Les Victoires du paysage : le Grand Tour de France du paysage contemporain
Michel Audouy
En décembre 2014, les Victoires du paysage ont livré leur nouveau palmarès. Ce concours national, initié en 2008 par l’interprofession de l’horticulture et du paysage (Val’hor), à l’initiative de la commission des métiers du paysage (COMEP), s’est fixé plusieurs objectifs : replacer le paysage et le végétal au cœur des espaces de vie quotidiens, sensibiliser les décideurs et valoriser les savoir-faire.
Les Victoires récompensent en premier lieu les maîtres d’ouvrage, publics, privés, particuliers, ayant eu recours au triptyque professionnel – pépiniériste, entrepreneur du paysage, paysagiste – pour la mise en œuvre d’un projet d’aménagement paysager de qualité.
Les lauréats se répartissent en plusieurs catégories. Pour les collectivités, nous distinguons les catégories espace public urbain, parc et jardin urbain, aménagement de quartier, espace à dominante naturelle et infrastructure verte. Les entreprises, hors secteur immobilier, constituent une catégorie à part entière dans laquelle on trouve des jardins d’entreprises, l’aménagement des abords de sièges sociaux, des centres commerciaux… Les projets de promoteurs immobiliers font l’objet d’une catégorie à part, en tant que secteur à développer. Enfin, les particuliers se répartissent entre jardins de moins de 500 m2 et les jardins de plus de 500 m2.
De la sélection au jury final
Une première sélection est effectuée début juillet, sur dossier, s’en suivent des visites sur le terrain, avec rencontre des acteurs, pendant tout l’été. Un jury final composé de professionnels, de journalistes et de personnalités du monde du paysage et du jardin se réunit pour décider du palmarès en octobre ; depuis 2010, sous la présidence de l’académicien Erik Orsenna.
Quelques chiffres : depuis 2008 plus de 300 candidatures ont été examinées, une centaine de maîtres d’ouvrage ont été récompensés, et plus de 400 professionnels valorisés.
Du petit au plus grand
Au fil des palmarès, les Victoires du paysage, constituent un véritable panorama de la création paysagère contemporaine en France et de son évolution.
Les projets vont du tout petit jardin au cœur de la ville à de grands espaces naturels, de la petite commune de quelques centaines d’habitants à la grande métropole. Impossible de les citer tous mais il convient d’évoquer quelques exemples emblématiques, comme la petite ville de Sézanne aux portes de la Champagne. Elle a été récompensée en 2008 pour sa promenade entre le Domaine des Saules et le quartier Saint-Pierre, une liaison plantée d’arbres fruitiers et de tilleuls, entre l’ancien et le nouveau village, tissant des liens avec la campagne comme avec la ville.
Massongy, petit village de Savoie, a été lauréat à trois reprises pour le jardin de la mairie en 2008 et pour une place en 2010. En 2012, il a reçu une victoire d’honneur valant exemple et encouragement pour toutes les petites communes suivant la même voie.
Savoir-faire paysager
En 2010, le projet de renaturation de la côte et de réaménagement du sentier littoral du Pouliguen obtient une Victoire d’or pour une très belle reconstitution de la nature… une forme de reconnaissance pour ce nouveau type de commande et cette nouvelle approche du savoir-faire paysager. Toujours la même année, la ville de Caumont-sur-Durance est lauréate pour son jardin romain, cherchant à reconstituer le jardin d’une villa gallo-romaine du Ier siècle, et la ville de la Valette du Var, pour la réhabilitation du parc d’un ancien domaine agricole devenu public. Notons encore la Victoire d’or décernée aux Jardins Suspendus du Havre, un ancien fort militaire transformé en un parc de 17 hectares offrant un panorama grandiose sur la ville et le port.
