Nutans, volubilis, sarmentosus… : la tige, elle attige !
Alain Cadic
Les plantes grimpantes sont caractérisées par des tiges à croissance rapide, parfois plusieurs mètres en une saison de végétation. Leur diamètre à la base est faible en regard de la longueur ; ceci leur confère une très grande flexibilité. Les vaisseaux conducteurs ont une dimension plus importante que chez les plantes non grimpantes. En l’absence de support, la plupart de ces plantes recouvrent le sol et peuvent être employées à cet effet. On les rencontre presque exclusivement chez les angiospermes. Une seule fougère (Lygodium) peut être qualifiée de grimpante du fait de l’enroulement de ses frondes et certaines de ses espèces, introduites aux USA, sont considérées comme invasives. Chez les conifères, il n’existe pas à proprement parler d’espèces grimpantes, même si quelques cultivars au port habituellement prostré ou rampant peuvent être appuyés contre un muret. Chez les angiospermes, les plantes grimpantes semblent plus fréquentes chez les dicotylédones que chez les monocotylédones. Pour ces dernières, on peut citer la salsepareille (Smilax), la vanille (Vanilla) un genre d’orchidées lianescentes, l’igname et le tamier, deux espèces du genre Dioscorea ou encore les Gloriosa. Certaines familles de dicotylédones renferment nombre d’espèces grimpantes comme les convolvulacées (liseron, patate douce, volubilis,…), les vitacées (vigne, vigne vierge, Ampelopsis,…), les passifloracées (essentiellement les passiflores), les fabacées (haricot à rame, glycine, Derris, Hardenbergia, pois de senteur,…), les cucurbitacées (citrouille, melon,…) et bien d’autres.
Grimpante / Remontante
Le raccourci ‘plante remontante’ doit se comprendre comme ‘plante à floraison remontante’. Sont ainsi qualifiées toutes les plantes qui peuvent produire plus d’une vague de floraison au cours de la saison de végétation. Toutes les variétés de rosier buisson modernes sont remontantes mais non grimpantes
Une question de vocabulaire
Le vocabulaire employé pour qualifier les plantes grimpantes n’est pas toujours strictement défini.
* Volubile : définit une plante dont les tiges s’enroulent autour d’elles-mêmes ou d’un support.
* Sarmenteux : dans son dictionnaire de botanique publié en 1783, P. Bulliard réserve ce terme à la vigne sans ignorer qu’il a été utilisé pour quelques autres espèces. Sarmenteux qualifie des rameaux et des tiges allongés, flexibles et ligneux comme ceux de la vigne. Peut désigner les espèces qui ne disposent pas de modes d’attache dynamiques.
* Liane : plante grimpante herbacée ou ligneuse à tige particulièrement souple. Les lianes sont fréquentes dans les forêts tropicales mais on en connaît plusieurs en régions tempérées (houblon, clématite, salsepareille, glycine, chèvrefeuille, quelques variétés de rosier pouvant atteindre 6 à 8 mètres…)
Des mécanismes passifs ou dynamiques
Au cours de l’évolution, plusieurs mécanismes permettant aux végétaux de grimper vers la lumière sont apparus. Pour certains d’entre eux, les mécanismes physiologiques sous-jacents sont connus (Voir l’article de N. Dorion dans ce dossier). Ces mécanismes sont soit purement passifs, soit dynamiques et la tige a développé des aptitudes particulières.
Des végétaux porteurs d’aiguillons se servent de ces productions épidermiques pour s’accrocher de manière passive aux autres végétaux présents. Tels sont les rosiers à port grimpant ou les ronces des bois (Rubus fruticosus).
Les mécanismes dynamiques sont diversifiés. La tige volubile, dans un mouvement d’exploration, s’enroule autour de son support à son contact ; le sens d’enroulement[1] est propre à chaque espèce. Il peut être horaire, comme chez le houblon et le chèvrefeuille, ou antihoraire, comme chez le liseron ou le haricot d’Espagne. Cette dernière situation concerne un nombre plus important d’espèces que la première.
D’autres espèces comme les lierres (Hedera), les bignones (Campsis), Hydrangea petiolaris ou les Clusia utilisent les racines adventives produites sur la tige au contact du support. Chez la vigne-vierge (Parthenocissus) il ne s’agit pas de racines mais de très courtes vrilles formant une pelote adhésive à leur extrémité.
Les vrilles produites chez de nombreuses plantes grimpantes peuvent avoir plusieurs origines. Elle a une origine racinaire comme chez la vanille ou provient d’une modification de la tige (vigne, passiflores), d’une modification de la feuille (petit pois, haricot), de son pétiole (clématite), de stipules (Smilax). Leur enroulement est provoqué par le contact avec le support.
