Pollinisations contrôlées au cours de la création variétale
Michel Pitrat , Yves Lespinasse
Deux types de pollinisation contrôlée sont utilisés : l’hybridation en début de programme (et éventuellement en cours de programme) pour cumuler des gènes complémentaires et en fin de programme si la variété commerciale est un hybride ; l’autofécondation, pour aller vers l’homozygotie et obtenir des lignées fixées homogènes qui peuvent être soit des variétés commerciales, soit des parents de variétés hybrides.
Pollinisations contrôlées par l’homme
Ces pollinisations contrôlées sont généralement réalisées à la main car les pollinisateurs « naturels », eux, ne sont pas contrôlables. Pour réaliser un croisement et éviter les autofécondations il faut tout d’abord castrer les fleurs de la plante qui va servir de parent femelle, c’est-à-dire supprimer les étamines (Figure 1). Puis le pollen prélevé sur la plante servant de parent mâle est apporté sur le stigmate (Figure 2). La fleur est ensuite protégée pour éviter des apports de pollen par les pollinisateurs naturels (Figure 3). En général, une génération de croisement ne suffit pas, surtout lorsque l’un des parents initiaux est très éloigné du type variétal recherché, par exemple une forme sauvage apportant une résistance à une maladie. Il faut alors réaliser plusieurs générations de croisement et de tri (voir encadré pommier ‘Ariane’).
Ce schéma général est modulé par plusieurs facteurs, en particulier le mode de multiplication et la biologie florale.
Multiplication et type de variétés[1]
Pour les plantes à multiplication par graines, cas de la plupart des espèces légumières, des pétunias, des pensées,…, plusieurs générations d’autofécondation permettent d’obtenir des lignées homogènes.
– Si la variété commerciale est une lignée (haricot, pois, laitue…), l’obtention de quantités importantes de graines de la nouvelle variété est faite en isolement pour éviter d’éventuelles hybridations.
– Si la variété commerciale est un hybride F1 (tomate, piment, concombre, melon, chou-fleur, chicorée witloof, carotte…) il faut produire des grandes quantités de semences avec un système assurant 100 % de croisements (ou 0 % d’autofécondation). Il peut s’agir de stérilité-mâle (génique ou géno-cytoplasmique[2], chou, carotte, radis), d’auto-incompatibilité (chicorée) ou bien de castration et de pollinisation manuelles. Dans ce dernier cas le coût de la main d’œuvre est un facteur important du prix des semences. Les productions de semences commerciales sont souvent délocalisées en Chine ou en Inde (tomate, piment) !
– Si la variété commerciale est une population, l’obtention des semences commerciales est assurée par une multiplication en isolement avec des pollinisateurs naturels.
Pour les plantes à multiplication végétative (arbres fruitiers, vigne, fraisier, pomme de terre, arbustes ornementaux…), on ne réalise pratiquement jamais d’autofécondations contrôlées dans les programmes d’innovation variétale. Dès qu’une plante présente les caractéristiques recherchées elle peut être multipliée à l’identique, par bouturage, greffage etc., pour être expérimentée à plus large échelle et multipliée commercialement. La nouvelle variété est un clone.
La création de nouvelles variétés de porte-greffe concerne des plantes à multiplication végétative comme les arbres fruitiers ou la vigne mais aussi des espèces à multiplication par graines comme la tomate, l’aubergine ou le melon. Les méthodes sont identiques à l’amélioration des variétés mais les objectifs sont différents : vigueur conférée (gage de rendement), résistances aux bio-agresseurs liés au sol, compatibilité entre le porte-greffe et le greffon[3].
Des croisements fonction de la biologie florale
Chez certaines espèces s’autofécondant facilement, les croisements peuvent être très difficiles à réaliser (laitue, pois, haricot…). Inversement chez les espèces monoïques[4], les croisements sont très faciles puisqu’il n’est pas nécessaire de castrer avant d’apporter le pollen du parent mâle (courge, noisetier, noyer…) (Figure 2).
Certaines plantes s’autofécondent très difficilement. C’est le cas des espèces dioïques[5] (asperge, épinard), ou bien des espèces présentant des phénomènes d’auto-incompatibilité (chou, radis) ou de stérilité-mâle. Il est alors possible de faire des croisements frère x sœur qui permettent également d’atteindre l’homozygotie mais beaucoup plus lentement que les autofécondations successives.
Des espèces allogames présentent un fort effet d’inbreeding (oignon, carotte), c’est-à-dire de baisse de vigueur et de fertilité au cours des générations successives d’autofécondation nécessaires pour obtenir des lignées fixées.
Les variétés triploïdes sont généralement stériles et pour les reproduire par graines il faut faire des hybrides entre un parent diploïde et un parent tétraploïde.
Tenir compte du rendement en graines par fleur pour une pollinisation contrôlée réussie :
– une seule graine chez les Prunus (cerisier, pêcher, abricotier…) ou la laitue,
– quelques graines chez les Fabacées (pois, haricot), les Brassicacées (chou, radis) ou le pommier et le poirier,
– plusieurs dizaines à quelques centaines de graines chez les Cucurbitacées (melon, courges) ou les Solanacées (tomate).
Un outil de biotechnologie, l’haploïdie[6], permet d’atteindre très rapidement l’homozygotie et donc de remplacer plusieurs générations d’autofécondation. Des variétés hybrides F1 de piment, d’aubergine, de melon ont un parent (parfois deux) qui est une lignée haploïde doublée, parfaitement homozygote.
