Un jardinier multicartes à Chantilly
Jean-François Coffin
« Quand on arrive à Chantilly, c’est comme rencontrer une jolie femme dont on tombe de suite amoureux », explique Thierry Basset jardinier en chef du Château depuis 2007. Thierry doit son recrutement à la palette de compétences nécessaires pour gérer un tel domaine et acquises par son expérience : fils d’agriculteur, formation forestière et en Jardins et espaces verts, gestionnaire de domaine, entrepreneur en paysage, directeur d’exploitation dans une société spécialisée dans la gestion de patrimoine arboré,…
Un patrimoine à protéger
Chantilly est réputée pour son château, appartenant à l’Institut de France et recélant une riche collection d’œuvres d’art, notamment en peintures. Mais c’est aussi un immense domaine de 280 ha comprenant plusieurs parties : un « petit parc » de 115 ha comprenant un jardin à la Française avec les parterres « Le Nôtre », un jardin à l’Anglaise, le jardin anglo-chinois (« Le Hameau »), des salles de verdure. A cela s’ajoutent 165 ha comprenant le « Parc de Sylvie » et les abords du domaine. L’ensemble est géré par la « Fondation pour la sauvegarde et le Développement du Domaine de Chantilly (2)». En dehors du parc, une forêt giboyeuse de 6 800 ha et près de 2 000 ha de terres agricoles sont gérés par l’Institut de France.
Et chaque partie exige une gestion particulière avec des ruses pour tenir compte des contraintes budgétaires.
« Le patrimoine boisé n’est pas figé. L’existant doit être entretenu mais il faut aussi redécouvrir et restaurer les parties qui ont disparu », explique Thierry Basset. C’est le cas des « salles de verdure » datant notamment du XVIIe siècle dont il reste des traces comme les charmes qui ont repoussé sur les souches des charmilles de l’époque, ou des allées qu’il faut reconstituer.
Il s’agit aussi d’assurer une véritable gestion forestière : éliminer les arbres malades ou sans intérêt paysager ou forestier, replanter en tenant compte du long terme. L’objectif est de favoriser la régénération naturelle et d’enrichir les zones que le temps a mal traitées par des plantations d’enrichissement. « J’ai pris le parti de cinq ou six essences différentes dans chaque « station » car il faut envisager aujourd’hui les risques de maladies ». Le revenu forestier est à prendre en compte, comme la valorisation des grumes, le bois de chauffage, qui permettent de dégager un petit budget pour des achats de fournitures. Les branches sont valorisées sous forme de plaquettes laissées dans les peuplements ou utilisées pour les mulchs.
L’eau sous toutes ses formes
L’eau est omniprésente avec le grand canal, la rivière Nonnette, la cascade, les jets d’eau et tout ce qui permet de faire fonctionner le système comme le curage des bassins, l’entretien et la réfection des canalisations. « En attendant un budget pour leur restauration, nous avons dû trouver des idées pour éviter l’effondrement des fragiles bordures en pierre du bord de l’eau. Nous avons maintenu une bordure végétale pour protéger l’accès du bord par le grand public et permettre aux adventices de sceller les pierres », explique Thierry Basset. Tout cela dans le respect de l’environnement : la zone est classée Natura 2000, avec une rivière de 1e catégorie et donc obligation de connaître la loi sur l’eau !
