L’évangile¹ du greffage de l’érable selon Baltet
Si le greffage peut s’apparenter à la conjugaison d’espèces bien définies, il est parfois des possibilités que l’on ne soupçonne pas… ou que l’on redécouvre, comme Jean-Luc Boulard a pu en faire l’expérience.
La lecture de l’ouvrage sur le greffage, Le Greffage : son histoire, ses mécanismes, ses utilisations en horticulture, paru en 2018 sous les auspices de la SNHF(2*) m’incite à partager une expérience issue de la consultation d’un livre cité dans cet opuscule, L’Art de greffer, de Charles Baltet(3*), non pour ajouter à ce qui a été écrit mais plutôt pour apporter un témoignage sur la richesse parfois oubliée des observations consignées par Baltet dans ce précieux livre.
Une expérience malheureuse en sols calcaires
Ayant conçu et réalisé le parc du Moulin-à-Tan à Sens (Yonne), un parc paysager municipal d’une quinzaine d’hectares doté d’un arboretum, labellisé en 2011 Jardin remarquable par la D.R.A.C. de Bourgogne, je me suis heurté, dans le choix des plantations, à la nature argilo-calcaire des sols de la vallée de l’Yonne et à l’impossibilité d’implanter un grand nombre d’espèces calcifuges. Rien de dramatique bien entendu, tant la diversité végétale permet d’autres choix.
J’ai toutefois voulu tester les limites de plantes réputées ne pas supporter les sols calcaires, ce qui s’est soldé par des expériences malheureuses me laissant quelques regrets, en particulier dans la plantation de certains érables dits à « écorce de serpent ». Le dernier à disparaître, quatre ou cinq ans après sa plantation en 1998, fut un Acer pectinatum ssp. maximowiczii, charmant arbuste ou petit arbre au port évasé et à l’écorce jaspée.
Alors que nombre de végétaux sont rendus aptes à se développer dans des conditions de sols contraires à leurs exigences par l’entremise d’une greffe sur un porte-greffe adapté à ces conditions, il m’avait paru intéressant de voir quelles alternatives pouvaient être trouvées à cet état de fait.
Quand les limites de la greffe touchent les limites de l’imagination
La greffe n’est pas seulement pratiquée pour multiplier les variations végétales que l’homme crée ou sélectionne, mais également pour fournir à une plante un système racinaire adapté aux sols (par exemple des rosiers sur terrains argilocalcaires), bien résistant à certaines pathologies (par exemple le Phylloxera de la vigne) ou encore conférant la vigueur attendue pour l’utilisation ultérieure du sujet greffé (par exemple, des arbres fruitiers suivant la forme cultivée).
La lecture du livre de Charles Baltet L’Art de greffer, constamment réédité depuis sa première publication en 1869, m’a permis de découvrir, pour chaque plante décrite, de multiples observations sur la compatibilité des genres ou espèces entre elles, en l’occurrence pour les érables.
Dans ce manuel pratique, l’auteur détaille tous les types de greffes ainsi qu’une myriade de variantes, mais il constitue également le carnet de notes extrêmement détaillé et précis d’un éminent pépiniériste(4*), à la fois praticien, expérimentateur et vulgarisateur de ses connaissances au travers de ses nombreuses publications.
Qui pourrait imaginer que le châtaignier puisse se greffer sur un chêne, l’érable de Pennsylvanie ou érable jaspé sur le modeste érable sycomore ? On relève également les compatibilités suivantes : chionanthe sur frêne à fleurs, lilas sur troène, néflier sur Sorbus aucuparia (ou encore sur cognassier et aubépine), S. domestica sur cognassier ou aubépine, cultivars de noisetier commun sur noisetier de Byzance pour former des arbres en tige.
Des livres à la pratique expérimentale
C’est ainsi que, pour le genre Acer, Baltet explique : « L’Acer pseudoplatanus est le sujet qui sympathise avec les divers groupes […], les sujets greffés gagnant parfois en rusticité à son contact » et que « l’érable jaspé Acer pensylvanicum vit sur le sycomore par l’écussonnage de bourgeons anticipés(5*). »
J’expérimentai donc cette alliance a priori improbable en greffant l’Acer pectinatum ssp.maximowiczii dépérissant, poussant sur ses propres racines faute d’avoir été greffé, sur Acer pseudoplatanus. Greffe en écusson, au collet (en pied), à œil dormant, en juillet-août, avec un œil simple (sans rameau anticipé comme le recommande Charles Baltet), sur de jeunes plants d’un an installés en pleine terre l’hiver précédent. Sansproblème, j’obtins l’année suivante des scions(6*) vigoureux qui, mis en place dans le jardin en 2004, prospèrent depuis (voir photos) et ne manifestent pas, après quelques années, de phénomène de rejet comme cela a pu être observé, par exemple, sur Quercus frainetto greffé sur Quercus robur.
Sans parler de production commerciale de masse à la rentabilité probablement illusoire, n’y aurait-il pas, pour certains végétaux réputés difficiles ou impossibles à cultiver dans certaines conditions de sols, un savoir à se réapproprier par les pépiniéristes spécialisés, les collectionneurs et les sociétés d’horticulture ?
Jean-Luc Boulard
Ancien directeur du service Parcs, jardins et espaces verts de la ville de Sens, président de la Société horticole de Sens
(1*)Un évangile, du latin evangelium, lui-même emprunté au grec ancien εύαγγέλιον / euaggélion, signifie « bonne nouvelle ».
(2*) Le Greffage : son histoire, ses mécanismes, ses utilisations en horticulture, ouvrage collectif du Conseil scientifique de la Société Nationale d’Horticulture de France – 2018 – 86 pages, broché.
(3*) Charles Baltet, L’Art de greffer les arbres, arbrisseaux et arbustes fruitiers, forestiers, ou d’ornement, Masson, 1869 et éditions suivantes.
(4*) Voir sa biographie dans Un Panthéon imaginaire des Jardiniers du XIXe siècle, Daniel Lejeune, SNHF, 2018.
(5*) Le rameau anticipé sur cet érable est une pousse, en général très courte, issue d’un bourgeon de l’année même, avant que le rameau qui le porte ne soit lignifié.
(6*) Désigne un jeune plant greffé d’un an.