Transformer des contraintes un atout
L’aménagement extérieur des abords du Zénith de Strasbourg, esplanades et parkings, a marqué les esprits. Ce très beau projet a fait de la contrainte de l’imperméabilisation des sols un atout majeur pour traiter un parking en un « presque parc » paysager. Le quartier des Flandres à Merville dans le Nord a aussi obtenu une belle récompense. C’est un quartier durable répondant aux enjeux environnementaux, économiques et sociaux, à travers 6 hectares d’espaces verts : 900 arbres plantés, des axes de circulations cyclistes et pédestres créant un lien avec le centre ancien. La victoire a été attribuée au promoteur immobilier (Nexity), pour son engagement dans un projet qui dépasse le simple aménagement.
L’année 2012 est marquée par la distinction de plusieurs grandes villes. Lyon est Victoire d’or pour la réhabilitation de l’ensemble des quais du Rhône. Plusieurs kilomètres de berges naturelles, d’espaces publics et de promenades ont pris la place de délaissés urbains et de parkings, restituant à la ville son lien emblématique avec le fleuve. La ville de Paris est lauréate pour le parc Martin Luther King et la capacité de ce beau parc contemporain de 12 hectares, à structurer un nouveau quartier sur d’anciennes friches ferroviaires.
Coulée verte
Dans le Grand Toulouse, l’écoquartier Andromède s’étend sur 210 hectares, organisés autour d’un vaste parc linéaire généreusement planté d’arbres de hautes tiges. Le parti pris paysager s’appuie sur trois axes : la gestion de l’eau, l’insertion paysagère et la biodiversité, facilitées par une riche palette végétale.
Il faut citer également, parmi quelques belles réalisations, l’élégant jardin de la Cour des Arts à Nantes, qui se faufile dans les dents creuses d’un îlot rénové, entre respect du patrimoine et création contemporaine.
La quatrième édition, en 2014, se caractérise plus encore, par un échantillon de lauréats très divers – des grandes villes bien sûr, mais également un hôpital, Réseau ferrés de France, le ministère de la Culture, des conseils généraux… et des aménagements qui le sont tout autant, du petit jardin raffiné en plein Paris, ou à Dinard au bassin de rétention de Vaires-sur-Marne, sans oublier la coulée verte de Nice.
Grand prix pour Nice
Le jardin des Migrations du fort Saint-Jean à Marseille a fait l’unanimité pour son raffinement et la réponse à une commande impossible : faire un jardin sur les contreforts d’une vieille forteresse exposée aux embruns et reliée au MuCEM. Tout en terrasses et en plates-bandes de garrigue, ce jardin écrit déjà une page de l’histoire des jardins au XXIe siècle. À Vaires-sur-Marne, Réseau ferré de France a accepté de financer un bassin d’expansion des crues de la Marne, traité en zone humide paysagère, gérée aujourd’hui par une association de naturalistes, anciens du Muséum de Paris. Le site accueille régulièrement des visites pédagogiques.
Enfin, le grand prix du jury revient à la ville de Nice pour la promenade du Paillon. Entre collines et mer, en à peine deux années de chantier, ce qui n’était que vaste parkings et espaces délaissés, est devenu, sur près de 2 kilomètres, un poumon vert au cœur de la ville ancienne. Ce ruban jardiné, richement planté d’essences locales et botaniques, doté d’équipements beaux et généreux, est devenu la promenade préférée des Niçois.
Des habitants acteurs
À l’issue de leur quatrième édition, les Victoires représentent un véritable observatoire des modes, des tendances de l’art du jardin et du paysage mais également des évolutions de fond de l’exercice des professionnels. La question environnementale est de tous les projets, dans la gestion de l’eau (les écoulements, les eaux pluviales), comme dans son économie. Elle est aussi présente dans les choix des essences (si possible locales…) et dans les modes de gestion (gestion différenciée…).
Beaucoup de projets intègrent désormais la participation des habitants, de la concertation la conception même des lieux où les activités de jardinage, sont omniprésentes : lien social, liaisons piétonnes, continuités visuelles, ouverture… tout un vocabulaire pour exprimer la volonté de mettre en relation les lieux et les territoires.