Les paillages: une expérience longue durée à la Ville de Paris

François Nold

Recommandé par la labellisation EcoJardin, le paillage est développé sur l’ensemble des 490 parcs et jardins de la Ville de Paris. La majorité des 57 ateliers de jardinage utilise quatre à cinq paillis différents et certains d’entre eux en emploient jusqu’à une douzaine.

Pour tenter d’évaluer les effets, positifs et/ou négatifs, de cette pratique à long terme, une expérimentation est conduite depuis 2004 dans le fruticetum (collection d’arbustes) de l’École Du Breuil (coordonnées 48°49’30.60″N, 2°27’42.42″E).

Fruticetum de l’École Du Breuil – © Mairie de Paris

Méthodes d’expérimentation

L’expérimentation porte sur les principaux paillages utilisés en espaces verts (9 produits organiques et 1 témoin « sol nu ») avec 3 réplicas, soit trente parcelles d’essai d’une superficie moyenne de 150 m². Un autre témoin « gazon », faisant référence aux pelouses environnantes, est utilisé ponctuellement.

Un état analytique « zéro » est disponible pour toutes les parcelles d’essai. Les déchets de tonte sont apportés au fur et à mesure de leur disponibilité sur une épaisseur de 6 cm et avec une périodicité égale ou supérieure à quinze jours. Tous les autres produits sont appliqués sur une épaisseur de 12 cm. Avant chaque rechargement annuel en novembre/décembre, l’épaisseur résiduelle est contrôlée en différents points de la parcelle pour évaluer la vitesse de dégradation et calculer le volume de produit à rajouter.

La figure présente les différents paillages utilisés dans les espaces verts de la Ville de Paris : les parts de camembert représentent la proportion des différents paillages utilisés (principalement donc, les broyats d’élagage, d’abattage, de taille d’arbustes et de sapin de Noël). Les pourcentages représentent la proportion de l’ensemble des sites de la Ville de Paris qui utilisent chaque type de paillage.  © Mairie de Paris

Les prélèvements sont réalisés à profondeur constante (5 à 30 cm) à l’aide d’une tarière hélicoïdale. Dans la pratique, 6 à 8 prélèvements élémentaires répartis sur l’ensemble de la parcelle sont réalisés pour constituer chaque échantillon représentatif. Afin de lisser l’hétérogénéité des parcelles et de faciliter l’interprétation des résultats, la fréquence d’analyse n’est jamais inférieure à deux ans, mais n’excède pas les trois ans.

Les analyses réalisées par le laboratoire d’agronomie de la Mairie de Paris (Direction des espaces verts et de l’environnement/Service des sciences techniques et du végétal, DEVE/SSTV) suivent les protocoles établis par les normes NF/CEN/ISO lorsqu’elles existent. À défaut, elles s’appuient sur des méthodes expérimentales issues de travaux de recherche.

Répartition des différents paillages utilisés dans les ateliers de jardinage de la ville de Paris  © Mairie de Paris

Principaux résultats

Par rapport au témoin « sol nu », le taux de matière organique progresse dans toutes les situations. Mais on constate une forte variabilité des résultats au fil des ans, ce qui semble s’expliquer par une incorporation des matières organiques plus ou moins profonde sous l’action de la microfaune et par une difficulté à repérer le niveau du sol originel au moment du prélèvement.

Par comparaison avec les témoins « sol nu » et « gazon », une acidification est engagée particulièrement avec le broyat de sapin. A contrario, une alcalinisation est observée avec les feuilles de ligneux et plus encore avec la coque de cacao.

Le potassium (K2O) est très présent sous la coque de cacao (1,31±0,14) et il est toujours plus élevé avec tous les autres types de paillage que dans les témoins « sol nu » (0,24±0,03) et « gazon » (0,18±0,05).

Le magnésium (MgO) progresse très fortement sous la coque de cacao (0,87±0,08). Au contraire, les paillettes de lin se situent au même niveau que les témoins « sol nu » et « gazon ».

Analyse de la biomasse microbienne

L’analyse de la biomasse microbienne a été introduite en 2013. Majoritairement composée de micro-organismes tels que les bactéries et les champignons, elle est impliquée dans la dégradation de la matière organique brute. L’analyse de celle-ci permet notamment de déterminer la capacité de dégradation de la matière organique et de maintien de la fertilité du sol. Dans le cadre de cette expérimentation, elle doit pouvoir révéler l’aspect qualitatif des différents paillis.

La biomasse microbienne apparaît toujours supérieure au témoin « sol nu ».

Mais trois tendances se dessinent, pouvant être reliées à la catégorie de paillis (ligneux, herbacé, intermédiaire) :

• Les paillis ligneux, constitués par des broyats frais et composté, de l’écorce de pin et de la coque de cacao, rassemblent la plus grande biomasse microbienne. Cela peut s’expliquer par leur grande richesse en carbone, principale nourriture des micro-organismes.

• Les paillis herbacés, constitués par des déchets de tonte, de la paillette de lin et des feuilles de ligneux, se décomposent rapidement. Mais ils contiennent peu de carbone. Après une intense prolifération liée à l’installation du paillis, les micro-organismes ne peuvent se maintenir faute de carbone. Au final, leur concentration est à peine plus élevée que celle du témoin.

