Le potager de Jean-Marc Muller : trente ans sans pesticide
Jean-François Coffin
« L’infestation la plus facile à traiter est celle que l’on a évitée », explique Jean-Marc Muller. Voici quelques conseils qu’il nous propose et qu’il met lui-même en pratique.
« Avant tout, il faut connaître sa terre. » Constituée d’un sol limono sableux dans une ancienne zone maraîchère, la terre de son potager se réchauffe et se refroidit rapidement et se lessive vite. « Quand on connait ces éléments, on choisit les végétaux adaptés à la situation. »
Si, par manque de temps, il utilise parfois la fraise pour travailler le sol, il ne le fait qu’en dernier recours. Il culpabilise un peu car cette technique perturbe la vie du sol où vivent de nombreux micro-organismes, petits insectes et animaux utiles.
Couvrir son sol
Un principe de base : ne jamais laisser un sol nu qui sera propice à la pousse des mauvaises herbes et favorisera l’érosion. Soit on le cultive avec une culture « intermédiaire », soit on le paille.
Jean-Marc utilise beaucoup la phacélie qu’il enfouit ensuite comme engrais vert. Cette plante a l’avantage de pousser rapidement, d’étouffer les mauvaises herbes et d’être très mellifère.
En matière de paillage, il pratique la « méthode du tapis ». Il récupère de vieux tapis qu’il dispose sur les surfaces nues à protéger avant la prochaine culture. Ce matériau est plus efficace que le paillage avec un plastique car il laisse passer l’eau et l’air mais pas la lumière favorable aux mauvaises herbes. « Le sol reste vivant, son activité est même développée, comme celle des vers de terre ou des carabes, coléoptères prédateurs de nombreux ravageurs du jardin. »
Choisir des plantes résistantes
Le bon sens guidera vers le choix de plantes poussant bien dans la région, des variétés locales. Comme certains jardiniers, Jean-Marc est adepte de variétés anciennes, même si elles ne sont pas forcement les plus résistantes. La sélection a fait des progrès et, outre une recherche vers des légumes ayant davantage de goût, les avancées vont dans le sens de légumes plus résistants aux agresseurs sans pour autant être « OGM ». Jean-Marc ne s’en prive pas (tomates, haricots, carottes, …) même s’il a un petit faible pour les légumes « perpétuels » très résistants qu’il cultive plus par curiosité et passion (livèche et variétés « perpétuelles » d’oseille, d’épinard, de topinambour, de rhubarbe, de fenouil, …)
Accueillir les auxiliaires
Un jardin sain est un jardin avec un milieu équilibré notamment par sa biodiversité, animale et végétale. Et il faut la respecter, voire la favoriser. « Je n’ai jamais de pucerons car j’ai des refuges à coccinelles, notamment les buissons d’orties que je laisse au niveau des haies », rappelant qu’en cas d’attaque, on peut utiliser une macération de mélisse.
L’accueil des auxiliaires est important même si les oiseaux font un peu le travail de désinsectisation : syrphes, hérissons, orvets, crapauds, grenouilles et même lézards verts sont les compagnons jardiniers de Jean-Marc qui n’hésite pas à leur offrir des gites comme des tas de feuilles pour le hérisson. Il n’a pas de doryphores sur ses pommes de terre, phénomène qu’il ne s’explique pas. S’il avait à lutter, ce serait manuellement en les « cueillant » sur les feuilles, voire en utilisant le Bacillus thuringiensis autorisé en agriculture biologique.
Dérouter les ravageurs
La prévention commence par les techniques culturales, comme l’élaboration d’un plan de rotation. Une même culture ne doit pas se succéder à elle-même d’une année sur l’autre. La rotation limite l’épuisement du sol, certains légumes l’enrichissant comme les haricots apportant de l’azote. La différence de profondeur des racines d’un végétal à l’autre permet de capter la nourriture dans des couches différentes. Certaines maladies comme le mildiou restant dans le sol, il faudra qu’une espèce peu sensible à cette maladie succède à une très sensible comme la tomate.
