Maulévrier. Le plus grand parc oriental d’Europe
Jean-François Coffin
Il a failli disparaître à jamais. Créé au début du XXe siècle, abandonné après la 2e guerre mondiale, devenu simple exploitation agricole, un projet voulait en faire un parc de loisirs. Sauvé par des passionnés, le parc oriental de Maulévrier, le plus grand d’Europe, a retrouvé sa splendeur d’antan et même plus. Un chef d’œuvre, fruit d’efforts et de compromis. Même son organisation est à l’orientale ! Voici son histoire.
« C’est comme un bébé. Même si on a un enfant majeur, on le suit encore ». Ainsi s’exprime Jean-Pierre Chavassieux, ancien enseignant à l’origine de la restauration, ou plutôt recréation du « Parc oriental » de Maulévrier, près de Cholet (Maine-et-Loire), le plus grand d’Europe. Après en avoir été responsable, il a transmis le flambeau à Hervé Rimbaud pour se consacrer entièrement à ses fonctions de conseiller général et maire de sa commune. Mais il continue d’avoir un œil vigilant sur son œuvre et en parle avec passion !
Comme de nombreuses réalisations architecturales, le parc a connu une naissance progressive, avec une apogée, pour ensuite connaître un quasi abandon après la dernière guerre, et arriver aujourd’hui à une nouvelle gloire, avec plus de 80000 visiteurs par an. Et tout cela suite à de nombreux concours de circonstances et d’acharnement des acteurs.
Un fruit de la mode orientaliste
Tout commence fin XIXe - début XXe siècles. Alexandre Marcel, architecte parisien et orientaliste reconnu, se voit confier notamment la réalisation du pavillon du « Tour du monde » pour l’exposition universelle de 1900 à Paris. La mode orientaliste connaît alors un fort engouement. Arrivé par hasard à Maulévrier à la fin du XIXe, à la demande de Monsieur Bergère, propriétaire du château Colbert et riche industriel choletais du textile, pour restaurer le bâtiment, il propose de faire du parc « un paysage japonais ». Il fait venir le jardinier qui a réalisé le paysage japonais de l’exposition universelle. Il s’inspire également de l’ouvrage de base le « Sakutei-ki », manuscrit que Tachibana no Toshitsuna a rédigé en 1070 sur l’art de dresser les pierres, en fait l’art de construire un jardin. « Alexandre Marcel voulait créer « un jardin d’évolution de bois et de sources », alliant circulation d’eau et végétation, se transformant en fonction des saisons pour répondre à cette notion d’évolution, sans oublier le symbolisme avec la vie de l’homme, le tout marqué de l’esprit cartésien de l’architecte qu’il était », précise Jean-Pierre Chavassieux (cf. l’encadré sur la symbolique du jardin).
Un véritable parc d’inspiration japonaise
Après la dernière guerre, le parc va être transformé en exploitation agricole et forestière et progressivement abandonné. « La première fois que je suis venu à Maulévrier, en 1980, j’ai trouvé un parc de 29 ha en friche que la commune était en train d’acheter. L’étang était envasé, les allées totalement envahies par les broussailles. Les fabriques (lanternes, ponts, embarcadère, temple, pagode…) étaient en ruine, voire disparues. Malgré tout, on ressentait l’aspect romantique qui le gouvernait », indique Jean-Pierre Chavassieux.
Certes, on retrouve quelques éléments parfois un peu anachroniques, comme une « pagode anglo-normande » mais les symboles sont très présents et il y a une réelle ambiance qui suscite l’émotion. Ce qui explique la formule utilisée par les experts japonais de l’université de Tokyo et de Niigata qui ont authentifié en 1987 les 12 ha classés du parc comme « un véritable parc d’inspiration japonaise de la période d’Edo (XVIe - XIXe siècles) malgré des éléments hybrides ». Si ce classement a permis d’éviter des destructions irréversibles du parc, il fallait le sauver et le maire de la commune était à la recherche de conseils et de bonnes volontés pour le faire revivre.
