Ravageurs des plantes : Adapter son jardin au changement climatique

Inégalé par son ampleur et sa rapidité, le dérèglement climatique entraîne des conséquences visibles dans les jardins. En témoigne le comportement de la flore et des insectes, indicateurs biologiques de ce changement global. Des espèces jusque-là cantonnées en serre se développent en plein air et des organismes migrateurs ou d’origine exotique s’acclimatent en France. Face à cette situation, quels sont les risques pour les cultures et les solutions disponibles ?

Toutes les mesures favorables à la biodiversité végétale et animale améliorent la résilience des jardins face au changement climatique, comme ici au Jardin de Caradec, à Saint-Nolff © J. Jullien
Toutes les mesures favorables à la biodiversité végétale et animale améliorent la résilience des jardins face au changement climatique, comme ici au Jardin de Caradec, à Saint-Nolff © J. Jullien

Tendances d’évolution du climat

Rythme des saisons perturbé avec des hivers moins froids qui privent de repos végétatif les espèces qui le requièrent, printemps précoces, floraisons hâtives exposées à des gelées dévastatrices, périodes de chaleur et de sécheresse marquées durant l’été, salinisation des sols littoraux, automnes souvent peu arrosés mais localement soumis à des orages intenses, demeurent parmi les effets notables du changement climatique constatés durant la dernière décennie.

Selon le ministère de la Transition écologique, le réchauffement de la température moyenne mondiale de l’air à la surface des terres est très net, notamment depuis les années 1980. La décennie 2010-2019 a été plus chaude de 0,19 °C que la décennie 2000-2009. Les cinq dernières années sont les cinq plus chaudes observées depuis 1850. Ainsi, depuis la fin du XIXe siècle, la température moyenne mondiale a augmenté de presque 1 °C (moyenne décennale 2010-2019 de 0,97 °C).

À leur échelle, les jardiniers peuvent témoigner de ce phénomène traduisant une évolution qui va bien au-delà des seuls problèmes de sécheresse estivale. Déjà, les cultures sensibles accusent des stress physiologiques et des ravageurs opportunistes les colonisent, tandis que d’autres altèrent la vitalité des végétaux par leurs dégâts directs.

Les insectes ravageurs en expansion

1 : Les altises des crucifères pullulent sur les plantes potagères sensibles lors des périodes chaudes et sèches. Ici, forte attaque d’un chou de Milan. © J. Jullien
1 : Les altises des crucifères pullulent sur les plantes potagères sensibles lors des périodes chaudes et sèches. Ici, forte attaque d’un chou de Milan. © J. Jullien
2 : Le nombre de générations annuelles des mouches phytophages augmente avec le réchauffement climatique. La drosophile asiatique des fruits est l’une des plus redoutables sur de nombreux petits fruits, comme ici dans une cerise. © J. Jullien
2 : Le nombre de générations annuelles des mouches phytophages augmente avec le réchauffement climatique. La drosophile asiatique des fruits est l’une des plus redoutables sur de nombreux petits fruits, comme ici dans une cerise. © J. Jullien

La pression des insectes phytophages, observée depuis une quinzaine d’années dans notre pays, de façon accentuée depuis 2015, au sein des jardins, espaces végétalisés et infrastructures (JEVI), provient partiellement du dérèglement climatique. Une autre raison est la mondialisation des échanges, favorable aux ravageurs émergents dans l’Union européenne (pyrale du buis Cydalima perspectalis, punaise diabolique Halyomorpha halys…), dont certains sont réglementés de quarantaine (cochenille des racines Ripersiella hibisci, scarabée japonais Popillia japonica, longicorne à col rouge Aromia bungii…).

Depuis le début des années 2010, on remarque des émergences plus précoces dès la fin de l’hiver ou le début du printemps, une augmentation du nombre de générations annuelles et des niveaux de population chez plusieurs espèces, ainsi que des attaques plus fréquentes et/ou plus intenses. Certaines sont même fulgurantes, comme celles des altises des crucifères par temps chaud et ensoleillé. Ces petits insectes sauteurs perforent les feuilles de la capucine, du chou, du cresson, du navet, du radis, du raifort, de la roquette et du rutabaga. En cas de pullulation précoce, dès le stade cotylédonaire, un semis peut être totalement anéanti en seulement deux jours !

On peut alors compter de 800 à 1 200 altises par mètre carré. La remontée vers le nord d’insectes méridionaux traduit également ce changement climatique. Aux phases initiales de dissémination et de colonisation, succèdent l’acclimatation et l’établissement dans de nouvelles zones géographiques.

On peut notamment citer la sédentarisation en Corse depuis 2009, et plus récemment en Provence-Alpes-Côte d’Azur, de la noctuelle méditerranéenne (Spodoptera littoralis), causant d’importantes morsures de feuilles et de fruits sur diverses plantes potagères (blette, céleri branche, courgette, laitue, tomate…) ou d’ornement. Par ailleurs, certaines mouches d’origine exotique sont détectées jusque dans le Val-de-Loire et la Région parisienne, voire le nord de la France. C’est le cas de la drosophile asiatique des fruits (Drosophila suzukii), très nuisible à partir de la véraison.

