Réintégrer l’arbre fruitier au coeur des villes : Un potentiel sous-estimé
L’arbre fruitier en milieu urbain, pour rare qu’il soit, a pourtant beaucoup à offrir aux citadins. Avec un tel potentiel éducatif, culturel, climatique, nutritif, etc., ses vertus sont légion. Tour d’horizon du verger de demain ?
L’arbre fruitier en ville
Les arbres fruitiers (poiriers, cerisiers…) sont plus présents en ville qu’on ne l’imagine, mais ce sont souvent des variétés sélectionnées pour leurs qualités ornementales et leur capacité à fleurir abondamment, même en hiver, sans faire de fruits. De plus en plus, les collectivités prennent conscience des bénéfices que les arbres peuvent apporter, au-delà du seul attrait paysager. Ces bénéfices sont relatifs à une meilleure gestion des périodes caniculaires, à l’absorption des polluants atmosphériques, au stockage du carbone, à la restauration des sols dégradés mais aussi à une production alimentaire de proximité.
Un lien historique avec la ville à revaloriser
Autrefois, l’intérêt de combiner l’aspect paysager et l’aspect productif était évident. Ainsi, les arbres étaient plantés en ville pour leur bois, leurs fruits, la soie, la boisson, la farine, l’huile… C’est par exemple le cas de Séville et de ses bigaradiers, ou de Tokyo et de ses kakis. À l’ère de l’hyperspécialisation, la fonction productive des arbres en ville s’est perdue. La fonction ornementale prédomine. Ainsi, le platane représente 70 à 80 % des arbres urbains en France alors qu’à surface équivalente, le châtaignier produit autant de farine que le blé.
Vers une agroforesterie urbaine
L’agroforesterie urbaine est une discipline à redévelopper. Elle peut prendre différentes formes, investir différents lieux : les arbres d’alignement, les haies, des vergers ou des jardins-forêts. Les forêts jardinées constituent une des formes les plus anciennes d’agriculture, qui consistait à cultiver la forêt pour y implanter les végétaux les plus utiles, en remplaçant chaque élément par son équivalent comestible, en multipliant et en récoltant régulièrement les plantes les plus intéressantes. Au sein d’une forêt-jardin, chaque rayon lumineux est exploité, pour alimenter les différentes strates, de la canopée, à celle des champignons. En ville, ces strates sont démultipliées si on permet au vivant d’investir les constructions (les façades, les toits…), comme il pourrait le faire dans des milieux escarpés, constitués de falaises, de roches ou d’éboulis.
Un mouvement citoyen pour relancer l’arboriculture fruitière
L’arboriculture fruitière professionnelle est en déclin en périphérie urbaine. En Ile-de-France, 60 % des arboriculteurs périurbains ont disparu entre 1988 et 2000 et les surfaces de vergers ont diminué de 25 % entre 2000 et 2010. La plupart des jeunes qui s’installent choisissent le maraîchage plutôt que l’arboriculture, dont le retour sur investissement n’est pas immédiat. En revanche, l’arbre fruitier s’installe au cœur des villes, d’abord sous forme de vergers partagés isolés au sein d’espaces verts, mais aussi au sein d’écosystèmes végétaux denses, ou encore comme partie intégrante des espaces publics. L’arbre fruitier constitue un des meilleurs outils pour transformer le regard des citadins sur l’environnement urbain et susciter une réappropriation de la ville par le plus grand nombre. Il est parfois un prétexte, ou un vecteur, pour questionner sur la nature en ville, l’alimentation, ou le rôle des communs. Avec une très faible emprise au sol, il présente un fort impact à la fois sur l’espace (le cadre de vie), sur l’écosystème, sur la santé (production saine et locale) et sur les liens sociaux. Plus que tout autre arbre, l’arbre fruitier est générateur d’interactions entre les citadins. Il provoque des moments de convivialité lors des plantations, des récoltes, de la cuisine. Il permet de sensibiliser les habitants à la question d’une alimentation saine et locale ou encore de leur apprendre diverses techniques horticoles telles que la taille ou la greffe fruitière.
Le potentiel des formes fruitières jardinées
Le choix des formes fruitières se fait en fonction des contextes et du degré d’implication des personnes concernées, qui seront amenées à en prendre soin. Du fait des contraintes urbaines spécifiques, les formes fruitières jardinées sont considérées comme les plus adaptées pour amener l’arboriculture au coeur des villes. En effet, l’exigüité des espaces ne permet pas le développement d’arbres fruitiers de plein vent et la faible épaisseur de substrat ne permet pas de planter des arbres de grand développement. Il faut toutefois noter que les cultures fruitières sont moins contraintes par la pollution des sols que les cultures maraîchères ou aromatiques. Les polluants se concentrent principalement dans les troncs, les racines, ou les feuilles et atteignent plus difficilement les fruits. Les arbres fruitiers palissés ont ainsi la capacité à investir les espaces urbains résiduels, les « entre-deux ». Le jardinier peut adapter la forme de l’arbre pour rendre son architecture vivante, l’intégrer au plus près des façades, sur les balcons, les terrasses, les toits. Plus qu’une confrontation antagoniste entre espaces cultivés et espaces bâtis, il s’agit d’une interaction créative et productive, une réconciliation ville-nature. Les arbres fruitiers palissés ont la capacité de s’intégrer contre les murs (exemple des murs à pêches). Ils peuvent également s’intégrer au sein de micro-écosystèmes « comestibles », en bacs ou en pleine terre, prenant alors la forme de forêts fruitières dont la forme peut s’adapter à l’espace disponible. Elle peut être colonnaire lorsque l’espace est restreint, pour combiner production et esthétique. Les formes en cordon pourront délimiter des cheminements sans créer trop d’ombrage. Les formes jardinées font partie à la fois du patrimoine architectural et du patrimoine paysager. Elles sont le symbole d’une coévolution entre production agricole et ville. Elles contribuent au retour d’une arboriculture de proximité et au renforcement des liens entre ville et agriculture.
Sébastien Goelzer
Coordinateur de Vergers Urbains