Le challenge d’un prof motivé
En 1982 est créée une association dont le premier travail a été de défricher. En 1983, une nouvelle municipalité accède à la mairie, se donnant pour objectif de restaurer le parc, de retrouver son histoire et de l’ouvrir au public, évitant un projet qui envisageait d’en faire un parc de loisirs ! Tout ça avec peu de moyens. En 1986, l’association embauche son premier jardinier. « Une réflexion est menée avec une équipe à laquelle je suis associé pour envisager l’avenir du parc », souligne Jean-Pierre Chavassieux alors enseignant dans un lycée agricole de Haute-Savoie. Il venait souvent dans la région dans la famille de sa femme originaire du Maine-et-Loire. Ayant découvert Maulévrier et montrant une grande curiosité pour le parc, il a vite été repéré et impliqué dans le projet. « Je soulignais l’importance d’avoir une équipe professionnelle qui maitrise de A à Z, organisation peu courante à l’époque, ajoute-t-il. Ma conception a plu et on m’a proposé de prendre la direction du projet. Je me suis senti un peu coincé ! » Jean-Pierre Chavassieux accepte le challenge pour cinq ans en laissant de côté son métier d’enseignant et malgré le peu de moyens mis à sa disposition. Il tient à souligner le rôle prépondérant du maire qui l’a précédé, Jean-Louis Belouard, dans son implication et dans la réussite du parc et de Nicole Lenevez, inspectrice des sites à l'époque de ses débuts, « sans la confiance de ces deux personnes, je ne suis pas sûr que le parc en serait là où il est aujourd'hui », aime à préciser Jean-Pierre Chavassieux.
Une gestion dans l’esprit japonais
« Je ne connaissais pas grand-chose au jardin japonais. Après m’être beaucoup documenté, je réalise un projet de plan que je soumets à l’université au Japon, espérant de sa part des corrections et des suggestions. Je n’ai eu qu’un retour de leur part avec la mention « correct » ! En fait, dans leur esprit, le jardin doit prendre forme et évoluer en fonction de son concepteur. Et, petit à petit, Jean-Pierre Chavassieux s’imprègne de cet esprit japonais qui va même jusqu’à la composition de l’équipe qui travaille dans le parc : toutes les générations doivent être représentées, avec des différences d’âges d’environ dix ans entre les personnes. Et l’équipe a une grande part d’autonomie dans ses décisions. « Dans l’année, au moins une fois par saison, elle fait le tour du parc et chacun discute de la manière dont l’espace doit évoluer », souligne Jean-Pierre Chavassieux.
Un parc oriental récompensé
« Ce fut une expérience irremplaçable, humainement enrichissante. Ca m’a beaucoup appris sur les autres et donc sur moi. Si je me retrouve maire aujourd’hui, je ressens la même envie de partager un projet, d’apporter ma pierre à l’édifice. C’est un complément à mon métier d’enseignant où l’on voit ce que l’on donne mais pas ce que l’on construit ».
Le travail n’a pas été de tout repos, avec de nombreux week-ends sacrifiés et des semaines atteignant souvent les 60 heures ! « Mais vu le résultat aujourd’hui, je ne le regrette pas ». Les efforts de Jean-Pierre Chavassieux et de son équipe sont récompensés : le parc a reçu de nombreuses distinctions et il est reconnu aujourd’hui comme « le plus grand parc d’inspiration japonaise en Europe et comme un des projets pilote en Europe pour la qualité de sa restauration et de sa valorisation ! »
Le symbolisme du parc oriental
Le symbolisme de l’eau
Les cours d’eau vont d’est en ouest, cheminement lié à la course du soleil et symbole de la transformation de la vie, de la lumière à la nuit.
De la source au bassin, un petit ruisseau vif évoque l’enfance, le bassin évoque la période de doutes et d’incertitudes de l’adolescence, suivi de la cascade symbolisant les changements physiques et intellectuels de cette période.
Pour évoquer les difficultés de la vie adulte, le ruisseau qui suit est sinueux et l’eau est courante, symbolisant la vie active.
Le lac, pièce d’eau centrale, représente la vieillesse et la retraite, une période calme et sereine. Conformément à l’art du jardin japonais, il occupe les 3/10e du parc et comporte les « Iles du Paradis », avec des êtres immortels comme l’île grue et l’île tortue. Ils sont là pour symboliser la vie après la vieillesse et la mort.
Une végétation riche
Toutes les saisons sont marquées et l’on note, au fil des années, une « transformation du jardin » qui symbolise les différentes étapes de la vie :
- Floraison printanière : la naissance, la jeunesse (les camélias, rhododendrons, azalées).
- Floraison estivale : la maturité, la vie adulte (catalpas, seringats)
- Floraison d’automne : la palette des couleurs d’automne symbolise la richesse des connaissances acquises tout au long de sa vie (érables du Japon, nandines, mélèzes de Chine).
- La chute des feuilles symbolise la mort.
- Les persistants, l’hiver : l’immortalité ou une forme de vie avant une nouvelle renaissance (conifères, lauriers, aucubas).
Source : Parc Oriental de Maulévrier - http://www.parc-oriental.com/