Pierre Barandou, horticulteur ouvert sur le monde
Jean-François Coffin
Pierre Barandou se retrouve à la tête d’un établissement horticole après un parcours plus ou moins hésitant. Né à Agen en 1937, il poursuit ses études jusqu’en 4ème classique. « Je ne travaillais pas trop, vivant les études par obligation ». Mais la fée de l’horticulture veille à ce que le jeune homme devienne ingénieur horticole. « Un concours réussi m’a conduit chez Georges Truffaut, à l’âge de 13 ans. » Des cousins qui l’accueillent le dimanche, puis ses parents le poussent à reprendre ses études. « C’est la première grande leçon que je reçois après la 4ème». Le jeune Barandou passe le brevet et les baccalauréats classique et sciences expérimentales sans problème.
Alors qu’il était inscrit en auditeur libre à l’École Nationale d’Horticulture de Versailles, le professeur responsable des études, au vu de ses notes, lui suggère de passer le concours d’entrée. Il est reçu dans la promotion de 1957.
Briser les barrières de la langue
Les stages ont été l’occasion de découvrir l’Europe (Hollande, Allemagne, Italie) et les États-Unis, mais les débuts ont été difficiles. Ce fut le choc en Hollande : « j’ai connu l’humiliation. Sept années d’anglais au collège ne m’ont pas beaucoup appris cette langue que je ne parlais pas. » Ce premier choc le décide d’aller en Allemagne, l’année suivante, après avoir potassé la méthode « Assimil ». Et c’est la révélation : il est sûr de comprendre et de se faire comprendre. Et il entame la même démarche pour l’anglais, l’italien et plus tard l’espagnol.
Il entre dans l’établissement horticole, en 1963, géré par sa mère italienne, autoritaire, sévère mais droite et peu ouverte aux innovations de son fils.
Son père Paul, né en 1891, mobilisé pour les deux grandes guerres, tenait la comptabilité et les marchés. Pierre est mal à l’aise, d’autant plus que sa tante Alice, fleuriste et trésorière, veillait de près aux dépenses et le moindre investissement suggéré était considéré comme suspect. Finalement, un modus vivendi s’instaure.
Pierre Barandou monte des serres en bois et plastique sur un modèle californien. Il développe les cultures et essaie de nouvelles espèces. L’établissement grandit, le chauffage évolue, la vente en gros s’étend dans le Sud-Ouest et au-delà.
Enfin chef d’entreprise
En 1980, il hérite de l’établissement et peut enfin faire ce qu’il veut. Il améliore le matériel au fil des ans. Il remplace les « serres californiennes » par une grande serre verre en 1983. Le chauffage des tablettes est généralisé. Les serres suivantes sont 4 groupes de double-paroi Richel. La surface couverte et chauffée atteint 5 500 m².
Pierre s’est spécialisé dans les jeunes plants pour les horticulteurs et les potées fleuries de pélargoniums, cyclamens, fuchsias mais aussi d’aromatiques, estragon et verveine pour les jardineries. Il savoure l’anecdote d’être honoré au record des Guiness pour une énorme amaryllis ‘Red Lion’ offerte à sa fille. Sans jamais être divisée, l’amaryllis a dépassé les 400 fleurs et son dernier pot mesurait 80 cm de diamètre.
Le succès de ‘Crocodile’
Pierre Barandou développe surtout les pélargoniums qui ont affirmé sa réputation. Non seulement, il produit, mais effectue de nombreuses recherches, voyage à la recherche de nouvelles variétés.
« Un jour, je découvre dans une revue anglaise un producteur possédant 500 variétés de pélargoniums dont certaines extraordinaires ». C’est ainsi qu’il acquiert dans les années 70, un géranium lierre dont les feuilles possèdent des nervures blanches. « Ce ‘Crocodile’ était en réalité le pélargonium lierre ‘White Mesh’. Cette coloration est due à un »viroïde » inoculé par un Australien. ». A l’affût de nouveauté, il obtient la variété ‘Croletta’ en greffant ‘Rouletta’ sur ‘White Mesh’.
