Les tribulations du pommier cultivé en Eurasie

Domestiqué en Asie il y a plus de 4 000 ans, le pommier cultivé s’est ensuite hybridé plusieurs fois avec des pommiers sauvages durant son voyage jusqu’en Europe. Ces pommiers sauvages sont aujourd’hui menacés et des programmes de conservation sont mis en place pour les préserver.

Une histoire de domestication complexe

Quelle est l’origine des variétés de pommes que nous mangeons dans nos assiettes ? Des analyses génétiques d’échantillons de feuilles récoltés par des chercheur(e)s et le grand public depuis 2009, ont permis de répondre à cette question.

Pommes sauvages © A. Cornille et al.

Ces analyses ont montré que le pommier cultivé, Malus domestica, a été domestiqué entre les 10 000 et 4 000 dernières années, dans les montagnes du Tian Shan en Asie Centrale à partir de l’espèce locale de pommier sauvage, Malus sieversii (Figure n° 1). Cette dernière présente des pommes aux goûts et aux formes très variés, et dans certains cas, très proches des pommes cultivées (Figure n° 1).

Par la suite, le pommier cultivé a été amené en Europe, le long des routes de la soie, traversant ainsi l’Asie, le Caucase, puis l’Europe. Lors de ces tribulations en Eurasie, des échanges de gènes ont eu lieu entre le pommier cultivé et les espèces sauvages locales, tout d’abord, de manière anecdotique avec le pommier sauvage Caucasien, Malus orientalis. Le pommier sauvage européen, Malus sylvestris, est ensuite entré en scène relativement récemment, lorsque le pommier cultivé a été amené en Europe par les Grecs et les Romains, il y a environ 1 500 ans. À ce moment-là, le pommier cultivé a été massivement introgressé par le pommier sauvage européen (Figure n° 1). Les deux espèces sauvages, européenne et caucasienne, présentent des fruits petits et acides (Figure n° 1) [1, 2].

 

Le pommier sauvage européen, cinq populations

À nouveau grâce à des marqueurs génétiques, l’histoire du pommier sauvage européen a pu être reconstruite depuis la dernière grande glaciation du Pléistocène. Ces marqueurs génétiques ont permis de montrer que, par le passé, le pommier sauvage européen a résisté au changement de climat. Il y a 20 000 ans, lors de la dernière glaciation, la baisse des températures a entraîné la migration des populations de pommier sauvage européen vers le sud de l’Europe. Plusieurs groupes se sont ainsi formés : en Scandinavie, dans les Balkans, à l’ouest et à l’est de la France et en Italie. Ces groupes ont évolué séparément et leurs génomes se sont différenciés. Il y a 10 000 ans, sous un climat qui se réchauffe à partir de l’Holocène, les pommiers sauvages ont regagné l’ensemble de l’Europe (Figure n° 2, voies de migrations suivies par le pommier sauvage) en conservant leurs particularités génétiques. De ce fait, on observe à présent cinq groupes génétiques de pommiers sauvages en Europe (Figure n° 3 et 4).

Le pommier sauvage européen menacé par les activités humaines

Aujourd’hui, le pommier sauvage européen est menacé par la destruction et la fragmentation de son habitat ou encore l’hybridation avec les pommiers cultivés. Les échanges de gènes des vergers de pommiers cultivés vers les populations naturelles de pommiers sauvages en forêt sont en effet massifs en Europe [3]. Ces flux de gènes peuvent menacer l’intégrité génétique à long terme des pommiers sauvages, alors même que cette espèce est déjà considérée en danger en Belgique et en République tchèque du fait de la fragmentation des paysages qui diminue drastiquement ses effectifs. Il est donc urgent de l’étudier, de le conserver et de le protéger.

Plateau de Saclay : une collection patrimoniale vivante de pommiers sauvages

Un projet multi-acteurs (académiques et non académiques, locaux, nationaux et internationaux [4, 5]) et multi-objectifs (recherche, conservation, pédagogie et paysager) a vu le jour : la mise en place d’un verger conservatoire, expérimental et pédagogique sur le territoire du plateau de Saclay. Ce verger s’inscrit à terme dans un projet de conservation de la diversité du pommier sauvage en France, et plus largement en Europe, de sa reforestation, et de la compréhension de l’impact du changement climatique chez les arbres fruitiers. Ce verger de pommiers sauvages du plateau de Saclay vise à répondre aux questions suivantes : Quelles sont les capacités de réponse des arbres fruitiers au changement climatique et aux attaques de ravageurs ? Comment, dans un contexte de changements globaux (perte de biodiversité, changement climatique, frag- mentation des habitats, déforestation), conserver de manière raisonnée les ressources génétiques du pommier sauvage pour les futurs programmes de réintroduction dans les forêts et d’amélioration variétale de la pomme ? Ce site est aussi en cours de réplication en France (à plus petite échelle avec 100 pommiers par réplicat). Il est aussi à noter que les espèces sauvages dans le Caucase et en Asie Centrale sont menacées. Des programmes de conservation sont aussi envisagés.

 

Figure n° 4 : Aujourd’hui, le pommier sauvage européen est menacé par la destruction et la fragmentation de son habitat ou encore par l’hybridation avec les pommiers cultivés. Le verger de pommiers sau- vages (Malus sylvestris) de Saclay représente les cinq populations de pommier sauvage européen, dont chaque individu a été caractérisé génétiquement © A. Cornille, 2020

 

Amandine Cornille
Chercheure CRCN CNRS, Laboratoire génétique quantitative et évolution – Université Paris-Saclay, Inrae, CNRS, AgroParisTech, GQE – Gif-sur-Yvette

 

(1*) Introgression : Transfert de gènes ou d’allèles d’une population ou espèce vers une autre.

Voir aussi du même auteur : www.jardinsdefrance.org/pommier-sauvage-limpact-du-climat-sur-sa-genetique/

 

BIBLIOGRAPHIE

[1] Cornille A, Giraud T, Smulders MJM, Roldán-Ruiz I, Gladieux P. The Domestication and Evolutionary Ecology of Apples. Trends in Genetics 2014;30:57-65, doi:10.1016/j.tig.2013.10.002.

[2] Cornille A, Antolín F, Garcia E, Vernesi C, Fietta A, Brinkkemper O, Kirleis W, Schlumbaum A, Roldán-Ruiz I. A Multifaceted Overview of Apple Tree Domestication. Trends in Plant Science 2019;24:770-782, doi: https://doi.org/10.1016/j. tplants.2019.05.007.

[3] Cornille A, Feurtey A, Gélin U, Ropars J, Misvanderbrugge K, Gladieux P, Giraud T. Anthropogenic and Natural Drivers of Gene Flow in a Temperate Wild Fruit Tree: A Basis for Conservation and Breeding Programs in Apples. Evolutionary Applications 2015;8:373-384, doi:10.1111/eva.12250.

[4] Vidéo sur le verger : www.youtube.com/watch?v=QzP_HPDUEbA

[5] Site internet du verger : www.ideev.universite-paris-saclay.fr/fr/le-verger