Reproduction sexuée et multiplication végétative
L’implantation d’une nouvelle culture peut se faire soit à partir de graines par semis direct, comme pour le haricot, le pois, le radis ou la carotte, ou par des plants eux-mêmes issus de graines comme la laitue ou la tomate, soit à partir de différents organes par multiplication végétative. Faisons le point sur la reproduction sexuée et la multiplication végétative.
Aspect génétique
Les variétés ou cultivars les plus couramment utilisés en horticulture sont des lignées, des hybrides, des populations ou des clones. Soit une plante diploïde qui possède ainsi chaque chromosome en deux exemplaires et donc qui a deux allèles à chaque locus. Si les deux allèles sont identiques à un locus donné, la plante est dite homozygote à ce locus ; si tous les locus sont homozygotes, la plante est homozygote pour l’ensemble de son génome. Par autofécondation (grains de pollen et ovules issus de la même plante), elle donne des graines puis des plantes qui ont le même génome que la plante mère. La descendance est homogène, constituée d’individus homozygotes et identiques à la plante mère. Certaines espèces supportent bien l’homozygotie, qui résulte de la consanguinité, et les plantes sont vigoureuses et fertiles. C’est le cas de la laitue, du pois ou du haricot. Les variétés cultivées sont des lignées, ou lignées pures.
Le croisement entre elles de deux lignées pures différentes donne une descendance homogène constituée d’individus hétérozygotes. Ces variétés dites hybrides F1 donnent une descendance hétérogène. L’hétérozygotie de certains locus peut donner une meilleure valeur agronomique : vigueur hybride pour le rendement, précocité ou moindre sensibilité aux variations de conditions de culture. Cette structure hétérozygote sous forme d’hybride F1 permet également de cumuler plus facilement des gènes dominants comme certaines résistances aux maladies. Certaines espèces peuvent être cultivées à l’état homozygote sous forme de lignées mais aussi sous forme d’hybrides F1 : tomate, piment, aubergine, melon, concombre, courges ou pastèque.
D’autres espèces présentent au contraire une forte diminution de la fertilité ou de la vigueur suite à une trop forte consanguinité, c’est-à dire lorsque de nombreux gènes sont à l’état homozygote. Les lignées pures de ces espèces sont incultivables. Les variétés cultivées traditionnelles sont alors des populations constituées d’individus hétérozygotes et ces variétés sont légèrement hétérogènes : betterave, épinard, oignon, poireau, chou, radis, carotte.
Si les lignées sont trop peu vigoureuses pour être cultivées, les hybrides entre lignées éloignées présentent le phénomène de vigueur hybride et sont plus homogènes que les populations. De nombreuses variétés hybrides sont aujourd’hui disponibles pour les espèces citées précédemment.
La production de semences hybrides de variétés commerciales suppose que l’on dispose d’une bonne méthode pour éviter l’autofécondation du parent femelle. Lorsque le rendement en graines de la pollinisation d’une fleur est très élevé (plusieurs dizaines ou centaines de graines), on peut pratiquer des castrations et pollinisations manuelles, ce qui est le cas chez les solanacées ou les cucurbitacées. En revanche dans les autres cas (d’une à quelques graines par fleur pollinisée), il faut disposer de stérilité-mâle ou de système d’auto-incompatibilité efficaces : radis, carotte, oignon, chou, chicorée. La multiplication végétative conserve le génome de la plantemère quelle que soit sa structure génétique c’est-à-dire son degré d’homo/hétérozygotie. La variété est un clone.
Différents organes sont utilisés : stolons de fraisier, cayeux d’ail, tubercule de pomme de terre, greffons d’arbres fruitiers ou de vigne, boutures racinées du framboisier, groseillier, mûrier, bulbilles foliaires comme chez certains Kalanchoe (Bryophyllum), bulbes de tulipe, narcisse ou glaïeul, rhizomes d’iris. Les variétés-clones sont généralement très hétérozygotes et leur descendance par graines, comme les semis d’arbres fruitiers, donnent des populations très hétérogènes, pour une large part incultivables.