Originaire du Japon, détectée en France depuis 2009, elle s’attaque aux fruits sains encore attachés aux rameaux et peut produire jusqu’à dix générations annuelles. Ses dégâts larvaires sont favorables aux pourritures sur la cerise, la fraise, la mûre, la myrtille, la framboise, le sureau, mais aussi la pêche, l’abricot, la prune, la figue, le raisin et le kiwaï. Depuis une dizaine d’années, on note également une recrudescence des foyers d’aleurodes des serres (Trialeurodes vaporariorum) dans des cultures de plein air, même après une période de froid.

Pourtant, ces insectes piqueurs-suceurs de sève fréquentent d’ordinaire les cultures potagères (aubergine, tomate…) et ornementales (dipladénia, lantana, poinsettia…) sous abri. Toujours chez les homoptères, la survie hivernale des pucerons semble meilleure que par le passé et entraîne des infestations précoces au printemps, quelquefois associées à des viroses transmises par ces insectes. Les cicadelles, cochenilles et punaises ne sont pas en reste. On les rencontre dans les cultures dès le printemps et certaines sont vectrices de virus ou de bactéries. Leurs dégâts directs sont, à eux, seuls dommageables.

Pour clore cet inventaire, il faut citer les insectes xylophages, en particulier les scolytes, buprestes et capricornes qui creusent des galeries dans les arbres et arbustes affaiblis sur pied ou fraîchement abattus, dont quelques espèces sont capables d’infester les jeunes plantations. Outre les bois et forêts, ces coléoptères ont un fort potentiel d’infestation dans les parcs et jardins lors des périodes de sécheresse.

3 : Depuis quelques années, de nouvelles espèces de cochenilles farineuses et d’aleurodes, jusqu'alors cantonnées en serres, font leur apparition sur des végétaux cultivés en plein air. Ici, une colonie d’aleurodes sur la face inférieure d’une foliole de tomate. © J. Jullien
3 : Depuis quelques années, de nouvelles espèces de cochenilles farineuses et d’aleurodes, jusqu'alors cantonnées en serres, font leur apparition sur des végétaux cultivés en plein air. Ici, une colonie d’aleurodes sur la face inférieure d’une foliole de tomate. © J. Jullien
4 : L’humidité persistante associée à des températures plus douces en automne-hiver favorise certains micro-organismes responsables de maladies d’insectes. Ici, un champignon entomopathogène a anéanti une colonie de pucerons du pois. ©
4 : L’humidité persistante associée à des températures plus douces en automne-hiver favorise certains micro-organismes responsables de maladies d’insectes. Ici, un champignon entomopathogène a anéanti une colonie de pucerons du pois. ©

Effets positifs du réchauffement

Le changement climatique pourrait aussi avoir des effets régulateurs sur les ravageurs. En effet, l’humidité persistante associée à des températures plus douces en automne-hiver favorise certains micro-organismes responsables de maladies des insectes.

Ces entomopathogènes peuvent réduire fortement les colonies d’arthropodes en cours d’hivernation. Ainsi, le champignon Beauveria bassiana (différentes souches) parasite des chenilles hivernantes, des chrysalides de papillons, des pupes de mouches, des cicadelles ou des punaises adultes.

En été, la canicule peut entraîner des mortalités importantes d’œufs et de jeunes larves. En outre, on observe aussi avec le réchauffement global que des auxiliaires autrefois utilisés uniquement en serre pour le biocontrôle ont commencé à s’établir en extérieur.

C’est le cas notamment de la punaise Macrolophus pygmaeus, prédatrice d’aleurodes, de thrips, d’acariens, d’œufs de papillons et, dans une moindre mesure, de pucerons et de larves de mouches mineuses.

On peut donc penser que les populations de ravageurs et d’auxiliaires pourraient évoluer conjointement et se maintenir à l’équilibre dans bon nombre de situations.

Maîtriser les ravageurs

Face au changement climatique, il est indispensable de favoriser la résilience des jardins. La première mesure consiste à diversifier les espèces végétales cultivées, en privilégiant les mieux adaptées aux nouvelles contraintes pour chacune des zones bioclimatiques métropolitaines.

Plusieurs études scientifiques démontrent également l’importance majeure des zones herbeuses et fleuries (pelouses, flore spontanée, plantes florales…), haies, bosquets, bandes boisées, arbres et arbustes en formes libres, dans l’environnement des cultures pour favoriser les équilibres biologiques.

En complément, d’autres méthodes demeurent essentielles : respect des bonnes pratiques de culture (adaptation des semis et des plantations…), optimisation de l’eau d’arrosage, surveillance des végétaux sensibles, préservation des auxiliaires naturels au sens large (dont les insectes pollinisateurs et les vers de terre), piégeage des ravageurs les plus préoccupants pour raisonner les interventions, mesures prophylactiques, physiques et biologiques. Il est ainsi possible d’adapter progressivement son jardin au changement climatique.

Jérôme Jullien
Expert national en surveillance biologique du territoire, productions horticoles, jardins et espaces verts, DGAL (sous-direction de la santé et de la protection des végétaux)

POUR EN SAVOIR PLUS

 

 

 

Adapter son jardin au changement climatique : état des lieux et solutions, J. Jullien, Eyrolles et Sang de la terre, 2021, 232 p., 28 €