• Les paillis intermédiaires, constitués par des broyats de sapin et du Fibralgo (un paillage fertilisant), présentent la particularité d’être un mélange de résidus végétaux ligneux et herbacés.

La présence de lombrics

L’action positive du paillage sur la biodiversité n’étant pas clairement démontrée, une étude sur les populations de lombrics a été menée en 2016 avec le concours de l’Institut d’écologie et des sciences de l’environnement de Paris (IEES). Les résultats exprimés correspondent à la somme de trois prélèvements effectués dans un quadrat de 25 cm x 25 cm.

Sur l’ensemble des parcelles, 6 genres et 17 espèces de lombrics ont été répertoriés pour un total de 2 142 individus, constitués d’environ un tiers de spécimens adultes (38,61 %) et deux tiers de juvéniles (61,39 %).

Les feuilles de ligneux et les déchets de tonte rassemblent le plus grand nombre d’espèces. De manière particulièrement significative, les espèces sont moins nombreuses sous les écorces de pin et dans une moindre mesure sous la coque de cacao. À l’exception de celles-ci, il est intéressant de noter que tous les types de paillages profitent à la diversité des espèces.

Les vers de terre sont très abondants sous le broyat de sapin de Noël, le broyat composté, les feuilles de ligneux et le Fibralgo. Ils se situent quasiment au même niveau que le témoin « pelouse environnante », habituellement considéré comme un milieu très favorable à l’activité biologique. La plus faible abondance se trouve sous les écorces de pin et la coque de cacao, cette dernière se situant au même niveau que le témoin « sol nu ».

En dépit d’une assez forte variabilité, la plupart des paillis présentent un effet positif, c’est-à-dire supérieur ou égal au témoin « gazon », si l’on considère seulement les populations de vers adultes, à l’exception des écorces de pin où ils sont quasiment absents (0,3±0,6).

Conclusion (provisoire) de l’expérimentation

Cette expérimentation a pour ambition de révéler l’effet d’un paillage sur les caractéristiques physico-chimiques du sol et sur son activité biologique. Même s’il est prévu de la prolonger durant quelques années pour conforter les résultats, elle fournit d’ores et déjà certains enseignements, dont le principal serait « qu’il n’existe pas de paillis à usage universel ».

• L’activité biologique est stimulée avec tous les types de paillis (biomasse microbienne), à l’exception notable de l’écorce de pin pour ce qui concerne les populations de vers de terre.

• La pratique du paillage contribue généralement à l’enrichissement en humus, même si on laisse les produits se décomposer en surface afin de respecter au mieux le fonctionnement naturel du sol.

• Certains paillis présentent nettement l’action d’un engrais, notamment pour le potassium et le magnésium, au risque d’un enrichissement nuisible à l’assimilation des autres éléments nutritifs. Cet effet est particulièrement visible pour la coque de cacao et vient confirmer les difficultés végétatives rencontrées dans certains jardins parisiens soumis à leur usage prolongé.

• D’un point de vue purement économique, il est probable qu’un paillage difficilement décomposable représente un bon investissement. Cela pourrait être le cas de l’écorce de pin…

• Suivant leur capacité à fournir de l’humus, des sels minéraux et à se décomposer plus ou moins rapidement, chacun des produits testés peut présenter un intérêt, limité dans le temps, pour améliorer ou corriger certains comportements du sol. Pour réduire un déficit en potasse, il serait par exemple judicieux d’appliquer, durant quelques années, un paillis en coque de cacao, voire en broyat de sapin ou en Fibralgo, au lieu d’employer un engrais spécifique.

À ce jour, l’alternance des produits, fondée sur leurs caractéristiques et leurs effets attendus, représente la solution la plus raisonnable.

L’ÉCOLE DU BREUIL

Créée en 1867, l’école d’horticulture et d’arboriculture avait pour mission de pourvoir le département de la Seine et plus particulièrement Paris, en jardiniers, au moment de la création des promenades publiques par Alphand (cf. n° 648 de Jardins de France). Alphonse Du Breuil, professeur au Conservatoire national des arts et métiers, y enseigne l’arboriculture de 1867 à 1887. En 1936, l’école est transférée à l’emplacement de l’ancienne ferme de la Faisanderie, dans le Bois de Vincennes, sur un domaine de 23 hectares. Elle porte désormais le nom de son principal fondateur.

L’École Du Breuil est aujourd’hui un établissement géré par la Ville de Paris. Il s’agit d’un domaine éco-labellisé en partie ouvert au public, doté d’un arboretum, d’un verger patrimonial, d’une serre chaude et de nombreuses col-lections végétales. Ses 6 000 espèces recensées font partie du jardin botanique de Paris. Elle dispose d’une photothèque et d’une bibliothèque spécialisée ouverte au public.

L’École accueille chaque année environ 300 élèves, de la seconde à la licence professionnelle. Elle poursuit sa mission de formation professionnelle des jardiniers, techniciens et cadres de la Ville de Paris sur la question du végétal dans l’espace urbain. Elle propose des modules de formation continue et des conférences ouverts aux professionnels du paysage et de l’horticulture. Son domaine accueille chaque année environ 1 000 jardiniers amateurs dans des cours de jardinage à la carte. Des visites guidées du domaine sont également proposées.

L’École Du Breuil comporte 23 hectares de jardins et de collections – © L. Renault