Pas de développement forestier sans graines de qualité
Changement climatique, renouvellement et diversification des peuplements forestiers : il faut planter, oui, mais pas n’importe quoi ni n’importe comment. Les pépiniéristes sont reconnus pour leur savoir-faire, mais au départ, ce sont bien les graines forestières qui font l’objet de toutes les attentions. Et ce marché est très réglementé.
Entre le moment de la plantation et celui où l’arbre sera reconnu de bonne valeur, il faut attendre au minimum trente ans, et bien plus pour les chênes !
La filière bois-forêt a été reconnue comme un levier essentiel dans la lutte contre le changement climatique. C’est pourquoi le renouvellement des peuplements, entamé par France Relance, s’accélère. Et on mesure ainsi l’importance du secteur des graines forestières.
Que ce soit pour les fagacées ou d’autres familles d’arbres, pour boiser ou reboiser, pas question d’utiliser n’importe quelle graine. Entre le moment de la plantation et celui où l’arbre sera reconnu de bonne valeur, il faut attendre au minimum trente ans, et bien plus pour les chênes ! Mieux vaut donc ne pas se tromper et utiliser des semences de qualité.
Une réglementation à respecter
Le marché des graines forestières est encadré par des réglementations communautaires et nationales mises en place depuis 1966 et actualisées régulièrement. La directive européenne n° 1999/105/CE concernant la commercialisation des matériels forestiers de reproduction (MFR) est entrée en vigueur en 1999 dans l’Union européenne et a été transposée en droit français en 2003. En France, la réglementation porte sur 51 essences forestières. C’est la section Arbres forestiers du CTPS (Comité technique permanent de la sélection) qui donne avis au ministère de l’Agriculture pour toute nouvelle admission sur la liste des espèces réglementées.
L’immense majorité des arbres forestiers sont reproduits par graines. Parmi les espèces principales, seul le peuplier (à la graine fragile) et, dans certains cas, le merisier et le pin maritime, est multiplié par bouture. Le pin maritime et le hêtre se distinguent par une transplantation difficile. Sur certaines terres difficiles, des semis naturels peuvent être recommandés.
Les semences peuvent provenir soit de peuplements naturels, elles sont alors dites « sauvages », soit de vergers à graines, pour une dizaine d’espèces. Généralement, à chacune des régions de provenance (environ 125 en France, toutes espèces confondues) correspondent des zones d’utilisation bien déterminées. L’origine de la région est une des mentions qui doit être indiquée sur l’étiquette du lot.
Plusieurs catégories de matériel forestier
Selon la réglementation, on distingue quatre catégories de semences :
- Matériel « identifié » (étiquette jaune), lorsque les graines ont été récoltées dans un contexte géographique précis ;
- « sélectionné » (étiquette verte) s’il provient de peuplements plus ou moins homogènes, bien conformés, choisis essentiellement sur la base de critères phénotypiques ;
- « qualifié » (étiquette rose) si les graines ont été récoltées dans des vergers à graines ;
- « testé » (étiquette bleue), pour les graines qui proviennent de peuplements ou de vergers à graines, et dont la supériorité pour certains caractères a été démontrée par des tests de comparaison ou des évaluations précises.
Selon les essences, une ou plusieurs catégories sont disponibles sur le marché. Peu d’espèces disposent de matériel admis comme « testé ».
Ces semences réglementées ne peuvent quitter leur peuplement d’origine sans être accompagnées d’un « certificat maître », délivré par l’agent certificateur local.
Deux acteurs majeurs pour ce marché
Deux semenciers français se partagent la quasi-totalité du marché national, depuis plus de soixante-dix ans : Vilmorin- Mikado, situé dans le Maine-et-Loire, et la Sécherie de la Joux (ONF), au coeur de la forêt jurassienne. Nos besoins en France nécessitent très peu d’importations (moins de 5 %). Concernant les fagacées, on enregistre juste quelques échanges avec les Pays-Bas (chêne), l’Allemagne (hêtre) et l’Espagne (châtaignier). Nos exportations restent également minimes, si ce n’est pour le douglas.
Vilmorin-Mikado et l’ONF sont regroupés dans le groupement d’intérêt économique (GIE) Semences forestières améliorées. Ce GIE s’est donné pour missions d’accroître la résilience des forêts, qui est étroitement liée à la diversité génétique dans les peuplements, et de développer des critères de résistance aux maladies. Parmi les objectifs d’amélioration, les critères de base sont la croissance et la branchaison, la rectitude et la cylindricité, ainsi que le diamètre du tronc. D’autres caractères sont appréciés en cours de culture, comme l’adaptation à la sécheresse et la résistance aux agresseurs. D’autres, enfin, seront notés lorsque l’arbre sera coupé : c’est le cas de la qualité du bois. De façon générale, il est toujours recherché un niveau élevé de biodiversité, seul moyen pour assurer une bonne adaptation aux aléas climatiques, dont on a pu déplorer la fréquence et la gravité au cours des dernières années.