Arcanes administratives
« A Chantilly, j’ai découvert le monde des parcs historiques. Je connaissais auparavant la gestion des jardins mais pas la rigueur des Monuments historiques et leur conservatisme ». Si Thierry Basset reconnait avoir une grande autonomie, il n’en reste pas moins sous la dépendance de plusieurs structures de tutelles. Il doit respecter ces contraintes tout en conciliant la gestion du domaine avec un projet de dynamisation économique et la rentabilité. « Par exemple, explique-t-il, un projet de restauration doit faire l’objet d’autorisations allant de 12 à 24 mois. A cela s’ajoute la mise en place d’un appel d’offres, ce qui fait une lourdeur et des délais très longs ! »
Animer une équipe
Une équipe de 11 jardiniers accueille Thierry à son arrivée. Aujourd’hui, ils sont 14. « Les employés n’étaient pas alors spécialisés dans la maintenance d’un jardin avec ses différentes composantes allant de la plomberie à la plantation, en passant par la tonte ou la gestion des stocks de produits ». Mais ils sont motivés par l’amour du domaine. « Chacun s’approprie son travail. Cet amour compense les défaillances techniques par l’envie de bien faire ». Thierry accueille aussi un chantier d’insertion de 20 personnes comprenant des chômeurs de longue durée et des jeunes en abandon de scolarité. « C’est un plus dans mon métier de permettre à des gens de se réinsérer dans le travail. C’est toute la noblesse de mon poste de jardinier en chef à Chantilly ». Et d’accorder aussi de l’importance à la formation interne.
Du privé au public
A l’époque, un parc de château était conçu pour la jouissance de son propriétaire et de ses connaissances privilégiées. Chantilly est aujourd’hui un domaine privé ouvert au public. Et accueillir le grand public dans un jardin historique n’est pas une sinécure car entraîne des contraintes supplémentaires. « Nous devons décider des choix car on n’a pas d’argent pour tout faire au cordeau et il n’est pas facile de réaliser des travaux en s’adaptant au XXIe siècle sans détruire les traces de l’histoire ! »
Pour rester dans ce domaine de l’environnement, un berger a été appelé pour « l’éco-pâturage », ce qui permet d’affecter le personnel à d’autres tâches comme l’entretien des broderies. Mais une grande partie est laissée au fleurissement naturel, « pour ne pas aller contre nature ». Et Thierry a d’autres projets comme le tri sélectif des déchets générés par les visiteurs ou la mise en place de ruchers pour une production de miel signée Chantilly.
Un rêve contemporain
Thierry caresse un rêve : aménager une partie contemporaine dans le parc. « Ce serait formidable. Ce n’est pas trahir l’histoire que d’installer des œuvres contemporaines. C’est aussi une continuité de l’esprit du duc d’Aumale à l’origine de la renaissance du domaine au XIXe siècle ».
Mais comment franchir les barrières administratives, philosophiques et financières ? « Le parc ne doit pas être qu’un musée. Il doit évoluer avec son temps. J’aimerais voir des familles avec des plaids et leurs sandwichs sur l’herbe du jardin anglais ».
Cette évolution est vitale pour attirer les visiteurs. De nombreux projets sont en cours tel le transfert des « Journées des plantes de Courson (3) » à Chantilly, une occasion de transformer ce côté figé et historique vers un aspect vivant et contemporain.
« Si demain on veut faire vivre nos parcs, il faut continuer dans ce sens. Et un jardin, ça se partage ! »
Le rêve, pour Thierry, d’une visite virtuelle
« J’aimerais proposer une visite virtuelle pour les personnes à mobilité réduite, installées dans une pièce, à partir d’une tablette, pour accéder là où elles ne peuvent pas voyager dans le parc. Aujourd’hui, on peut avoir le visuel, le son mais pas encore le parfum. Le jour où l’on pourra apporter les odeurs lors de la visite virtuelle, on pourra créer quelque chose de formidable ! »
(1) Les puristes parlent plutôt de « jardin classique » ou « jardins français » plutôt que « jardin à la française » et de « jardin anglais » ou « jardin pittoresque » plutôt que « jardin à l’anglaise ».
(2) « Créée en 2005 par Son Altesse l’Aga Khan, la Fondation pour la sauvegarde et le Développement du Domaine de Chantilly a obtenu la responsabilité de préserver et de promouvoir le site historique, pour le compte et en coordination avec l’Institut de France jusqu’en 2025. Le Domaine de Chantilly a été légué à l’Institut de France en 1884 par le testament du duc d’Aumale. » http://www.domainedechantilly.com/fr/fondation/