« Oh ! Légumes Oubliés » : entre rêves et réalités
Bernard Lafon
« Qui se souvient encore aujourd’hui de « l’argousier », de la « plante à œufs », de la « chayotte » ou du goût de « l’arroche », de la « bourrache », des « topinambours », des « pâtissons jaunes » ou autres courges ?
C’est autour de quelques souvenirs d’enfance, d’une nostalgie remplie de joies, d’amours, de rencontres familiales et de saveurs gourmandes que l’idée des légumes oubliés a germé dans mon esprit, il y a maintenant 40 ans.
Au tout début, il s’agissait simplement de maintenir quelques traditions paysannes. Mais au fil des années, il m’est apparu évident que les fruits et légumes anciens étaient beaucoup plus nombreux que je ne l’imaginais : le sujet dépassait largement le cadre de mon vécu, mais aussi de notre petit contexte régional. En effet, ces fruits et légumes d’antan constituent un réel enjeu, aussi bien en termes de biodiversité et de patrimoine génétique, que de curiosité gastronomique, d’esthétique, d’équilibre nutritionnel, de santé publique, de respect de l’environnement ou encore de culture historique.
Réveiller le Potager du Roi
Si nombre de ces végétaux, qui faisaient le délice des tables de nos parents et grands-parents, jardiniers amateurs dans les années 60, étaient passés de mode et plus ou moins en voie de disparition, ils avaient tous une histoire et correspondaient à des pratiques que des chroniqueurs comme, Nicolas ou Michel le Jardinier ont su nous faire partager avec talent, pendant de nombreuses années. De plus, tous présentent une indéniable beauté, susceptibles d’apporter de nouvelles couleurs, lumières, formes et organisations au sein de nos jardins. Et c’est dans cet esprit que nous avons imaginé notre « Potager Conservatoire de Sadirac ». Jusqu’à réveiller cette « belle endormie » que constituait le « Potager du Roi » à Versailles. Mais après plus de 300 ans d’ancienneté, il était normal qu’il fasse preuve d’un certain épuisement !
Partager des sensations
Au fil des années, nous avons su faire vivre ce renouveau jusque dans les assiettes des grands chefs. Aidée par les qualités de communication, de personnalités comme Christian Clément, Bernard Loiseau, Michel Bras, Marc Veyrat ou encore Michel Guérard, une autre cuisine s’est peu à peu installée sur ces belles tables, offrant avec ces fruits, plantes et légumes oubliés de nouveaux goûts et saveurs, susceptibles de réveiller les papilles toujours en quête de surprises de leur clientèle.
Avec tous ces fruits et légumes[1], les amateurs de cuisine sont en mesure de faire partager des sensations culinaires, qu’aucune viande ne peut procurer ou même suggérer. La palette des goûts va de l’acide, à l’acre, au saur ou à l’acerbe, en passant bien évidemment par le sucré ou le salé. C’est ainsi qu’il y a quelques jours j’ai pris un plaisir fou à découvrir sur la table d’un grand chef, le goût d’une racine de glycine tubéreuse, qu’aucun autre plat ne m’avait jusqu’alors suscité !
Faciles et bons pour la santé
J’ai découvert que tous ces végétaux étaient faciles à cultiver !
Ils sont bien adaptés aux contraintes de l’agriculture biologique et à toutes nos nouvelles pratiques culturales. C’est pourquoi, aujourd’hui, de nombreux agriculteurs bio, mais aussi beaucoup de jardiniers amateurs, soucieux de leur santé et du respect de leur jardin, s’occupent à cultiver, développer et mieux faire connaître ces « fruits et légumes anciens ».
J’ai compris également, en travaillant avec plusieurs nutritionnistes, naturopathes et autres médecins réputés, comme le Dr Laurent le Chevalier, que ces végétaux étaient indispensables à notre santé et à notre bon équilibre alimentaire. Parce que chacun d’entre eux a une véritable spécificité, qu’ils nous apportent de nombreux antioxydants et qu’ils nous fournissent les éléments nutritifs indispensables à notre bon équilibre. De plus, à des degrés divers, ils font partie de l’histoire de notre évolution.
Enfin, il s’avère qu’ils sont aujourd’hui, adoptés par les générations futures !
Face aux tendances récentes d’une mode végétarienne ou même de pratiques végétaliennes, ils constituent plus qu’un phénomène de tendance : ils sont une réponse aux enjeux du réchauffement climatique, tel qu’il est défini aujourd’hui. Car il est nécessaire de dépenser beaucoup moins de calories, pour produire des topinambours ou des orties sauvages, que pour élever un veau ou un porc de batterie !
Une dynamique qui rassure
Les légumes oubliés ont été pour moi l’histoire d’une vie. Et si j’ai su faire vivre ce concept durant ces 40 dernières années, qu’il est aujourd’hui de plus en plus largement repris, c’est parce qu’au-delà d’un rêve de terroir, ces fruits, plantes et légumes plus ou moins délaissés par notre société d’hyperconsommation ont sur trouver leur place dans nos jardins, dans nos assiettes et dans la mémoire du public, jusqu’à créer à travers le monde, une dynamique qui me rassure et me surprend à chaque instant. Car, chaque région et chaque pays à ses propres légumes oubliés… »
[1] De nombreuses recettes et livres de cuisine ont été publiées.