Un virus de la tomate émergent en France : le Tomato Brown Rugose Fruit Virus (ToBRFV)
La tomate est, après la pomme de terre, le légume le plus consommé dans le monde. En France, on en mange annuellement environ 20 kg par habitant. Cependant, sa production est limitée par de nombreuses maladies pour lesquelles les sélectionneurs recherchent des sources de résistance dans les espèces sauvages apparentées à l’espèce cultivée. Un virus émergent, pouvant causer jusqu’à 100 % de pertes, vient d’être détecté pour la première fois en France : le Tomato Brown Rugose Fruit Virus (ToBRFV).
Identifié pour la première fois en Israël en 2014, puis en Jordanie, dans les cultures de tomate, le Tomato Brown Rugose Fruit Virus (ToBRFV) a été officiellement signalé depuis 2018 dans différentes parties du monde : au Mexique et aux États-Unis, puis en Europe (Allemagne, Italie, Royaume-Uni, Grèce, Pays-Bas, Espagne) et en Asie (Chine). En février 2020, sa présence a été confirmée en France dans une serre de Bretagne.
Manifestations de la maladie
Les fruits présentent une maturation irrégulière se traduisant par des taches jaunes ou brunes, des déformations et parfois des symptômes de rugosité caractéristiques, rendant les fruits non commercialisables. Des symptômes similaires ont également été observés sur des piments et des poivrons au Mexique. Selon les descriptions, l’incidence de la maladie dans les zones touchées varie de 10 à 100 % de fruits atteints, se traduisant par des pertes de rendement pour les professionnels. Tous les acteurs de la filière (semenciers, pépiniéristes, producteurs et aussi particuliers) et toutes les conduites culturales sont concernés par cette maladie : cultures sous-abri, plein champ, hors-sol, pleine terre, bio, raisonnée, conventionnelle.
Un virus virulent et pas de traitement ni de résistance
Ce virus infecte toutes les variétés de tomates testées jusqu’à présent, y compris les hybrides porteurs de gènes de résistance à d’autres tobamovirus, genre auquel appartient le ToBRFV. Il peut également infecter d’autres espèces de la famille des Solanacées comme le piment, le poivron, les pétunias ou la morelle noire. Même si peu de références bibliographiques sont aujourd’hui disponibles en raison de son émergence récente, le ToBRFV est proche d’autres espèces virales du même genre et qui ont largement été étudiées (Tobacco Mosaic Virus (TMV), Tomato Mosaic Virus (ToMV)).
Ainsi, le génome du ToBRFV correspondant à un ARN simple brin de 6,4 kb de longueur a été séquencé et montre environ 15 à 18 % de divergence par rapport à celui du ToMV. Les tobamovirus sont dotés d’une grande stabilité puisqu’ils peuvent survivre plusieurs mois à plusieurs années sur des supports inertes sans perdre leur pouvoir infectieux, en particulier sur les structures de serre, les palettes, les systèmes d’irrigation ou le sol. Une plante infectée le restera toute sa vie et le virus est présent dans tous les organes, aériens (feuille, tige, fruit, semence…) comme racinaires. Le mode de dissémination, particulièrement efficace, peut être assuré par les semences, les plants et les fruits infectés susceptibles de véhiculer le virus sur de longues distances, notamment lors des échanges commerciaux.
Dans une zone de production, la propagation du virus s’effectue par un contact direct entre plantes, par les mains et tous les supports inertes ou biologiques ayant été en contact avec une plante infectée : outils de travail, vêtements, insectes pollinisateurs, oiseaux, eau d’irrigation… Aucun traitement ni aucune variété résistante n’existent aujourd’hui contre le ToBRFV. De surcroît, il peut infecter des plantes possédant une résistance au ToMV et causer des dommages très similaires à ceux causés par le ToMV. Toutes ces caractéristiques biologiques et épidémiologiques le rendent particulièrement redoutable et doivent encourager à la plus grande vigilance et à l’application de méthodes de lutte adaptées.
Quelles méthodes de lutte contre ToBRFV?
La lutte repose principalement sur la mise en place et le respect de mesures prophylactiques visant à empêcher le virus de pénétrer dans les zones de production avec, en particulier, une vérification de l’origine du matériel végétal, une limitation des accès, une désinfection des mains et du matériel.
La prophylaxie repose également sur la sensibilisation et la communication auprès de l’ensemble de la filière, jardiniers amateurs compris. En cas de contamination avérée, une éradication précoce est préconisée par la destruction et l’incinération du matériel végétal suivie d’une désinfection avec vide sanitaire de la zone infectée. Seule cette mesure drastique est considérée comme étant efficace pour éliminer un foyer d’infection et éviter une propagation de la maladie dans des zones voisines ou à l’échelle d’un bassin de production.
Afin de répondre à cette émergence, une décision réglementaire européenne datée de novembre 2019 établit des mesures d’urgence destinées à éviter l’introduction et la propagation du ToBRFV pour les semences et les plants. Un plan de surveillance nationale a été mis en place par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation début 2020 afin de signaler rapidement la présence du virus. Au niveau régional, une cellule de veille est activée depuis le printemps 2019 en Région Paca, une des principales régions productrices de tomate, afin d’apporter des réponses pratiques aux professionnels, notamment en matière de prophylaxie. Depuis la déclaration du foyer en Bretagne, les autres régions ont également mis en place des cellules de veille sur cette maladie.
La recherche mobilisée
À ce jour, les programmes de recherche sont principalement orientés vers la mise au point de tests de détection et vers la sélection de variétés résistantes. La connaissance du génome du ToBRFV a permis l’élaboration de tests de détection ciblant, par PCR, des séquences spécifiques de ce génome. Les programmes de génétique, lancés dès la découverte du virus en 2014 et visant à apporter des solutions durables par l’obtention de tomates résistantes, ont conduit à tester un grand nombre d’accessions. Il semblerait que des sources de tolérance soient identifiées. Plusieurs années étant nécessaires avant d’obtenir des variétés commerciales, une vigilance de tous les instants doit être maintenue par une filière habituée à être confrontée à de nombreuses autres maladies émergentes, récurrentes ou permanentes (Tuta absoluta, Pepino mosaic virus, Clavibacter michiganensis, Botrytis cinerea, Oïdium
neolycopersici, cladosporiose, mildiou…).
Éric Verdin
Inrae, UR pathologie végétale, Avignon
Mathilde Causse
Inrae, UR génétique et amélioration des fruits et légumes, Avignon (membre correspondante de l’Académie d’Agriculture)
POUR EN SAVOIR PLUS
Consulter le rapport de l’Anses, https://www.anses.fr/fr/system/
files/SANTVEG2019SA0080Ra.pdf
J. O. Oladokun, M. H. Halabi, P. Barua and P. D. Nath (2019) Tomato Brown Rugose Fruit Disease: Current Distribution, Knowledge and Future Prospects. Plant Pathology 2019:68;1579-1586 Doi: 10.1111/ppa.13096
Cet article a été reproduit avec l’aimable autorisation de l’Académie d’Agriculture de France et des auteurs. Retrouvez l’article initial en suivant le lien: https://www.academie-agriculture.fr/
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