Pollinisation : des insectes mais aussi des vertébrés
Marc Gibernau , Angélique Quilichini
La plupart des pollinisateurs sont en quête de nourriture, en général du nectar et parfois du pollen. D’après les traces fossiles, la pollinisation des plantes se serait mise en place 60 millions d’années (Ma) avant l’apparition des plantes à fleurs. Des fossiles de mouches-scorpions (Panorpidées), datant de 200 Ma, ont été découverts, pollinisant des cônes de gymnospermes montrant déjà des adaptations pour l’attraction des insectes. Les plantes à fleurs sont ainsi apparues alors que des insectes visitant les structures reproductrices des plantes existaient dans l’environnement. Le plus vieux pollinisateur fossile d’une angiosperme décrit est un thrips, couvert du pollen de Ginkgo, daté de 105-110 Ma. La coévolution plantes-insectes pollinisateurs serait à l’origine du grand succès évolutif des plantes à fleurs qui dominent actuellement les écosystèmes végétaux mais aussi à l’origine de la grande diversité des insectes.
Neuf syndromes de pollinisation
Il existe environ 260 000 espèces d’angiospermes décrites à l’heure actuelle et plus de 130 000 espèces d’animaux visitent leurs fleurs. Afin de mieux comprendre cette immense diversité d’interactions, les botanistes ont rangé les fleurs en différentes classes florales appelées syndromes de pollinisation[1]. Cette convergence de traits floraux entre espèces différentes implique que le facteur principal de l’évolution des fleurs est la sélection exercée par l’insecte pollinisateur le plus abondant et/ou le plus efficace. Aujourd’hui, la situation n’est pas aussi tranchée. Un type floral n’exclut pas forcément certains types de pollinisateurs. Les fleurs sont aussi soumises aux attaques de phytophages. Enfin, il existe de nombreuses espèces dites généralistes, c’est-à-dire pollinisées par divers types d’insectes.
Il a été décrit 9 syndromes de pollinisation principaux (Tableau 1) dont un concerne la pollinisation par duperie[2]. La majorité des pollinisateurs sont des insectes. Si les principaux pollinisateurs de nos jardins et de nos cultures sont les abeilles (25.000 espèces décrites), d’autres hyménoptères, des mouches, des coléoptères et des papillons assurent aussi le transfert du pollen de nombreuses espèces. Les autres types d’insectes (thrips, sauterelles, blattes ou punaises) voire les escargots (Malacophilie, Volvulopsis nummularium Convolvulacée) sont plus anecdotiques. Enfin certains vertébrés (reptiles, oiseaux, primates) participent aussi au processus.
La pollinisation par les vertébrés
La pollinisation par les oiseaux ou ornithophilie se rencontre dans 500 genres de plantes (Protea, Banksia …). Les oiseaux mouches (300-350 espèces, Trochilidées) pratiquent un vol stationnaire devant les fleurs afin de prélever le nectar et polliniser les fleurs alors que les autres espèces d’oiseaux (~ 600 espèces, 9 familles), telles que les souimangas (Nectariniidés), se perchent directement sur la plante. La pollinisation par les chauves-souris ou chiroptérophilie concerne 500 genres de plantes. Baobab africain, l’Agave américain qui sert à produire le Mezcal, ou le bananier (Musa) en Asie sont aussi pollinisés par ces mammifères. Certains primates, marsupiaux et rongeurs (environ 60 espèces) assurent la pollinisation de près de 85 espèces végétales réparties dans 19 familles comme des Protéacées (Banksia, Protea), des Myrtacées, des Bombacacées (Pseudobombax) ou des Melastomatacées (Blakea). Ces genres sont aussi pollinisés par des oiseaux ou chauves-souris. Les principaux caractères floraux d’espèces d’un même genre varient selon le type de pollinisateur soulignant l’adaptation florale au comportement et à la morphologie du pollinisateur (Tableau 2). Sur certaines îles et îlots, des fleurs comme Phormium tenax (Xanthorrhoéacées) en Nouvelle Zélande, Trochetia blackburniana (Malvacées) à l’ile Maurice, ou Euphorbia dendroides (Euphorbiacées) aux Baléares sont pollinisées par des lézards ou des geckos.
Un cycle d’actions-réactions réciproques
Ces interactions illustrent toute l’ingéniosité du vivant, notamment à travers la spécialisation des fleurs en réponse aux visites du pollinisateur particulièrement abondant et/ou efficace. Si le pollinisateur « réagit » à cette spécialisation par une adaptation comportementale ou morphologique, alors l’interaction entre la fleur et l’insecte pollinisateur peut entrer dans un cycle d’actions-réactions réciproques conduisant à la coévolution.