Pas seulement grimpantes
L’emploi des plantes grimpantes à vocation ornementale ou alimentaire nécessite, tant en production que pour leur utilisation, des dispositifs particuliers souvent coûteux comme le palissage des kiwis, du houblon ou de la patate douce. On reproche à certaines d’entre elles de dégrader le support sur lequel elles se fixent (lierre, vigne vierge) ou de provoquer la mort de leur hôte-support (Clusia).
Certaines espèces ornementales grimpantes, privées de support, peuvent être employées comme couvre-sol (chèvrefeuille) ou pour orner des murs en cascades. Enfin, l’imagination des horticulteurs étant sans limite, des variétés de plantes considérées comme grimpantes ont été sélectionnées pour contourner ce caractère (pois et haricots nains par exemple) ou des caractéristiques florales de grimpantes ont été introduites dans des espèces non grimpantes (clématites).
Vaillantes alpinistes : les plantes grimpantes se collectionnent aussi
« Nos vies sont comme les plantes grimpantes qui ornent les murs des édifices, elles cherchent sans cesse la lumière », indique Jean-Guy Roy. Mais là s’arrête la ressemblance car, à la différence de l’homme qui a besoin d’elles pour vivre, les plantes sont parfaitement autonomes, elles n’ont besoin de personne.
Bien qu’immobiles, les plantes grimpantes sont capables de voyager, embarquées à la semelle des chaussures, au souffle du vent, au fil de l’eau, sur la laine des moutons, clandestines dans les sacs de céréales, émigrées en prenant la route, le vélo, le bateau, le train et même l’avion. Certaines s’équipent aussi de mille systèmes judicieux pour mieux s’agripper. Actuellement architectes, paysagistes et jardiniers, en les apprivoisant, les mettent « à toute les sauces » pour couvrir de « peau végétale » les bâtiments et les logements.
Un vivier botanique
Dans l’immense diversité de ce monde subtil des plantes grimpantes, les collections labellisées par le CCVS* deviennent un véritable vivier botanique pour de nouvelles variétés aux applications multiples. Regardons la collection de lierre de Patrick Nicolas : un véritable tour du monde ! Même le lierre commun (Hedera helix L.), qui se rencontre dans toute l’Europe, en Afrique du Nord et à l’ouest de l’Asie, n’est pas si banal. Plante attachante tant elle embrasse et protège son support, d’où le dicton : « le lierre meurt où il s’attache ». Grimpante aussi, à sa façon, la ronce mythique de nos enfances. Chez Cédric Basset, le genre Rubus si cosmopolite, décrit par Linné en 1753, compte plus de 700 espèces distribuées dans le monde entier. Les clématites tant appréciées de la collection d’Arnault Travers, dont les espèces les plus horticoles peuvent être vues dans l’arboretum de Pierre Paris, à Meung-sur-Loire, n’ont pas fini de nous enchanter, lianes multicolores à l’assaut des pergolas, des murs et des arbres… Les fleurs de la passion (Passiflora) de la collection de Christian Houël concurrencent ce festival de couleurs et de diversité.
Le réchauffement climatique entraîne la disparition de l’une d’entre elles en Colombie (P. parritae Bailley) dont le seul pollinisateur, un colibri, a déserté le biotope. Considérée comme éteinte dans la nature, chacun peut la découvrir grâce aux collectionneurs. Grimpantes ou tapissantes, les capucines (Tropaeolum majus) de la collection de Jean-Patrick Agier, accueillie au jardin botanique de Lyon, stupéfient par leur diversité. Quant à la collection unique de Convolvulacées (583 espèces) de l’Arboretum du Parc de la Vallée-aux-Loups qui orne avec générosité les murs et les parterres, elle évoque une famille de plantes remarquables (on en dénombre dans le monde 1880 espèces, répartie en 53 genres, eux-mêmes classés en 9 tribus). Liserons et compagnie n’ont pas fini de conquérir la Terre.
Une place sur la planète Terre
Sur les 301 collections labellisées par le CCVS, 10 pour l’instant sont porte-drapeau des plantes grimpantes. Citons les roses parfumées du château du Rivau (450 variétés), les hybrides de Rosa gigantea de M et Mme Hook, les hoyas grimpants ou tapissants de la ville de Paris, les chèvrefeuilles (Lonicera) de l’Inra d’Angers et les autres collections de clématites (celle de la ville de Lyon et ses taxons botaniques), celle de la ville de Paris…
Bref, les plantes grimpantes ont mis en place de multiples stratégies pour trouver leur place sur la planète Terre. Par migrations, métissages, héritages et conquêtes, toutes ces plantes de collections jalonnent les grandes routes de l’histoire, véritables marqueurs culturels et économiques de l’histoire des Hommes et des Plantes.
Françoise Lenoble-Prédine
Présidente du CCVS, responsable de la revue Hommes et Plantes
*CCVS : Conservatoire des Collections Végétales Spécialisées – www.ccvs-france.org
[1] Le sens d’enroulement est ici défini en observant les tiges par le dessus