Lutte biologique contre le cynips du châtaignier : Quand la science et l’agronomie collaborent

Le châtaignier doit lutter contre le cynips, un minuscule insecte qui lui apporte des galles.
Cependant, la lutte biologique, via l’introduction de parasites du ravageur, s’avère efficace.

Le cynips du châtaignier, Dryocosmus kuriphilus est un micro-hyménoptère qui, comme tous les Cynipidae, possède la particularité d’induire la formation de galles sur la plante aux dépens de laquelle il se développe. Comme son nom l’indique, le cynips du châtaignier se développe exclusivement sur des espèces du genre Castanea.

Ce ravageur invasif, originaire de Chine, a d’abord envahi le Japon dans les années 1940 avant de se disséminer plus largement (Corée du Sud, Népal, États-Unis). Découvert pour la première fois en Europe (Italie) en 2002, le cynips a colonisé la quasi-totalité des zones de production castanéicoles européennes en quinze ans. En France, après avoir été détecté pour la première fois en 2006 dans les Alpes-Maritimes, c’est en 2010 que ce ravageur a été signalé dans plusieurs zones majeures de production de châtaignes (Ardèche, Corse…).

Figure n° 1 : Cycle biologique de Dryocosmus kuriphilus (en noir) et de Torymus sinensis (en vert).

Symptômes et dégâts

De fortes attaques de cynips du châtaignier peuvent abîmer significativement l’architecture des arbres, avec jusqu’à 70 % de réduction de la surface foliaire et une diminution de la production de fleurs, de fruits et de bois (ci-contre en haut). Des pertes de production de châtaignes allant jusqu’à 80 % ont été observées en Italie et en France. Outre son impact sur la production de fruits, la diminution de la production de fleurs peut également provoquer des changements qualitatifs dans la composition des miels.
L’induction des galles démarrant à la reprise de la végétation au printemps, l’infestation des bourgeons pendant l’hiver est asymptomatique. C’est un des facteurs qui explique la vitesse de dissémination de ce ravageur qui se fait principalement via le transport de matériel végétal en dormance. Des techniques microscopiques ou moléculaires (PCR) permettent toutefois de détecter la présence de jeunes larves de cynips dans les bourgeons.

Galles de cynips du châtaignier © N. Borowiec, Inrae

Biologie du cynips

Le cynips du châtaignier (ci-contre en bas à gauche) ne possède qu’une seule génération annuelle. Une caractéristique lui ayant permis d’envahir si rapidement de nombreux pays est sa capacité à se reproduire par parthénogenèse thélytoque : une femelle non fécondée ne produit que des descendants femelles.
Le cycle du cynips est synchronisé sur celui du châtaignier (Figure n° 1, en noir) : les adultes femelles émergent au début de l’été et pondent dans les bourgeons dormants qui se développeront au printemps suivant. Chaque femelle est capable de pondre jusqu’à 300 oeufs. À l’éclosion des oeufs, les jeunes larves passent l’hiver à l’intérieur des bourgeons. Au printemps suivant, au moment de la reprise végétative, ces larves vont reprendre leur développement et leur alimentation va provoquer la formation de galles (ci-contre en haut) dans lesquelles les larves vont se nourrir et se développer. Chaque galle peut contenir de 1 à 25 larves de cynips.

Quelles stratégies de protection ?

Très peu de moyens de protection sont disponibles contre le cynips du châtaignier. L’utilisation de produits phytosanitaires s’est vite montrée inenvisageable. Les deux méthodes les plus efficaces pour se protéger contre le cynips sont la lutte biologique à l’aide de Torymus sinensis et l’utilisation de variétés résistantes ou peu sensibles.

Variétés résistantes

Les premières tentatives de gestion de ce ravageur au Japon se sont focalisées sur la recherche de variétés résistantes. Après des résultats prometteurs, induisant une augmentation de la surface de production de châtaigniers au Japon, des dégâts significatifs ont de nouveau été observés dans les années 1970. En Europe, la résistance au cynips est avérée chez plusieurs variétés : ‘Bouche de Bétizac’ (C. sativa x C. crenata) et ‘Vignols’ (C. crenata x C. sativa).

Lutte biologique

Dans tous les pays envahis par le cynips du châtaignier, de nombreuses espèces natives de parasitoïdes1 sont signalées pour s’y attaquer. Une quarantaine d’espèces d’hyménoptères sont ainsi répertoriées dans le monde. Toutes sont polyphages et multivoltines (plusieurs générations par an).
La lutte biologique par acclimatation se définit par l’utilisation d’un ennemi naturel exotique, originaire de la même zone géographique que le ravageur, en vue de son établissement permanent et du contrôle durable du ravageur. Outre la régulation « gratuite » et durable du ravageur à large échelle, cette méthode de biocontrôle enrichit nos connaissances scientifiques en biologie des populations introduites, en écologie des communautés, etc.
Découvert en Chine en 1975 par des chercheurs japonais, T. sinensis est un parasitoïde spécifique du ravageur (Figure n° 1, en vert).
Les introductions de cet auxiliaire ayant abouti à un contrôle efficace des populations du ravageur au Japon, elles ont ensuite été réalisées dans divers pays avec succès.
En France, les introductions expérimentales ont démarré en 2010 et ont concerné 58 sites distribués dans diverses régions. Les suivis post-introductions ont montré que les populations du ravageur s’étaient stabilisées sous le seuil de nuisibilité quatre à cinq ans après les premières introductions. Ces suivis ont également montré que T. sinensis s’était acclimaté partout en France, aboutissant à un contrôle efficace rapide comparé aux résultats obtenus dans d’autres pays.
En France, au-delà du succès agronomique, cette opération de lutte biologique par acclimatation restera un exemple de succès en termes de productions scientifiques, de communication grand public et d’interactions synergiques entre tous les acteurs mobilisés (recherche publique, instituts techniques, stations expérimentales, syndicats de producteurs, organismes de veille sanitaire, services de l’État…).
L’unité Institut Sophia Agrobiotech d’Inrae (Sophia Antipolis), qui a coordonné cette opération de lutte biologique, va de nouveau s’impliquer dans des suivis sur l’ensemble du dispositif expérimental mis en place afin de faire un bilan de la stabilité de la régulation du cynips du châtaignier plus de dix ans après les premières introductions.

Nicolas Borowiec
Ingénieur de recherche Inrae
Inrae PACA – UMR Institut Sophia Agrobiotech – 400 route des Chappes – Sophia Antipolis

Adulte femelle de cynips du châtaignier © J.-C. Malausa, Inrae
Adulte femelle de Torymus sinensis, parasitoïde du cynips du châtaignier © J.-C. Malausa, Inrae

RÉFÉRENCES UTILES

Borowiec N, Thaon M, Brancaccio L, Cailleret B, Ris N and Vercken E (2018). Early population dynamics in classical biological control: establishment of the exotic parasitoid Torymus sinensis and control of its target pest, the chestnut gall wasp Dryocosmus kuriphilus, in France. Entomologia Experimentalis et Applicata 166, 307-379.
Borowiec N and Sforza FH (2020). Chapitre III : lutte biologique par acclimatation. In: Biocontrôle – Éléments pour une protection agroécologique des cultures. Fauvergue X., Rusch A., Barret M., Bardin M., Jacquin-Joly E., Malausa T., Lannou C. (Eds). Editions QUAE, 376 pages, pp. 49-62.

1 Parasitoïde : insecte présentant une vie adulte libre, mais une vie pré-imaginale parasite d’une autre espèce (hôte). À la différence d’un parasite, le développement à terme d’un parasitoïde aboutit à la mort de l’hôte.