Versailles et les rhododendrons
Pierre Lemattre
Après la Révolution et le règne de Napoléon, l’Europe connaît une longue période de calme propice au développement dans tous les domaines : arts, sciences, industrie, agriculture… En particulier les travaux scientifiques et leurs applications vont permettre la naissance de l’agriculture moderne. C’est également le moment où l’horticulture va découvrir la diversité du monde végétal grâce aux nombreuses expéditions scientifiques botaniques, publiques et privées, mais aussi grâce aux innombrables échanges d’informations et de plantes favorisés et organisés par les sociétés d’horticulture, locales et nationale, dont on ne dira jamais assez le rôle.
Toutes les couches de la population vont pouvoir s’intéresser à l’horticulture, il n’y a qu’à voir la liste d'adhérents aux sociétés d'horticulture et lire les comptes-rendus pour réaliser à quel point ces sociétés vont servir de relais, de canal de diffusion des idées, des techniques et des végétaux nouveaux. Placées successivement sous le patronage du Roi, de l’Empereur ou de l’Impératrice, puis du Président de la République, ces sociétés vont attirer hauts fonctionnaires, scientifiques, botanistes, médecins, propriétaires, jardiniers et simples amateurs.
C’est également l’époque où vont être créés les grands établissements horticoles comme Veitch, Lemoine, van Houtte… pour ne citer que ceux là et d’autres moins connus, qui jouerons un rôle important dans le développement de l’horticulture. A cette période où les contraintes économiques étaient moins sévères que maintenant, la caractéristique principale des établissements était leur non spécialisation, tous les végétaux, ligneux, herbacés, rustiques ou non, les intéressaient et il n’est pas surprenant de voir que beaucoup d’entreprises horticoles de la région de Versailles sont à l’origine de beaucoup de nouveautés de Rhododendron.
Le rhododendron à la cour
Fils du botaniste André Michaux, François Michaux né à Versailles en 1770, va se consacrer à l’étude de la flore de l’Amérique du Nord et va en 1803, période de calme relatif, introduire au Museum Rhododendron catawbiense et Rh. calendulaceum. Etant donné l’ancienneté des relations entre le Jardin des Plantes et la pépinière de Trianon, il est plus que probable que ces Rhododendrons vont y être cultivés.
C’est en effet à Charles Briot, Jardinier Chef de Trianon, que l’on doit la mise en culture et la diffusion dans la région de Versailles de ces deux plantes. Par ses relations personnelles et son activité au sein de la toute nouvelle Société d’Horticulture de Seine et Oise, Briot va être le relai indispensable pour assurer la transmission des nouvelles espèces et hybrides auprès des horticulteurs. Esprit curieux et jardinier habile, Charles Briot va sélectionner parmi les plantes issues de semis, après fécondation libre, plusieurs Rhododendrons issus de Rh. catawbiense ‘Palmyre Bertin’, ‘Madame Truffault’, ‘Madame Questel’ pour ne citer que ceux-là et un Marronnier à fleurs roses et doubles, que l’on nommera ‘Briotii’ en son honneur. Il devrait être possible de retrouver quelques exemplaires de ces obtentions dans les collections de la Pépinière de Trianon, mais les plans de plantation ont été perdus.
De remarquables créations
Parmi les horticulteurs établis à Versailles seuls quelques uns ont obtenu des nouveautés de Rhododendrons dignes d’intérêt. Le premier est un dénommé Duval, sur lequel nous n’avons pas beaucoup de renseignements, qui met au commerce en 1836 un hybride de Rh. arboreum X Rh. ponticum dénommé ‘Zelie Remilly’. Puis vers 1850, d’autres hybrides de Rh. catawbiense vont suivre : ‘Madame Vauchel’ et ’Elisa de Saint Marceau’. Pierre Bertin est incontestablement le plus important et le mieux connu. En 1830 il reprend l’établissement horticole de Lahaye et commence aussitôt hybridations et semis de presque toutes les espèces qu’il cultive. Un compte rendu de la visite de son établissement faite en 1848 par la Société d’Horticulture de Seine et Oise, publié dans ses « Mémoires », fait état de plus de 10 000 semis de Rhododendron.
Parmi les plus remarquables citons :
Rh. X arboreum ‘Madame Bertin’, rouge vif, 1835
Rh. X catawbiense ‘Charles Truffault’, rosé foncé sur rose pale, 1844
Rh. catawbiense X ponticum ‘Madame Masson’, blanc pur, 1849 (toujours en culture)
‘Annick Bricogne’, mauve, 1860
‘Madme Cochet’, rose mauve, 1860 ?
De Bertin à Moser
Pour illustrer la diversité de ses activités, Bertin est également l’obtenteur d’un hybride de Begonia bolivensis X B. veitchii, auquel on a donné le nom de Begonia X bertini. En 1872, Pierre Bertin cède son établissement à Jean-Jacques Moser. Abandonnant la production de plantes de serres, il va orienter progressivement l’établissement vers la pépinière et développer de façon considérable l’activité de création variétale.
En quelques années, vont être proposées au commerce plus de 350 cultivars nouveaux de rhododendrons et d’azalées, parmi les plus remarquables :
‘Comtesse de Roquette Buisson’ et ’Albert Moser’ en 1840
‘Madame Moser’ (le premier à fleurs doubles) en 1893
‘René Moser’ et ‘Baronne Edmond de Rothschild’ en 1898
‘Bijou’ en 1900.
Mais l’activité créatrice concerne également une liste impressionnante d’espèces, à titre d’exemple :
Hypericum X moserianum
Ceanothus X ‘Albert Moser’
Clematis X ‘Nelly Moser’
Aucuba japonica ‘Leucocarpa’
Pinus sylvestris ‘Lemairei’…
Les pépinières Moser sont également l’éditeur de beaucoup de nouveautés, en particulier de Aesculus X carnea ‘Briotii’.
Au début du XXe siècle, l’établissement est repris par les enfants de Jean-Jacques Moser, qui poursuivent l’activité créatrice et la liste des nouveautés de rhododendrons continue à s’allonger :
‘Madame Auguste Pellerin’
‘Madame Ida Rubinstein’
‘Clémentine Lemaire’
‘Pierre Moser’
‘Moser’s Maroon’ ….
Au cours du XXe siècle avec la fermeture progressive des établissements horticoles, la création variétale s’arrête à Versailles ; mais ‘Moser’s Maroon’ est utilisé comme géniteur par des obtenteurs Anglo-saxons, l’histoire des rhododendrons versaillais continue.