Intercaler des rangs de végétaux différents est aussi une technique, ce qui évite la transmission des parasites spécifiques à chaque culture. « Chez les prédateurs, tout marche à l’olfactif », explique Jean-Marc. Par exemple, les parasites auront vite fait de repérer tout un carré de poireaux ou de carottes du fait de leur concentration. Jean-Marc plante donc deux rangs sur deux rangs de chaque espèce ou de variétés différentes, soulignant que leur dispersion fait perdre du temps aux ravageurs. Il associe la carotte à l’oignon qui trouble le ravageur. Il intercale aussi des rangs de fleurs entre les légumes : tournesol, cosmos, … « Elles attirent les pollinisateurs, les auxiliaires et certaines éloignent même des ravageurs comme les œillets d’Inde contre les nématodes. »
Utiliser des barrières naturelles
Les barrières physiques sont efficaces. Jean-Marc dispose des branchages sur ses petits pois, ce qui les protège des oiseaux qui n’oseront pas s’y aventurer. Il utilise des voiles anti insectes avant leur ponte. « Il faut donc connaitre le moment opportun où les installer ». Il existe un « Bulletin de santé du végétal » que l’on peut consulter sur http://agriculture.gouv.fr/bulletins-de-sante-du-vegetal dont une partie concerne l’horticulture et les légumes, avec des références par régions.
Contre les limaces, la cendre de bois est très efficace « mais à renouveler après la pluie … »
Réfléchir avant de traiter
Malgré la prévention, il se peut que des insectes ou des maladies se manifestent dans le potager. Mais faut-il aussitôt traiter dès le moindre puceron ou autre insecte nuisible ? Et se poser la question dès le départ : jusqu’à quel point tolérer les ravageurs ou maladies ? « Il ne faut pas rechercher le rendement à tout prix et accepter quelques insectes ou taches sur ses légumes dans une limite raisonnable. Si 100 % de la récolte est en danger, il est évident qu’il faut intervenir. Mais une perte seulement de 10 % est tolérable. »
Produits naturels
S’il faut intervenir, Jean-Marc reste pragmatique. Il utilise des méthodes qui semblent efficaces sans pour autant qu’elles soient prouvées scientifiquement. Si l’utilisation des œillets d’Inde contre les nématodes est admise, celle des macérations (Jean-Marc préfère ce terme au mot purin) d’orties est plus controversée. Les résultats sont aléatoires, selon le lieu ou les années, sans explications à ce phénomène. « Ne pensez pas tout résoudre avec ces macérations. Ca ne marche pas tout seul. C’est une pratique pour les jardiniers qui ont déjà une sensibilité et elle doit faire partie d’un ensemble. »
Il existe aussi des pièges jaunes gluants où vont se coller les insectes attirés par leur couleur.
Parmi les produits de lutte autorisés : la bouillie bordelaise contre le mildiou « mais ne pas en abuser car le cuivre déstabilise le sol. Un jardinier amateur ne doit pas dépasser 2 à 3 passages par an. » Le soufre est aussi permis « mais je préfère la prêle en décoction dont l’efficacité a été prouvée scientifiquement contre l’oïdium.
Peut-être un effet mécanique de sa charge en silice qui empêcherait le champignon de s’accrocher. » Parmi les insecticides biologiques, le Bt (Bacillus thuringiensis) peut être utilisé
Le bonheur dans le potager
Pour conclure, Jean-Marc est aussi heureux dans son potager car il lui offre une nourriture saine et le plaisir de la dégustation.
Et ne tenez pas compte des éventuels sarcasmes de voisins fiers de leur sol impeccable qu’ils traitent, triturent en permanence afin de ne pas laisser apparaitre la moindre herbe indésirable ou insecte. Ils ne savent pas qu’ils font la joie des ennemis de leurs jardins : les ravageurs !
A lire …
Voir dans ce dossier Jardinage écologique : un accompagnement
organisé, par F. Roubinet et le site http://www.jardiner-autrement.fr