Quoi de neuf en photosynthèse ?
Jean-François Morot-Gaudry
La photosynthèse, processus à l’origine de la quasi-totalité de la matière organique de la planète, réunit un ensemble de réactions biophysiques et biochimiques qui permettent aux plantes, aux algues et aux bactéries contenant de la chlorophylle de synthétiser des molécules carbonées en utilisant l’énergie du soleil, le carbone du CO2 de l’air et les minéraux du sol.
De l’air, de l’eau, la vie
La photosynthèse se décline en deux phases. La première est une phase photochimique qui comprend la capture de la lumière solaire visible (du bleu au rouge 400-700 nm) par les chlorophylles des chloroplastes, ces organites intracellulaires verts de quelques micromètres qui renferment la machinerie photosynthétique. L’énergie acquise est transmise à des complexes protéines/pigments qui oxydent l’eau (H2O) en électrons e–, protons H+ et oxygène. L’oxygène est donc un résidu de la photosynthèse, qui est ainsi à l’origine d’une grande partie de l’oxygène atmosphérique. Ensuite, par une série de conversions et d’étapes complexes, des molécules énergétiques, NADPH1 et ATP2, sont formées et stockées dans les chloroplastes.
La seconde phase est une phase métabolique. Elle implique la fixation, par une enzyme (carboxylase), du carbone du dioxyde de carbone de l’air (CO2), sur un squelette carboné « récepteur »3.
Après une suite de transformations métaboliques et après avoir récupéré l’énergie de l’ATP et du NADPH, s’effectue la synthèse de composés phosphorylés simples4 à l’origine de la matière organique de la cellule : glucides, lipides, acides aminés, etc. L’énergie lumineuse initiale est donc finalement stockée dans les liaisons chimiques des molécules organiques élaborées à l’origine de toute la matière organique de la planète (Figure 1).
L’équation globale, schématisée en termes moléculaires, de la photosynthèse est la suivante :
6 CO2 + 6 H2O => Composé organique en C6 + 6 O2.
1 Nicotinamide Adénine Dinucléotide Phosphate réduit.
2 Adénosine triphosphate.
3 Un sucre en C5 : le ribulose bisphosphate ou RuBP.
4 Cycle de Calvin, prix Nobel en 1961.
Élévation de la teneur en oxygène dans l’atmosphère et apparition de la photorespiration
La concentration en oxygène libéré par l’activité photosynthétique des cyanobactéries et des eucaryotes s’est accrue au cours des périodes géologiques pour atteindre 20 % de la composition de l’atmosphère. Cette concentration est devenue un handicap sérieux pour les espèces photosynthétiques. En effet, il s’est avéré que la carboxylase (Ribulose-1,5-bisphosphate carboxylase) est capable de fixer aussi bien le carbone du CO2 que l’oxygène O2. En conséquence, cette enzyme sous forte tension d’oxygène manifeste des activités antagonistes de carboxylation et d’oxygénation, d’où le nom de ribulose bisphosphate carboxylase/oxygénase, en abrégé Rubisco. Dans les conditions environnementales nouvelles qu’elle a engendrées, la Rubisco brûle donc inéluctablement une partie de ce qu’elle fabrique, c’est le phénomène de photorespiration, émission de CO2 à la lumière qui s’accompagne d’une perte de biomasse non négligeable. Ce phénomène est d’autant plus important que la température et l’éclairement sont élevés.
La Rubisco, qui contrôle une fonction biologique, ne s’est pas adaptée aux nouvelles conditions d’environnement en privilégiant son activité carboxylase. Ce sont les organismes photosynthétiques qui ont élaboré des systèmes ingénieux pour concentrer le CO2 autour de la Rubisco, reconstituant ainsi les conditions primitives de l’atmosphère très favorables à l’activité carboxylase de cette enzyme.
Adaptations des plantes à l’élévation de la teneur en oxygène dans l’atmosphère
Certaines plantes supérieures, maïs, sorgho (photosynthèse de type C4), ont développé un mécanisme efficace de concentration du CO2 dans deux tissus entourant les vaisseaux conducteurs : le mésophylle, le plus externe, et la gaine périvasculaire, le plus interne. Le mésophylle contient des PEPcarboxylases5 qui fixent efficacement le bicarbonate (HCO3–) sur un composé à trois carbones, et à l’origine d’acides à 4 carbones (par exemple l’acide malique). Ces composés, après décarboxylation, libèrent du CO2 qui s’accumule dans l’environnement proche de la Rubisco, favorisant son activité carboxylase6.
Les plantes dépourvues de ces mécanismes (photosynthèse de type C3) présentent une photorespiration (émission de CO2 à la lumière) inéluctable. Elles ont développé un cycle de métabolisation du produit issu de la photorespiration, le 2P-glycolate. Ce mécanisme, appelé cycle photorespiratoire ou cycle de Tolbert, limite en partie les pertes de carbone photosynthétique mais également la productivité en climat chaud et ensoleillé (voir plus haut).
5 PEP : Phosphoénolpyruvate
6 Revue de l’Académie d’agriculture de janvier 2017.
Nouvelles stratégies de recherche
Si, jusqu’à présent, les connaissances acquises sur les mécanismes photosynthétiques n’ont pas permis d’augmenter significativement les performances d’assimilation du carbone par les plantes, les avancées récentes dans la biologie des systèmes, la génomique et la biologie de synthèse7 permettent d’envisager à terme des optimisations contrôlées des processus photosynthétiques.
Récemment, l’introduction par transgénèse dans A. thaliana de voies bactériennes efficaces de recyclage du 2P-glycolate a permis de limiter significativement les pertes par photorespiration et d’augmenter la productivité. La modification par génie génétique de certaines carboxylases, pour en accroître les performances, a abouti à la création de « nouvelles carboxylases artificielles ». Celles-ci, accompagnées des enzymes associées, replacées dans des milieux biologiques simples, ont montré des activités cinq à vingt fois supérieures à celles observées dans les chaînes métaboliques « naturelles ». Enfin des recherches financées par les fondations américaines prévoient de transformer le riz, plante C3, en plante C4 qui serait plus productive dans les régions chaudes et bien ensoleillées. Il faut cependant souligner que ces améliorations potentielles n’ont pas encore été soumises à l’épreuve du temps à l’échelle des écosystèmes.
On ignore aujourd’hui si ces travaux prometteurs se révéleront profitables et seront susceptibles d’une application agricole et industrielle à grande échelle. L’objectif étant d’assurer l’alimentation des hommes, tout en respectant l’environnement et en évitant les changements brusques et incontrôlés du climat. Rappelons que les fortes tensions de CO2 augmentent l’activité carboxylase de la Rubisco, favorisant ainsi les plantes C3, les rendant presque aussi efficaces que les plantes C4. Toutefois l’augmentation globale de la teneur en CO2 de l’atmosphère peut engendrer aussi des phénomènes imprévisibles (excès ou manque d’eau) pouvant réduire la production de biomasse.
7 Biologie de synthèse : ingénierie de composants et systèmes biologiques qui n’existent pas dans la nature.