombreuses additions et, entre autres, celle d’un chapitre sur le tracé et l’ornementation des parcs et jardins, dû à la collaboration de notre confrère, M. Édouard André » . Comme il l’indique, « nous n’avons pas cru pouvoir mieux faire, pour un travail aussi spécial, que d’avoir recours au savant et habile architecte paysagiste M. Édouard André, qui a voulu se charger non seulement du texte composant ce chapitre, mais aussi des plans et dessins qui s’y rattachent. »
C’est la première fois qu’un ouvrage purement horticole s’ouvre à l’art des jardins. Édouard André précise son rôle dans l’ouvrage : « la partie culturale et la partie scientifique ayant été traitées de main de maître, j’ai eu à considérer l’emploi des plantes d’ornement dans les parcs, les jardins paysagers, les parterres, à donner les moyens de réaliser des tableaux pittoresques par la création de jardins alpins, en un mot à développer le point de vue artistique qui tend à s’épurer et à s’affirmer de plus en plus parmi les amateurs de jardins et les fervents de la vie à la campagne » . Un des sociétaires, M. Chatin, peut donc estimer que « la nouvelle publication de M. Vilmorin fera date dans l’histoire du jardin et du paysage ».
Des échanges dans des jardins
Henry de Vilmorin a enrichi les collections de sa propriété de Verrières de nombreuses plantes rapportées de ses voyages. Cependant, une collection ne dessine pas forcément un jardin et c’est probablement pourquoi il fait appel en 1892 à Édouard André pour aménager une partie du parc en jardin alpin et pour créer un intéressant circuit d’eau et des enrochements.
Si c’est d’Henry de Vilmorin qu’Édouard André était le plus proche, il a également noué des liens avec d’autres membres de la famille, notamment Maurice de Vilmorin avec qui il échange plants ou graines, gravures ou photographies et qui fait appel à lui pour la propriété des Barres, à Nogent-sur-Vernisson. Une partie du parc est alors devenue la propriété de l’administration qui constitue progressivement les collections d’arbres, mais Maurice de Vilmorin, héritier de la partie Est du domaine, dessine un parc autour d’un nouveau château, construit en 1894, et se consacre à une collection systématique d’arbustes ou fruticetum. Édouard André est alors sollicité pour proposer un plan, sans que la réalité de son intervention soit connue car le document n’est ni daté ni légendé. Nous rejoignons Thierry Genevet qui a effectué des recherches pour dire que l’on peut imaginer qu’il a au moins conseillé son ami Maurice de Vilmorin . Édouard André en présente en tout cas le catalogue à la Société d’agriculture, « premier catalogue des arbustes existants en 1904 dans la collection des Barres près de Nogent-sur-Vernisson », préparé avec l’aide de Désiré Bois .
Une amitié de trente ans
Maurice de Vilmorin est aussi membre de la Société nationale d’agriculture, président de la Société botanique de France et de l’Académie d’agriculture, vice-président de la Société nationale d’horticulture. Édouard André a donc de fréquentes occasions de le rencontrer. Édouard André entretient aussi des contacts avec Philippe de Vilmorin, le fils d’Henry, qui succède à son père à la tête de la maison familiale en 1899. Les sujets qu’ils abordent ensemble sont variés, comme en témoigne une lettre adressée à Édouard André : « Je m’excuse de ne pas vous avoir encore remercié de votre aimable et heureuse intervention auprès de M. de Candolle. Si vous le voyez lors de votre séjour en Suisse, je vous serais bien reconnaissant de lui transmettre l’hommage de ma gratitude. À votre retour, voulez-vous venir à Verrières ? Nous reparlerons de la question du jardin alpin qui, comme je vous l’ai dit, est loin de la perfection » .
Ainsi, pendant plus de trente ans, les deux familles auront contribué, par leurs échanges, à la meilleure diffusion des formidables avancées dans le domaine végétal.