Les plantes ont-elles une mémoire ?
Noëlle Dorion
S’il y a mémoire, c’est-à-dire capacité de « rappeler » des informations stockées, pour les utiliser, il faut aussi que la plante soit douée de sensibilité. Or, notre anthropomorphisme nous fait considérer communément les plantes comme insensibles puisqu’elles ne possèdent pas les organes des sens qui nous caractérisent (yeux, nez, oreilles,…), ni les neurones qui transmettent les informations à notre cerveau.
Quel est donc cet auteur qui veut nous convaincre de l’existence d’une mémoire chez les plantes, peut-on lui faire confiance ? Là encore la réponse est oui. Michel Thellier, après avoir été professeur de physiologie végétale à l’université de Rouen, est membre de l’Académie des Sciences et de l’Académie d’Agriculture, preuve de ses compétences et de la reconnaissance scientifique de ses pairs.
Le matériel et le stimulus
Cet ouvrage s’adresse au plus grand nombre. L’écriture en est agréable et la pensée facilement accessible malgré la complexité des phénomènes présentés. Sans être une publication scientifique, le document en a cependant la rigueur.
Dans une première partie, l’auteur nous présente le matériel c’est-à-dire la plante. Les plus novices y trouveront, présentées de façon simple, les bases de la structure et du fonctionnement des plantes. Ils pourront ainsi s’aventurer, bien armés, plus loin dans l’ouvrage. Les plus avertis y trouveront « le stimulus » qui rappellera les informations « stockées » dans leur mémoire et ainsi se souviendront-ils très probablement que les plantes sont douées de sensibilité, comme le montre le chapitre consacré à ce sujet : les plantes perçoivent les stimuli de l’environnement, qu’il s’agisse de la lumière, de la gravité, des stress tels que l’attaque des herbivores, le vent ou les blessures. Il explique aussi que non seulement elles perçoivent mais qu’elles réagissent par des modifications du métabolisme et du développement (floraison, orientation et rythme de la croissance, mouvement comme chez la sensitive ou les plantes carnivores). L’excellente préface d’Hervé Le Guyader, qui s’intéresse à la notion de sensibilité des plantes à travers l’histoire des sciences, vient compléter très à propos ce chapitre.
L’horticulture un peu oubliée
Deux petits reproches cependant sur cette première partie du document. Il est un peu dommage d’avoir choisi comme seul exemple d’application agronomique de la sensibilité des plantes à la lumière, le cas de l’éclairage nocturne des cultures de tabac ‘Maryland Mammoth’. En effet, l’exemple de l’horticulture ornementale, qui pratique depuis des dizaines d’années l’obscurcissement des serres ou leur éclairage pour maîtriser la production des plantes de jours courts telles que les chrysanthèmes et les kalanchoés, aurait été tout aussi parlant. Par ailleurs, alors que tous les aspects décrits le sont avec rigueur, deux affirmations nous laissent un peu sur notre faim. La première confirme, sans le prouver, que les plantes ne sont pas sensibles à la musique ; la seconde mentionne, avec précaution néanmoins, des travaux préliminaires non expliqués sur la sensibilité des plantes aux ondes électromagnétiques des téléphones portables.
Des annexes pour bien comprendre
Les trois annexes situées en fin de document apportent des éléments complémentaires pour bien comprendre ce sujet de la mémoire des plantes. La première, très ludique, s’intitule « code et message secret ». La seconde, « magie moléculaire », nous initie à la biosynthèse des protéines à partir du code ADN et répond à d’autres questions fondamentales comme l’évolution des êtres vivants. La troisième, « condensation du calcium », nous renseigne sur un phénomène fondamental pour le transfert de l’information dans la plante.
Au cœur de la mémoire
Le cœur du document est une synthèse des travaux sur la mémoire des végétaux réalisés à l’université de Clermont Ferrand, puis en collaboration avec l’université de Rouen. L’auteur nous conduit, pas à pas, de la découverte fortuite de l’existence d’une mémoire de type stockage/rappel chez des jeunes plantes de Bident (Bidens pilosus) aux travaux les plus récents qui s’intéressent aux mécanismes moléculaires mis en jeu en passant par une évocation des difficultés rencontrées au début, c’est-à-dire dans les années quatre-vingt, pour faire accepter ce nouveau concept à la communauté scientifique.
Chacune des expériences est décrite et analysée avec précision. Les schémas et courbes, ainsi que leurs légendes, sont utilisés avec succès pour faciliter encore plus la compréhension.
Questions essentielles
Finalement, l’auteur fait état de deux types de mémoire : l’une liée à l’apprentissage qui permet à la plante de moduler l’intensité de la réponse au stress qu’elle a reconnu et l’autre, de type stockage/rappel, qui permet à la plante de répondre à un stress de façon décalée.
Une fois ces résultats acquis, l’auteur répond à deux questions essentielles. Quelles sont les similitudes et les différences avec la mémoire des animaux ? Et, surtout, avec l’aide des écologues, à quoi sert cette mémoire, quels sont ses avantages évolutifs ?
Chacun pourra trouver et comprendre les réponses aux questions passionnantes posées dans cet ouvrage
Les chercheurs et expérimentateurs qui travaillent soit sur la thigmomorphogenèse c’est-à-dire l’effet des frottements ou du vent sur la limitation de la croissance, soit, en culture in vitro, sur la capacité des plantes à néoformer des méristèmes, devraient y trouver matière à réflexion.