Il faut signaler un cas intermédiaire entre la reproduction par graine et la multiplication végétative : les graines apomictiques représentent le génome de la plante mère sans participation du parent mâle (1*). On peut dire qu’il s’agit d’une multiplication végétative par graine !
Graines ou multiplication végétative ? Avantages et limites
Dans les conditions naturelles, sans intervention humaine, la multiplication végétative par marcottage est assez fréquente comme pour le fraisier (stolons), le lierre, les mûres (Rubus), certains arbres par des branches touchant terre (tilleul). Dans la pratique horticole, outre le marcottage, le bouturage, le greffage, les bulbes, les tubercules et les rhizomes permettent de conserver à l’identique une variété clonale. On utilise le terme de « semences » pour les cayeux d’ail ou les tubercules de pomme de terre. De très anciennes variétés de pommiers ou de poiriers restent aujourd’hui toujours disponibles. L’une des limites de la multiplication végétative demeure la propagation de maladies, en particulier des virus.
Des schémas de sélection sanitaire sont mis en place, aux niveaux français et européen, pour éviter la contamination des jeunes plants et garantir des plants sains chez la plupart des espèces économiquement importantes telles la pomme de terre, le fraisier, l’ail, les arbres fruitiers. La multiplication végétative est obligatoire pour les espèces qui ne produisent pas de fleurs ou de graines comme l’ail ou la pomme de terre.
Pour quelques rares espèces, on dispose de variétés issues soit de graines, soit de multiplication végétative, notamment pour l’artichaut (2*). Les graines, en état de vie ralentie, peuvent généralement se conserver assez longtemps dans de bonnes conditions de température et d’humidité. On peut donc choisir facilement les dates de semis. Celui-ci est une étape assez délicate.
Les conditions de température et d’humidité du substrat ou du sol favorables à la germination doivent être respectées. Même si peu de maladies sont transmises par la graine, il faut cependant être très attentif à l’état sanitaire des porte-graines : Lettuce mosaic virus de la laitue, Pea seed borne mosaic virus du pois, Tomato mosaic virus ou chancre bactérien (Clavibacter michiganensis) de la tomate.
Enfin, des parasites et des prédateurs peuvent venir détruire un semis : oiseaux, escargots et limaces, fontes de semis. Ces risques peuvent conduire le jardinier à opter pour l’achat de plants en motte.
Michel Pitrat
Directeur de recherche honoraire, Inrae Avignon
(1) Savidan Y. L’apomixie : un mode de reproduction plus courant qu’il n’y paraît. Jardins de France. Déc 2018;652:60-63 https://www.jardinsdefrance.org/ lapomixie-un-mode-reproduction-plus-courant-quil-ny-parait/
(2) Plagès JN. Multiplication de l’artichaut : bouturage ou semis ? Jardins de France. Déc 2020;660:66-68 https://www.jardinsdefrance.org/multiplication-de-lartichaut-bouturage-ou-semis/
GLOSSAIRE
Le terme gène est ambigu car il peut désigner aussi bien un locus qu’un allèle. Un locus désigne une position physique sur un chromosome, comme au milieu du bras court du chromosome 3. Un allèle désigne la séquence d’ADN qui se trouve à un locus donné. Ainsi chez la tomate, suivant l’allèle présent au locus B sur le chromosome 6, les fruits seront orange ou rouges ; chez le melon, suivant l’allèle présent au locus Vat sur le chromosome 5, les plantes seront sensibles ou résistantes au puceron Aphis gossypii. Lorsque l’on dit que deux gènes sont liés, ce sont donc les locus qui sont liés (proches sur le même chromosome) mais s’agissant du phénotype (ce que l’on voit ou constate), c’est l’allèle qui détermine la couleur du fruit ou la résistance. Une plante mâle-stérile ne produit pas de pollen fonctionnel. Une plante auto-incompatible produit du pollen qui est capable de fertiliser une plante d’un autre génotype mais pas la plante dont il est issu.