Le marais de Bourges, hier et aujourd’hui
Emmanuel Bajard
Les marais de Bourges (Cher) constituent une forme particulière d’agriculture devenue urbaine par intégration à la ville au fil du temps. Parmi ceux-ci, les marais de l’Yèvre et de la Voiselle représentent une enclave de 135 hectares à quelques centaines de mètres de la cathédrale. Cette zone, aujourd’hui quelque peu sanctuarisée (zonage du PLU et classement Monuments et Sites naturels), se situe au carrefour d’enjeux multiples.
Une agriculture urbaine inscrite dans l’Histoire
Les premières opérations de drainage des marécages qui encerclaient la ville antique datent probablement du VIIIe siècle. Principalement utilisés comme pacages communaux, ils sont vendus en 1640 aux ordres religieux et aux habitants fortunés pour financer un impôt de guerre, puis loués à des particuliers qui développent une activité commerciale maraîchère et piscicole. À la Révolution, les locataires deviennent propriétaires. La parcellisation s’intensifie et une part des surfaces est destinée au jardinage vivrier à proximité des quartiers ouvriers. Le maraîchage commercial décline dès le début du XXe siècle pour s’éteindre dans les années 1970. La construction d’équipements publics aura raison de la plupart des marais cultivés. Seuls les marais classés en 2003 ont conservé une surface significative.
Entre protection et multiplicité des usages
Le principal enjeu, aujourd’hui, par rapport à la conservation de ces marais, est leur pérennité en tant que système agraire spécifique lié à l’eau. Les nouveaux usagers, tournés vers le loisir, assument plus difficilement l’entretien traditionnel des coulants (les canaux). Les marais sont ainsi menacés par les friches et le comblement. Les échanges sociaux s’intensifient en termes d’apprentissage maraîcher et de découverte naturaliste. La valorisation touristique est également au centre des réflexions.
La question de la gouvernance s’avère essentielle et suscite de nombreux débats. Ainsi, on s’interroge sur l’opportunité de créer une ASA (association syndicale autorisée). D’autres s’établissent au sujet du bassin-versant (envasement et pollution exogènes, espèces invasives…). Associations de maraîchers et pouvoirs publics ont instauré des mesures concrètes de protection : classement en site naturel, charte des usagers, entretien des coulants par déclaration d’intérêt général, alors même que cette volonté commune émane d’approches parfois contradictoires entre sauvegarde du patrimoine « métiers » (maraîchage, moulins, navigabilité…) et du patrimoine culturel, paysager ou naturaliste.
Si les marais de Bourges représentent un intérêt collectif qui dépasse le statut maraîcher, ils constituent une réponse possible à la demande sociale de qualité alimentaire et de proximité tant vivrière que commerciale. Quelle politique publique serait aujourd’hui en capacité de créer un tel espace en coeur de ville ? À chacun de savoir le protéger et le valoriser.