L’hybridation interspécifique : lorsqu’un caractère recherché n’existe pas dans l’espèce considérée, on peut éventuellement utiliser la variabilité des espèces voisines, sauvages ou cultivées, en réalisant des croisements interspécifiques. La culture in vitro des embryons issus du croisement est souvent nécessaire. Des problèmes de stérilité sont généralement rencontrés dans les premières générations ; pratiquement toutes les résistances aux maladies présentes dans les variétés modernes de tomate proviennent d’espèces sauvages voisines.
Exemple d’innovation variétale
L’arbre généalogique du pommier ‘Ariane’ et son mode de sélection.
La grande complexité de l’arbre généalogique de la variété ‘Ariane’ résulte de l’introgression d’un gène de résistance à la tavelure du pommier présent chez une espèce sauvage Malus floribunda 821 (en haut à gauche de l’arbre), à fruits de très petite taille ; ce gène de résistance, dénommé Vf, a été mis en évidence aux USA en 1944. Un grand nombre d’hybridations contrôlées a dû être réalisé pour obtenir des géniteurs porteurs du gène de résistance Vf et de calibre comparable aux variétés cultivées.
L’hybridation réalisée à INRA-Angers en 1979 a produit une descendance de pépins parmi lesquels la variété ‘Ariane’ a été sélectionnée – voir la spirale de sélection ci-contre. Ainsi, le mode classique de sélection a conduit à un processus qui a duré un demi-siècle pour aboutir à une variété résistante aux races communes de tavelure et de qualité appréciée par le consommateur.
Prévenir les autofécondations :
L’incompatibilité chez les plantes supérieures
Par Yvette Dattée
La majorité des espèces d’angiospermes présentent les organes reproducteurs mâle et femelle sur la même plante et dans la plupart des cas, au sein de fleurs hermaphrodites. Cette proximité des organes reproducteurs, rend élevée la probabilité d’autofécondation (fécondation d’une fleur par son propre pollen) qui aboutirait à un faible taux de variabilité génétique au sein d’une population avec pour conséquence des difficultés d’adaptation aux variations environnementales.
Il n’est donc pas étonnant qu’au cours de l’histoire des angiospermes, la pression de sélection ait permis de stabiliser des stratégies limitant l’autofécondation et favorisant les croisements entre individus génétiquement différents.
Les mécanismes qui empêchent les autofécondations sont appelés mécanismes d’auto-incompatibilité. Le pollen « soi » ou autopollen est rejeté alors que le pollen « non-soi », ou allopollen, est accepté et conduira à une descendance (De Nettancourt, 2001).
Les mécanismes peuvent être très différents. Par exemple, chez certaines primevères la fleur existe sous deux formes, l’une à styles plus courts que les étamines et inversement. La pollinisation n’aboutit que si les deux partenaires proviennent de formes différentes.
En général, il n’y a aucune différence morphologique entre les fleurs. L’auto-incompatibilité est alors contrôlée par un locus unique nommé S pour « Self-incompatibility ». Dans ce contexte, le « soi » et le « non-soi » correspondent respectivement à une identité ou une divergence pour le locus S. Ce locus renferme deux gènes génétiquement liés qui déterminent respectivement la spécificité allélique du pistil ou du pollen.
La reconnaissance de l’autopollen est basée sur une interaction entre les produits mâle et femelle du locus S qui aboutit à l’inhibition de croissance du tube pollinique.
Il est possible de distinguer auto-incompatibilité gamétophytique et sporophytique. En cas d’auto-incompatibilité gamétophytique (1), le phénotype du pollen est déterminé par son génotype haploïde (c’est-à-dire par l’allèle qu’il porte). En cas d’auto-incompatibilité sporophytique(2), le génome diploïde du parent producteur de pollen détermine le phénotype du grain de pollen. Si la plante émettrice de pollen est hétérozygote pour le locus S, le pollen exprimera deux spécificités alléliques S.
Chez les Brassicacées, le rejet se manifeste très tôt, la germination du grain de pollen est bloquée sur le stigmate. En cas d’auto-incompatibilité gamétophytique, la barrière est plus tardive. Le grain de pollen germe, mais la progression du tube pollinique est stoppée dans les tissus femelles.
Les acteurs moléculaires responsables de la spécificité de reconnaissance de l’autopollen ont été caractérisés pour tous les types d’auto-incompatibilités connus à ce jour.
A lire …
– De Nettancourt D., Incompatibility and Incongruity in Wild and Cultivated Plants, 2nd edn. Springer-Verlag, 2001 Berlin, Heidelberg.
– Fobis-Loisy I., GaudeT., Contrôle de la fécondation par des mécanismes d’auto-incompatibilité. Les coulisses de la Floraison ,2013 colloque SNHF Rennes.
(1) Solanacées (tabac, tomate sauvage…), Rosacées (rose, arbres fruitiers…), Scrofulariacées (gueule de loup…), Papavéracées (coquelicot…)
(2) Brassicacées (choux fourrager, brocoli, colza…) et Astéracées (tournesol…)
[1] Voir article de J.D Arnaud sur la multiplication des semences horticoles dans ce dossier
[2] Un caractère à contrôle géno-cytoplasmique dépend de gènes présents dans le noyau de la cellule et de gènes présents dans les organites cellulaires, en l’occurrence les mitochondries.
[3] Voir l’article sur le greffage des légumes dans la rubrique « Nos conseils pratiques »
[4] Une plante monoïque porte des fleurs femelles et des fleurs mâles séparées sur la même plante.
[5] Une espèce dioïque a des plantes qui n’ont que des fleurs femelles et des plantes qui n’ont que des fleurs mâles.
[6] Une plante haploïde ne possède qu’un seul jeu de chaque chromosome ; elle est stérile. Par action de certains produits comme la colchicine on peut obtenir une plante dite « haploïde doublée » qui possède deux exemplaires identiques de chaque chromosome : cette plante est donc strictement homozygote.