L’orme : un classique pour les peintres outre-Manche
Comme le chêne(1*), l’orme a inspiré les peintres, notamment outre Manche, où il a fait l’objet de nombreuses œuvres. La quasi-disparition de l’arbre, à cause de la graphiose, donne aujourd’hui à ces œuvres du passé une valeur testimoniale inestimable. Tour d’horizon.
Les ormes, arbres majestueux par excellence, souvent présents isolés dans les prairies ou dans les villes, ont été peints surtout par des artistes britanniques : John Constable (et son fils Lionel), Nash et Stubbs. Parmi les peintres français, Barotte, Bertin, Camoin, Colle, Guérin, Jean-Haffen ont illustré les ormes et probablement Monet, Pissarro, Sisley, Troyon. Toutefois, ce sont les gravures, essentiellement britanniques, qui fournissent les représentations les plus précises des ormes. Elles sont nombreuses dans l’ouvrage de Richens (1983). Ceci n’a rien d’étonnant car l’orme est, pour les Britanniques et les Américains, une espèce emblématique(2*). Pour les Français, même si l’attachement à cet arbre n’est pas aussi évident, il faut quand même rappeler que cette essence est la première à avoir été utilisée en alignement à Paris, quai des Célestins, au XIVe siècle. En effet, Sully voulait en voir planté un dans chaque village et il a aussi souvent servi d’arbre de la liberté durant la Révolution.
La peinture, œuvre de sauvegarde patrimoniale.
On peut considérer que les peintres, en figurant des ormes isolés majestueux, ont fait œuvre de « sauvegarde patrimoniale », ces géants ayant tous aujourd’hui disparu pour cause de vieillesse ou de graphiose. Trois espèces sont représentées : en Europe l’orme champêtre (Jean-Victor Bertin, ci-dessus), de forme très variée (Ulmus minor), l’orme de montagne (U. glabra) et, outre Atlantique, l’orme américain (U. americana) (Marc-Aurèle Fortin, ci dessus). Contrairement à d’autres feuillus (chêne, hêtre, peuplier), les ormes peints offrent des silhouettes peu typées au point d’être difficilement reconnaissables, d’autant plus que peu de peintres ont recherché la fidélité. Parfois, son houppier, aussi large que haut, ressemble à celui du chêne. Il s’agit vraisemblablement de l’orme de montagne. Souvent, en Grande-Bretagne, le houppier a la forme d’un toupet sommital évasé alors que, le long du tronc, se trouvent deux ou trois groupes de feuillage nettement plus étroits que la cime. Cette forme, rare sur le continent, pourrait correspondre à une variété de l’orme champêtre (Ulmus minor var. vulgaris ou English Elm). Opportunément, d’assez nombreux peintres ont inclus le mot « orme » dans le titre de leurs œuvres. Quelquefois, les auteurs apportent des précisions en s’appuyant sur une connaissance précise des lieux peints (Richens) ou sur l’histoire des lieux plantés (Heyboek et al. 2009).
Les divers peuplements d’ormes
En zone rurale, les toiles comportent des arbres adultes isolés (Bertin : Étude d’ormeau ; Carlsen : Brook Elm; Clausen : Elm Tree in Spring ; Forster: English Elm; Hoffer: Elm; Innes : Old Elm at Medfield et The Elm Tree ; Nicholson : The Elm Tree by Mells Church ; Rothenstein : Wych Elm in Winter).
Ils présentent alors le houppier bien développé d’un orme champêtre ou d’un orme de montagne.
Sur nombre de peintures britanniques, les ormes sont en petit groupe d’arbres adultes. Ils prennent alors la forme déjà décrite de « l’English Elm ».
Certaines peintures présentent des alignements d’ormes au bord d’une pièce d’eau (Claus : Elms in Landscape ; Johnson : Young Elms at West Campton, New Hampshire), en campagne (Fisher: On the Road of Newport) ou en ville (Hassam : Elms East Hampton New York et van der Heyden : Canal in Amsterdam).
Cette dernière œuvre est l’une des plus anciennes (XVIIe siècle). L’Orme utilisé comme tuteur de la vigne depuis l’époque romaine a été illustré par Hackert (3*). Il était fréquent qu’une place au centre d’un village comporte un orme champêtre vénérable, en particulier en Provence (L’orme de Ramatuelle, ci dessus à gauche). Camoin a peint l’un d’entre eux (Coin de la place de l’ormeau à Ronchelle). Parfois, seule une partie de l’arbre est visible. La plus belle œuvre est due à Constable (Study of the Trunk of an Elm Tree) (Constable, ci-dessus à droite).