Des semences soigneusement sélectionnées et préparées
La production de graines forestières est une affaire de spécialistes ! Il faut malheureusement tenir compte du fait que les arbres ont une fructification irrégulière. Pour les chênes par exemple, les bonnes glandées sont plus difficiles à assurer dans l’est de la France, car elles sont sensibles aux gelées tardives et aux pluies prolongées. D’où l’intérêt de bien prévoir et planifier à l’amont son programme de cueillette.
Il est très important de respecter l’époque de maturité de la graine. Une semence de bonne qualité technique est obtenue par une récolte effectuée au meilleur moment de sa maturité physiologique. L’oeil de l’expert forestier est ici indispensable, car la maturité est très variable selon les conditions climatiques de l’année.
C’est aussi un travail exigeant en main-d’oeuvre. Les récoltes débutent généralement en juillet avec les merises et se terminent en mars de l’année suivante avec le pin maritime. Les plages d’intervention sont parfois réduites. Pour les feuillus, pas trop de contraintes, les glands et les châtaignes, comme les faînes de hêtres, sont ramassés sur des bâches à même le sol.
Nettoyer, trier et stocker
Arrivés en sécherie, les fruits, cônes ou graines doivent subir des triages et différents traitements, afin d’éliminer ceux qui ne sont pas de qualité suffisante et permettre leur conservation. Parmi ces techniques, on peut citer la désarticulation, la déshydratation des cônes et le « désailage » des graines, le dépulpage, l’épépinage, l’égrappage, le tri granulométrique et densimétrique, la thermothérapie, le traitement fongicide… Les procédés appliqués varient selon les espèces, voire les années en fonction de l’état physiologique.
Après ces traitements, les semences ne sont pas encore prêtes à l’emploi. Pour de nombreuses espèces, notamment les feuillus, il faut encore lever la dormance. Cet état est en quelque sorte un verrou de sécurité qui empêche la graine de germer après dissémination. Pour les glands, les faînes, et autres semences de feuillus, la levée de dormance se fera par un passage au froid, à programmer et à adapter selon les espèces. On appelle ce traitement une « vernalisation » ou une « stratification froide ».
Enfin, il faut se montrer très vigilant sur la conservation, car c’est une étape qui peut être cruciale pour certaines espèces. Comme évoqué précédemment, les arbres ne fructifient pas tous les ans, il vaut donc mieux faire le plein de semences les bonnes années et les stocker de manière optimale pour les plantations futures. La conservation passe le plus souvent par un abaissement de la teneur en eau, qui a pour effet de réduire la respiration, à l’origine de l’oxydation et de l’épuisement des réserves. Mais toutes les graines ne réagissent pas de la même façon. Les semences dites orthodoxes acceptent d’être déshydratées jusqu’à des teneurs en eau de 5 à 10 %. À l’inverse, les semences dites récalcitrantes1 ne supportent ni la déshydratation, ni les températures basses. C’est le cas du gland. Conservé obligatoirement humide, il est difficile de le garder plus d’un an.
« […] il est toujours recherché un niveau élevé de biodiversité, seul moyen pour assurer une bonne adaptation aux aléas climatiques. »
Derniers préparatifs avant la vente aux pépiniéristes
Pour le pépiniériste, c’est un énorme avantage, car cela se traduit par une plus grande homogénéité des semis, avec in fine un taux plus élevé de plants commercialisables. Attention, les semences pré-germées sont fragiles, elles doivent être maintenues au froid durant le stockage, le transport, et semées dès réception.
La grande majorité des graines préparées par l’ONF ou Vilmorin sont vendues aux pépiniéristes. Ils sont au nombre de 120 environ en France, un chiffre qui n’a cessé de baisser au cours des dernières années. Mais le secteur s’est professionnalisé. Ces producteurs ont gagné en savoir-faire et en compétences pour élever et faire grandir ces plants forestiers, jusqu’à ce qu’ils puissent être commercialisés et transplantés avec succès dans les forêts, exploitations agricoles, espaces verts et jardins.
Laure Gry
Journaliste horticole et membre du Comité de rédaction de Jardins de France
1 Pour les graines dites orthodoxes ou récalcitrantes voir Jardins de France n° 654