L’influence de la dynastie des pépiniéristes Baumann de Bollwiller sur l’horticulture et le goût des jardins
Fondées en Alsace au XVIIIe siècle par Jean Baumann, les pépinières du même nom se développent pendant six générations. Elles connaissent les fastes et prennent une dimension internationale au XIXe siècle avant de décliner lors du siècle suivant pour finalement tomber dans l’oubli.
Lorsqu’on évoque Bollwiller en 2021, les Haut-Rhinois assimilent la commune à une station de chemin de fer. Les historiens, eux, l’associent aux mines de potasse d’Alsace. Certains arboriculteurs citent la poire et la noisette de Bollwiller, mais très peu mentionnent les pépinières Baumann, complètement tombées dans l’oubli. Et pourtant, au XIXe siècle, il suffisait d’indiquer qu’une plante venait de Bollwiller pour sous-entendre qu’elle avait été produite par les pépinières des Frères Baumann. En effet, la commune a été le siège de cette entreprise familiale, fondée au XVIIIe siècle, qui a perduré jusqu’en 1969.
Des pépinières fondées au XVIIIe siècle
Vers 1735, Jean Baumann fonde à Bollwiller des pépinières. Ses fils et petits-fils mènent l’entreprise à son heure de gloire dans la première moitié du XIXe siècle. Elle se pérennise, traverse les modes et les changements géopolitiques sur six générations. Elle se démarque à travers la production de plantes rares dont la diffusion se révèle lucrative. L’activité principale de production d’arbres et d’arbustes est complétée dès le début du XIXe siècle par du paysagisme, diffusant notamment en Alsace et en Suisse les jardins pittoresques.
L’horticulture, au XIXe siècle, est une activité à la croisée de plusieurs domaines. La production en elle-même se déroule dans le monde rural, mais l’horticulture d’ornement s’adresse particulièrement à une clientèle aisée, qui se développe avec la croissance économique du XIX e siècle. L’horticulture épouse aussi le domaine des sciences et des techniques puisqu’elle nécessite d’importantes connaissances en botanique. Son objectif marchand pousse les praticiens à des techniques de haut niveau scientifique, comme les greffes ou les hybridations, alors encore empiriques, qui donnent naissance à des variétés dites horticoles. L’horticulture n’est, enfin, pas sans rapport avec le domaine de l’art. Les nouveautés végétales deviennent l’objet de représentations et leurs images se diffusent à travers les arts et les arts décoratifs. Le lien se resserre encore lorsque l’horticulteur développe ses compétences en « dessin de jardin ». L’horticulture se révèle donc une activité complexe mais dont l’analyse historique permet une nouvelle lecture du paysage culturel.
Faste et essor au XIXe siècle
L’établissement Baumann, de renommée internationale, a connu des périodes de faste, en tant que pionnier dans cette activité, mais aussi des difficultés entraînant des changements de raison sociale ou d’associés. L’établissement des Frères Baumann a bénéficié de l’essor lié à l’industrialisation et fait naître une nouvelle activité économique : l’horticulture, destinée à arborer les parcs paysagers avec goût, certes, mais également à remplir les serres avec des espèces rares… et onéreuses ! La dynastie des Baumann en développe le commerce, passant de la botanique scientifique à la botanique capitaliste.
L’étude de la clientèle de l’entreprise a permis d’établir que le patronat industriel représente un débouché important pour l’établissement, illustrant le passage de la société aristocratique à la société bourgeoise européenne. L’analyse des ventes, dont 90 % se font vers l’étranger dans les années 1820, positionne aussi l’établissement à un niveau de rayonnement européen, tourné vers le monde germanique. Après cette période propice à l’activité des pépinières Baumann, son déclin trouve sa source dans une situation conjoncturelle, incluant notamment l’émergence d’une concurrence et le développement de la production en grande série mais relève également d’un essoufflement de sa capacité d’entrepreneuriat.
Dans un contexte d’engouement pour les végétaux exotiques, la mise en perspective par rapport à l’histoire des sciences permet de percevoir les prouesses en matière d’approvisionnement en plantes nouvelles, mais aussi les enjeux autour de l’acquisition et de la transmission d’un savoir-faire en constante évolution, nécessaire à leur reproduction en nombre et à leur acclimatation.
Les Baumann s’inscrivent dans un réseau européen d’échanges et de formation générant une émulation et permettant les progrès fulgurant de l’horticulture au XIXe siècle. Les affinités personnelles des Baumann avec les botanistes Gmelin à Karlsruhe, Candolle à Genève ou encore Loudon en Angleterre s’avèrent décisives.
Des productions d’excellence
Les productions des pépinières Baumann épousent l’évolution du goût bourgeois. Les nouvelles demeures mobilisent l’excellence en termes d’architecture, d’artisanat d’art et d’arts décoratifs. Elles se parent aussi de parcs et jardins, véritables écrins de verdure. Montrées et objets de fierté, biens de consommation, les plantes se trouvent soumises aux modes changeantes. Héritage du XVIIIe siècle, les plantes dites d’orangerie occupent une bonne place dans les habitats bourgeois du début du XIXe siècle. De nouvelles plantes, importées par des découvreurs naturalistes, ornent progressivement les jardins d’hiver et les vérandas. À l’extérieur des habitats, le pittoresque est recherché dans les parcs et jardins. Pour recréer des points de vue dignes de tableaux, les grands arbres, tels que les catalpas, les cèdres ou les séquoias, s’imposent comme des attributs incontournables. Ils permettent des jeux de lumière, de tons et de feuillage. Cet éclairage horticole modifie la perception de l’histoire des jardins au regard des modes végétales. Alors que les fleurs étaient exclues de ces aménagements dans la première moitié du XIXe siècle, la seconde moitié est témoin de la plantation de massifs de plantes à bulbe ou d’annuelles (verveines, dahlias, géraniums, chrysanthèmes), puis de roseraies et d’espèces grimpantes.
La diffusion de plantes nouvelles et les progrès horticoles ont contribué à l’évolution de ces aménagements de jardins. La culture massive de certaines variétés les a imposées comme des incontournables. L’activité de paysagiste, développée par trois membres de la dynastie sensibles et dotés d’une fibre artistique, a participé au renom de la pépinière. Ces différents champs de recherche ont pu être questionnés grâce à l’existence de sources historiques dispersées à travers des archives publiques et privées, en France mais également en Allemagne, en Suisse, en Belgique, en Angleterre, aux États-Unis et même en Australie.
Ainsi, l’établissement Baumann, dont l’essor intervient en amont du grand âge d’or de l’horticulture, se révèle pionnier. Maillon manquant entre la plante rare cultivée dans les grands jardins botaniques et la plante diffusée et connue de tous, son action a largement contribué à la propagation de nouvelles introductions végétales en Europe. Les pépinières Baumann ont marqué les parcs et jardins, en approvisionnant le marché en espèces jusque-là réservées aux collections botaniques. L’étude de cet établissement horticole constitue un apport pour l’analyse des jardins du XIXe siècle en France mais aussi en Allemagne et en Suisse.
Cécile Modanese
Historienne