Clausen a produit une toile assez semblable (The Elm Tree). Bien que le feuillage de l’orme soit caractéristique (dissymétrie de la base du limbe, disposition distique), les détails du feuillage de l’orme n’apparaissent que dans de rares œuvres : Mamedova (Under the Shadow of an Elm) et Danby (Boy Sailing a Little Boat).
Des ormes historiques
Aux États-Unis, un orme américain dit « du traité de Philadelphie » a été peint par Birch père et fils dans un ouvrage illustrant Philadelphie. Il a aussi fait l’objet d’une peinture à l’huile de Benjamin West (vers 1771-72) sous le nom de Penn’s Treaty with the Indians4. Le même sujet a été peint plusieurs fois par Edward Hicks sous le même titre Penn’s Treaty with the Indians. L’œuvre de West est présente au musée des beaux-arts de Philadelphie, qui détient aussi une aquarelle de Richards intitulée : The Elm under which Washington First Took Command of the Continental Army, Cambridge, Massachusetts. Au Royaume-Uni, Constable a d’abord peint Reapers en 1783 avec en arrière-plan une haie d’ormes, peinture considérée par Richens comme la meilleure représentation britannique de l’English Elm. Dans la seconde version (1785), comme dans la troisième (1795), les ormes sont remplacés par des feuillus
non reconnaissables.
Les adversités et l’avenir des ormes
Jacob van Ruisdael a peint un orme tronqué et écorcé pour lequel deux titres sont disponibles (L’Orme foudroyé avec vue d’Egmond aan Zee dit aussi Vieil orme avec vue d’Egmond aan Zee). Hunt, sur une aquarelle (Pollard Elm and Village Pound, Hambledon), montre un arbre âgé marqué d’une longue fissure verticale qui peut suggérer un coup de foudre. De même, Waldmüller (Old Elms in Prater) a peint un arbre mort en grande partie écorcé au premier plan d’un groupe d’ormes adultes. Mamedova (Under the Shadow of an Elm) représente un orme fourchu dont les deux charpentières présentent une fissure longitudinale.
Les ormes européens ont subi deux épidémies de graphiose (due à Ophiostoma novo-ulmi). Bien que nous n’ayons pas trouvé de peinture illustrant un orme malade, certains titres évoquent cette maladie comme l’œuvre de Walson intitulée Surviving Elm Tree. La seconde épidémie fut très meurtrière (Pinon et Feugey, 1994), les Britanniques ont estimé à 25 millions le nombre d’arbres adultes disparus alors que certains départements français ont perdu plus de 99 % de leurs ormes selon l’Inventaire forestier national. L’orme, dans la nature, à de rares exceptions (arbres très isolés), est réduit définitivement à l’état d’arbuste issu des rejets et drageons des arbres morts. Néanmoins, les travaux de sélection ont permis de proposer des variétés résistantes (Pinon et Cadic, 2007), de parenté soit asiatique soit essentiellement européenne comme ‘Lutèce’ et ‘Vada’, sélections conjointes Inra-Alterra distribuées par le Sapho. Sans avoir la prétention de remplacer tous les arbres adultes disparus, ces variétés permettent de planter de nouveau des ormes qui deviennent adultes en restant sains. À ce jour plus de 275 000 plants de ces deux variétés ont été installés en France et parfois à l’étranger (Pays-Bas et Grande-Bretagne principalement). L’un d’eux planté au jardin Godron de Nancy a été peint par Ann Mary Charpentier (ci-dessus, à droite). Cette peinture est la plus récente comportant un orme et illustre ce retour des ormes adultes, notamment en ville.
Jean Pinon
DR honoraire Inrae, membre de la société centrale d’horticulture de Nancy
Noëlle Dorion
Membre du comité de rédaction de Jardins de France
(1*) Du même auteur voir dans Jardins de France #659
www.jardinsdefrance.org/
les-chenes-remarquables-francais-vus-par-les-peintres/
(2*) Gerald Wilkinson (1978) Epitaph for the Elm, Arrow Books ltd., 159 p
(3*) Peasants Resting Beneath Vines in the Hills above Solfatara, with a View of Ischia, Procida and the Bay of Pozzuoli beyond
(4*) William Penn a conclu un traité de paix avec un chef indien du clan des tortues Lenape nommé Tamanend.
RÉFÉRENCES
Heybroek H.M., Goudzwaard L., Kaljee H. Iep of Olm. 2009, 272 p.
KNNV, Zeist
Pinon J, Cadic A. Les ormes résistants à la graphiose. Forêt-Entreprise, 2007, n° 175, p. 37-41
Pinon J., Feugey L. La graphiose de l’orme: une maladie dévastatrice à causes bien identifiées. Revue Forestière Française, 1994,
Vol. 46, n° 5; p. 422-430
Richens R.H. Elm. 1983, 347 p. Cambridge University Press, Cambridge
www.jardinsdefrance.org/orme-du-passe-au-futur