Coévolution
Les exemples de coévolution les plus extrêmes sont ceux qui impliquent une interaction de pollinisation obligatoire (chaque partenaire dépend de l’autre pour sa survie), souvent spécifique (une espèce de plante – une espèce de pollinisateur) et accompagnée d’adaptations morphologiques, comportementales ou physiologiques. Ce phénomène a été décrit chez les figuiers (Moracées), les yuccas (Agavacées), le palmier nain (Arécacées), etc., tous pollinisées par des insectes. Ainsi les yuccas sont spécifiquement pollinisés par des teignes nocturnes (papillons du genre Tegeticula), qui ont développé des appendices sur leurs palpes maxillaires permettant de collecter et compacter le pollen.
Dans le cas des figuiers, chaque différentiation d’une nouvelle espèce entraîne la différentiation d’une nouvelle espèce de guêpe pollinisatrice associée, toutes deux affiliées à l’espèce « mère ». Dans le cas des Aracées il a été montré[3] qu’au cours de l’évolution de cette famille le type de pollinisateur a changé plusieurs fois (abeilles, mouches et coléoptères) et que chaque changement s’est accompagné de modifications florales.
Des millions d’années d’évolution
Si la pollinisation représente un service écosystémique pour une grande partie de nos productions agricoles (service gratuit rendu par la nature), n’oublions pas qu’il s’agit avant tout d’interactions plantes-insectes qui évoluent depuis plus de 105 Ma avec des adaptations continuelles et des processus de diversification créateurs de biodiversité.
[1] Groupes de fleurs (de différents niveaux taxonomiques) qui ont le même ensemble de caractères adaptés à l’attraction et la visite par un type donné de pollinisateur.
[2] Gibernau M. et Quilichini A. 2015. La pollinisation des Aracées (II) : des « histoires » d’attrape-nigauds. Jardins de France – Botanique N°637 ; https://www.jardinsdefrance.org/pollinisation-aracees-2e-partie-histoires-dattrape-nigauds/.
[3] Gibernau M., Chartier M. et Quilichini A. 2014. Evolution des systèmes de pollinisation chez les Aracées. Espèces n°11 (Mars) : 20-29.
Résultat d’une longue coévolution, les plantes confient leur pollen à des auxiliaires (vent, insectes etc.) indispensables à leur multiplication. L’homme prend sa part dans ce système, surtout quand ce service résulte en une augmentation de la production d’une ressource alimentaire. Les palmiers dattiers (Phoenix dactylifera), plantes dioïques[1], sont pollinisés naturellement par le vent et quelques insectes. La production qui résulte de cette pollinisation est insuffisante quand les dattes font partie de l’alimentation de base d’une population. La pratique de pollinisation manuelle, d’abord mentionnée dans les textes cunéiformes de la ville d’Ur en Mésopotamie (- 2300), aurait été introduite en Égypte au moyen-empire. Cette technique reste pratiquée actuellement dans les oasis du sud méditerranéen[2], tandis que les palmeraies industrielles bénéficient de méthodes mécaniques de propulsion du pollen. Le pistachier (Pistacia vera), autre plante dioïque, serait à l’origine d’un mémoire de Vaillant (1717) sur la sexualité des plantes qui fut utilisé par Linné pour sa classification. Vaillant avait réussi à faire fructifier un pistachier parisien en secouant, à proximité, une branche fleurie du pistachier du Muséum. Le pistachier est naturellement pollinisé par le vent et, pour peu qu’on mette dans le verger un nombre de pieds mâles suffisants et bien orientés, il ne devrait pas y avoir de problème. Or les fleurs mâles s’épanouissent souvent avant les fleurs femelles[3]. Il faut donc compenser par une pollinisation manuelle ou, mieux, choisir des variétés mâles et femelles ayant des floraisons concordantes. La vanille (Vanilla planifolia) nécessite une pollinisation manuelle dans les pays où elle est produite (Madagascar, Indonésie, Réunion …). Cette orchidée, originaire du Mexique, est naturellement pollinisée par une petite abeille du genre Melipona mais son efficacité est réduite (<1% de fleurs fécondées). En l’absence de ce pollinisateur spécifique et/ou pour augmenter les rendements, les hommes, copiant les insectes, se sont érigés en vecteur de pollen. Les astuces techniques mises en œuvre depuis le XIXe siècle, lui permettent de féconder jusqu’à 2 000 fleurs par jour. Les pommiers sont normalement pollinisés par des abeilles[4]. Aujourd’hui, en Chine, la diminution dramatique des pollinisateurs, due à l’utilisation massive d’insecticides, oblige l’homme à jouer les abeilles s’il veut encore récolter des pommes[5]. Noëlle Dorion [1] Fleurs mâles et fleurs femelles sur des pieds séparés [2] Il existe dans les grandes palmeraies des systèmes de pollinisation mécanique. [3] Il faut respectivement 450 heures et 500 heures > 7,2°C pour lever la dormance des bourgeons floraux [4] Voir les articles de B. Vaissière et de Y. Lespinasse dans ce dossier [5] Voir l’article du Monde (Planète) : Dans le Sichuan, des « hommes-abeilles » pollinisent à la main les vergersL’homme, pollinisateur depuis des millénaires