Truffes et autres champignons comestibles ectomycorhiziens
Claude Murat
Truffes, cèpes ou chanterelles seront-elles plus présentes dans nos assiettes à des prix accessibles ? Cela semble possible au travers des travaux de nos chercheurs. La plupart des champignons à fort intérêt gastronomique sont des espèces mycorhiziennes s’associant avec de nombreux arbres. Une meilleure connaissance de leur symbiose ectomycorhizienne devrait permettre de mieux maîtriser leur culture. Si de nombreux travaux ont déjà été réalisés dans ce sens, plusieurs projets de recherche sont en cours au sein de l’Inra. A commencer par le séquençage des génomes.
Les truffes, des champignons ectomycorhiziens
Parmi les premières mycorhizes décrites par Frank (1885), certaines appartenaient à la truffe de Bourgogne (Tuber aestivum). Il fut donc le premier scientifique a mettre en évidence l’existence d’un organe mixte racine / champignon (correspondant aux vocables grecs « myco » et « rhiza ») et à en suggérer son rôle fonctionnel. En fait, Frank, physiologiste végétal et forestier, a entrepris ses recherches à la demande du Service Forestier de la Prusse, afin de trouver un moyen d’augmenter la production de truffes dans le royaume. Il a observé que les vraies truffes (T. aestivum) et les fausses (Elaphomyces sp.) ne se développaient qu’en étroite relation avec certains arbres (hêtres, charmes, chênes). Il en a conclu que « certaines essences forestières, en particuliers les Cupulifères, ne se nourrissaient pas dans le sol de manière indépendante, mais établissaient une symbiose avec un mycélium fongique qui affectait l’intégrité du système racinaire ; ce mycélium avait une fonction nourricière et assurait l’alimentation de l’arbre, à partir du sol » (Frank, 1885).
Du chêne à l'orchidée
Maintenant nous en savons beaucoup plus sur les truffes et leurs relations avec les arbres. Elles appartiennent au large embranchement des ascomycètes et au genre Tuber dont le nombre d’espèces a été estimé à 180 dans le monde. Elles sont présentes dans tout l’hémisphère nord et plusieurs études ont suggéré que le genre Tuber remonterait au Jurassic (~180 millions d’années). Comme déjà évoqué précédemment, les truffes vivent en association avec les arbres comme les chênes, tilleuls, charmes, saules, noisetiers, peupliers, pins et cèdres. Les truffes n’ont donc pas une association spécifique avec une essence particulière. Il est intéressant de noter qu’elles ont aussi été retrouvées au niveau des racines d’orchidées ! Etant donné l’intérêt gastronomique et économique de certaines espèces de truffes comme la Truffe noire du Périgord (T. melanosporum), la Truffe Blanche du Piémont (T. magnatum) et la Truffe de Bourgogne (T. aestivum) l’idée d’utiliser l’interaction entre ces champignons et les arbres pour les produire en conditions contrôlés n’est pas nouvelle. Mais fallait-il encore être capable d’associer les deux partenaires pour obtenir des plants mycorhizés.
Tuber Magnatum - © C. Murat.
L'inoculation maîtrisée
Dés le début du XXe siècle Mattirolo a étudié les mycorhizes de truffes, mais il faudra ensuite attendre 1962 pour que des chercheurs italiens de l’Institut de recherches sur les plantes ligneuses de Turin (Fassi et De Vecchi) décrivent pour la première fois avec exactitude les mycorhizes de l’espèce T. maculatum et réalisent surtout les premières synthèses mycorhiziennes en confrontant le partenaire fongique à la plante. Quelques années plus tard, Palenzona (1969) décrivit les mycorhizes de trois truffes comestibles : T. melanosporum, T. brumale et T. aestivum. Dans les années 70, les premiers plants mycorhizés en pépinière avec T. melanosporum sont enfin obtenus (Chevalier et Grente, 1979). Ce protocole mis au point par des chercheurs de l’INRA a conduit à la réalisation d’une licence d’exploitation pour la production de plants mycorhizés avec la truffe du Périgord et la truffe de Bourgogne. Celle-ci fut tout d’abord signée avec la pépinière Agritruffe puis, depuis la fin des années 90, cette licence s’est étendue aux pépinières Robin. En France, une vingtaine d’autres pépiniéristes produisent aussi des plants inoculés avec ces deux espèces de truffes qui sont contrôlés par le CTIFL. Les essences d’arbres utilisées sont actuellement principalement des chênes verts et des chênes pubescents. Mais des plants de noisetier, charme, tilleul, pin et cèdre sont aussi commercialisés. Actuellement plus de 200 000 plants inoculés avec les truffes sont vendus par an en France. Les progrès dans l’inoculation des plants, associés aux améliorations des techniques culturales et aux avancées de la recherche, ont permis de stabiliser la production de truffes. Ainsi, actuellement en France, plus de 80% de cette production provient de plantations. Les pépiniéristes en association avec les laboratoires de recherches continuent à développer de nouveaux protocoles comme le prouve la mise en place récente d’une nouvelle licence entre l’INRA et la pépinières Robin pour la production de plants de chêne pubescent, mycorhizés avec la truffe blanche T. magnatum.