Toujours en recherche
Sa maîtrise des langues lui permet de faire des traductions pour diverses occasions. Il rédige pour des revues en anglais, allemand et italien.
Il continue de tester des méthodes de multiplication. À l’Agro de Paris, il étudie la multiplication des plantes à l’état juvéniles (boutures courtes). Avec le CNIH, il utilise les plants assainis issus de pélargoniums in vitro.
En parallèle, il redécouvre la violette de Toulouse et s’enthousiasme, car son arrière-grand-mère bouquetière les travaillait. « Cette fleur se débattait, accablée de maladies et autre pestes transmises par boutures. » Et Pierre se donne à fond et participe à sa relance à Toulouse. Il a produit des fleurs de qualité, mais regrette que cette culture ait perdu aujourd’hui de l’importance. « L’esprit n’y est plus. On veut tout, tout de suite. Cela a tourné au vinaigre ! ».
Représentant à l’international
Pierre Barandou a toujours mené une grande activité associative en France, puis sur le plan international. Au niveau régional, il est l’un des pères fondateurs du GIE Fleurs et plantes du Sud-Ouest (« de La Rochelle à Foix »). Mais il regrette que ce gros travail n’ait pas été mieux soutenu par l’interprofession nationale. « C’est devenu un outil merveilleux ! »
Sa pratique des langues lui ouvre des portes. Il représente la FNPHP (1994-2003) à l’AIPH, l’Association internationale des producteurs de l’horticulture et au Copa-Cogeca* (1995-2003) pour défendre les intérêts du secteur horticole européen. Ces fonctions lui plaisaient. « J’aurais aimé assumer ces représentations beaucoup plus tôt, mais cela m’intimidait. J’avoue en avoir eu l’ambition très jeune, mais elle restait cachée, car les représentants en place étaient très compétents ».
Il a adhéré à la SNHF dès sa sortie de l’ENH. Aujourd’hui, il est traducteur bénévole à la Section Fuchsia et Pélargonium, pour les documents et correspondances (Allemand, Anglais, Espagnol). Il a été actif au jury des Villes et Villages Fleuris de Lot-et-Garonne où il est parfois un peu craint « car je ne plaisante pas avec les notations », ce qui a parfois frisé l’incident diplomatique avec certaines municipalités.
Les secousses de l’histoire
Pierre Barandou est fier de partager sa connaissance. « Mon savoir ne m’appartient pas. Je dois le redistribuer pour faire avancer ceux qui n’ont pas eu l’occasion de se former ou ont besoin d’être aidés ».
Certes, il parle quelquefois de l’entreprise avec amertume, connaît des moments de « blues », mais reste philosophe : « J’accepte tous les maux que la vie m’a infligés. » J’ai pris ma retraite en 2002, « lessivé ». L’établissement a alors subi quelques secousses et malheureusement, la maison Barandou a disparu la veille de son 150ème anniversaire, en 2012.
Sérieux et généreux
Malgré tout, Pierre Barandou continue à cultiver son jardin et chérit la grelinette. Son mal au dos l’a quitté et il a reconstitué des abris chauffés pour cultiver quelques plantes pour lui, des associations, la Société botanique d’Agen et ses amis.
Il veille à sa santé pour rester en forme. Alors, adieu aux petits plats concoctés par son épouse originaire de la Chalosse, région réputée pour sa gastronomie.
Il est très apprécié pour sa gentillesse, sa générosité. Réputé pour son sérieux, il a tout de même son petit humour. Ce n’est pas un superficiel. Il avoue : « Quand je commence quelque chose, je vais jusqu’au bout. » Il partage volontiers la philosophie de Socrate « connais-toi toi-même ». Pierre Barandou serait-il aussi un sage ?