Il n'y a pas que les truffes
Les truffes ne sont pas les seuls champignons ectomycorhizens comestibles. En effet, d’excellents champignons comestibles comme l’amanite des Césars (ou Oronge), les cèpes, certains lactaires ou les chanterelles sont aussi des espèces ectomycorhiziennes. Pour quelques rares espèces, en particulier, Lactarius deliciosus, Lactarius sanguifluus et Suillus luteus, des plants mycorhizés sont commercialisés et produits sous licence INRA par les pépinières Robin. En revanche, d’autres espèces sont encore récalcitrantes à la production en pépinière. C’est le cas, par exemple, de Tricholoma matsutake, Boletus aestivalis et Boletus edulis pour lesquels il n’existe pas encore de protocole permettant la production de plants inoculés à grande échelle. De même, au cours des années 90, Danell avait significativement avancé sur la maîtrise de la culture contrôlée de la Chanterelle (Danell, 1997), mais ces travaux n’ont jamais pu conduire à une production d’envergure commerciale. Dans le monde des champignons ectomycorhiziens, il n’existe que peu d’associations spécifiques entre une espèce d’arbre et une espèce de champignon. Par contre, certaines espèces expriment malgré tout une préférence d’hôtes ou ont des exigences écologiques en terme de caractéristiques de sol ou de climat, par exemple. C’est pourquoi certains champignons sont plus souvent retrouvés en association avec des essences particulières, comme la trompette des morts (Craterellus cornucopioides) sous Fagacées (hêtres, charmes, chênes, châtaigniers) et rarement sur sol acide ou Boletus pinophilus, l’une des quatre espèces de Cèpes au sens stricte, qui, comme l’indique son nom, se trouve majoritairement sous pins. Pour ces espèces comestibles, mais revêches à la mycorhization contrôlée, le concept de « mycosylviculture » a ouvert une voie alternative pour la production de ces champignons comestibles, par une sylviculture orientée. En effet, la production naturelle de champignons comestibles peut représenter une ressource économique annuelle moyenne importante, et même supérieure, dans certains cas, à celle du bois. Ainsi, la notion de mycosylviculture a récemment évolué, en particulier dans les pays du sud ouest de l'Europe, et plus particulièrement à travers un programme de coopération européenne associant divers organismes et scientifiques, projet appelé «Micosylva». Les modes de gestion portent ainsi l’accent sur la sélection des essences, le type de station, mais aussi l’intensité de l’ouverture des peuplements forestiers (Buée et al. 2005).
Tous les champignons que l’on récolte en forêt ne sont pas mycorhiziens. Les champignons sont des organismes hétérotrophes, ils ont donc dû, au cours de l’évolution, développer différentes stratégies pour se procurer du carbone. Ils peuvent être saprotrophytes, endophytes, parasites ou symbiotiques. En forêt il y a donc aussi de nombreux champignons saprotrophes et parasites. Certaines de ces espèces peuvent être comestibles comme les Coulemelles (Macrolepiota procera), les agarics à soupe (Kuehneromyces mutabilis) et les pieds bleu (Lepista nuda).
Kuehneromyces mutabilis (à gauche) et Macrolepiota crocera (à droite) - © M. Buée.
Ce dernier fait aussi parti des rares champignons saprotrophes cultivés et commercialisés, comme la pleurote (Pleurotus ostreatus), le champignon de Paris (Agaricus bisporus) et le shiitake (Lentinules edodes). A titre d’exemple, en 1997, ces deux dernières espèces représentaient une production de 1 984 640 tonnes et 1 550 500 tonnes respectivement (Bao, 2004). Enfin, certains champignons parasites, en particulier pour les arbres, sont aussi comestibles, mais ne présentent pas un grand intérêt gastronomique, comme la langue de bœuf (Fistulina hepatica), le polypore en ombelle (Dendropolyporus umbellatus) ou le polypore soufré (Laetiporus sulphureus)…
L'avenir du séquençage
La plupart des champignons à fort intérêt gastronomique sont donc des espèces mycorhiziennes s’associant avec de nombreux arbres. Leur association symbiotique fait de ces champignons des acteurs majeurs des écosystèmes forestiers. Toutefois cela rend beaucoup plus difficile leur culture. Afin de mieux comprendre la symbiose ectomycorhizienne et ainsi en favoriser les applications, notre unité de recherche développe plusieurs projets de recherches sur les mécanismes permettant l’établissement de la symbiose, son maintien, son fonctionnement mais aussi son évolution. Pour cela nous sommes fortement impliqués dans les projets de séquençage des génomes d’espèces ectomycorhiziennes comme le projet « Mycorrhiza 25 Genome ». On peut raisonnablement penser que dans le futur, et grâce à l’investissement de l’INRA mais aussi des pépiniéristes, le nombre d’espèces de champignons comestibles qui pourront être produits en conditions plus ou moins contrôlées augmentera.
Bibliographie
Bao E (2004) Wild edible fungi: a global overview of their use and importance to people. FAO, Rome
Buée M., J-P Maurice, B. Marçais, J-L Dupouey, J. Garbaye et F. Le Tacon. 2005. Effet des interventions sylvicoles sur les champignons sylvestres. Forêt-entreprise 164 :26-32.
Chevalier G. & Grente J., 1979. Application pratique de la symbiose ectomycorhizienne : production à grande échelle de plants mycorhizés par la truffe. Mushr. Sci. 10 (2), 483-505.
Danell E (1997) Les progrès dans la maîtrise de la culture de la chanterelle, Cantharellus cibarius. Rev For Fr XLIX:214–221
Fassi B., De Vecchi E., 1962. Ricerche sulle micorrize ectotrofiche del Pino strobo in vivaio. I. Descrizione di alcune forme più diffuse in Piemonte. Allionia, 8, 133-152
Frank, B., 1885. Über die auf Wurzelsymbiose beruhende Ernährung gewisser Baume durch unterirdische Pilze. Berichte der Deutschen Botanischen Gesellschaft, Berlin, v. 3, 128-145.
Palenzona M., 1969. Sintesi micorrizica tra Tuber aestivum Vitt., Tuber brumale Vitt., Tuber melanosporum Vitt. e semenzali di Coryllus avelana. Allionia, 15, 121-131