Les Thiercelin ou la saga des épices
Jean-François Coffin
« Installés dans la région de Pithiviers (Beauce-Gâtinais), depuis le retour des croisades au XVe siècle, mes ancêtres agriculteurs sont devenus vinaigriers puis transformateurs de produits locaux dont le safran », explique Jean Thiercelin, président de « Thiercelin 1809 », entreprise créée au début du XIXe siècle. Si elle transforme et commercialise aujourd’hui la plupart des épices et aromates, sa principale activité a été basée sur le safran dont la France était le premier producteur mondial au XIXe siècle
Transforme des trésors botaniques
« En 1906, nous exportions plus de 30 tonnes de safran produit dans notre région. Mais, au retour de la première guerre mondiale, la production chute avec l’apparition de la mécanisation au profit d’autres cultures comme la betterave sucrière, le safran exigeant pour sa récolte une énorme main d’œuvre sur un laps de temps bref (15 jours) », précise Jean Thiercelin.
L’entreprise connait des périodes difficiles dans la première moitié du XXe siècle, avec les conflits mondiaux et la conjoncture économique. Mais elle rebondit, se diversifie : algues de Bretagne (agar-agar), produits tropicaux (vanille, épices, …), cosmétiques, plantes médicinales « dont, à l’époque, la majorité étaient distribuées par les herboristes ». A la fin des années 30, des histoires de famille obligent à séparer les branches entre plusieurs héritiers. Jean récupère l’activité safran reprise par son père. L’entreprise redémarre pratiquement de zéro, sous forme de SARL. « Notre position aujourd’hui est la transformation et la commercialisation de matières premières de base. Nous transformons des trésors botaniques, c’est-à-dire des plantes à fonctionnalité aromatique : safran, herbes, épices, fleurs, vanille mais aussi champignons et fruits secs. »
Exigeant sur la matière première
Les préoccupations de Jean Thiercelin : où, à qui, quoi acheter avec un souci permanent d’offrir de la haute qualité. Il sillonne le monde pour être au plus près des producteurs, sélectionner quel est le meilleur pays pour telle ou telle épice, jusqu’à la parcelle qui peut produire différemment de sa voisine, déplorant qu’il soit de plus en plus difficile d’avoir de beaux produits à l’origine.
Il applique les principes du commerce équitable comme le préfinancement des cultures et travaille principalement avec des coopératives. « Nous allons vers le produit pour participer à son amélioration, ce qui ne signifie pas, comme cela a été fait, de balancer au producteur de là-bas une palette de produits phytos dont on interdit l’utilisation chez nous ! »
Le safran, emblème de la maison
Le safran, produit emblématique de la maison Thiercelin, fait l’objet de toutes les attentions. « Il est rare et cher. Il faut 150 000 fleurs pour obtenir 1 kg de safran pur et il est l’exemple type des contrefaçons que l’on trouve fréquemment dans les épices. Aux Antilles, on trouve des pancartes safran sur des tas de curcuma. Jusque dans les textes européens où le curcuma est répertorié comme safran, ce qui fausse les statistiques douanières ! »
Face au problème des contrefaçons, Jean Thiercelin s’investit dans la recherche et se rapproche des scientifiques et des organismes certificateurs. Dès 1906, l’entreprise crée un laboratoire de contrôle, participe en 1910 aux premiers travaux pour la mise en place de la répression des fraudes. Jean Thiercelin continue dans cette voie en intégrant la commission épices et aromates de l’Afnor* en 1980 et participe aux travaux sur les normes « ISO ». Il suit les recherches menées en génétique et toutes les analyses jusqu’à l’ADN pour identifier le safran, éviter les fraudes fréquentes et difficilement détectables. « On a prouvé scientifiquement ce que l’on connaissait empiriquement sur le safran depuis des millénaires ! »
Nouvelle cuisine
« Les épices contribuent à une diète améliorée, permettent de rendre appétents des plats, de réduire le gras, le sel et le sucre », explique Jean Thiercelin, fournisseur de plusieurs grands chefs comme Michel Guérard, Troisgros ou Senderens. « Ils ont créé la « nouvelle cuisine » et ont besoin de nouvelles saveurs pour remplacer les apports traditionnels de gras, de crème, de sucs de cuisson. »
Outre les grands restaurants, Thiercelin fournit les industriels de l’agroalimentaire, les chocolatiers, les détaillants, en France, Europe, États-Unis, Japon, Moyen-Orient, … et s’adresse à eux notamment via Internet.
Convaincre le particulier
Reste le problème du particulier difficile à convaincre que la qualité a un prix « Le consommateur a été détourné de la notion de qualité où ce n’est que le prix qui compte. Il faut arriver à le persuader de ne pas se faire avoir par de la cochonnerie, lui montrer ce qu’est une belle épice, d’où vient-elle, comment elle est récoltée. »
Cette démarche, Jean Thiercelin la met en pratique dans sa boutique ouverte depuis 20 ans à Paris à destination de clients exigeants et « gourmets connaisseurs ». Il y a créé son « bar à sniffer » étalage de plusieurs flacons d’épices qu’il fait sentir. Le résultat est convaincant…
Dans le sous-sol du magasin, il a même aménagé une cuisine pour donner des cours aux amateurs. « Il est important de conserver et transmettre notre savoir-faire.»
Une éthique familiale
Le fait d’être une entreprise familiale de plus de 200 ans conditionne la façon de gérer avec une vision à moyen et long termes, avec le souci de préserver le savoir-faire et la transmission à une génération qui veut tout et toujours plus vite au détriment de la qualité. « Pour cela, il faut réunir certaines conditions dont celle de la valorisation du travail », avec une ligne de conduite « savoir respecter mais aussi être respecté. »
Jean Thiercelin, le seul « Maître artisan en produits aromatiques végétaux » parlant avec une telle passion de son métier qu’il est difficile de l’arrêter, conclue en rappelant avec malice le slogan de son entreprise « manger sain vous va si bien ! »
* cf. la norme AFNOR 32-120 et ISO 3632 de décembre 2003 sur la pureté la qualité du safran.
« Thiercelin 1809 » en bref
Avec son épouse Enriqueta, Jean Thiercelin fonde, en 1976, la société « Tradimpex – JM Thiercelin » qu’il préside. Son objet est « Fabrication et vente de produits végétaux aromatiques naturels (safran, poivres, épices, vanilles, fleurs, aromates, condiments, jus, pulpes et concentrés de tous fruits, etc.).
Thiercelin 1809 est aussi :
- Membre du Club Gastronomique Prosper Montagné (www.club-prosper-montagne.fr )
- Membre des Hénokiens, Association Internationale des Entreprises Familiales et Bicentenaires (www.henokiens.com).
- labellisée « Entreprise du Patrimoine Vivant » (www.patrimoine-vivant.com ).
Et, à lire, l’ouvrage rédigé par Jean Thiercelin « Le safran, l’or de vos plats », récompensé par le prix Guerlain 2008
Thiercelin 180
- Siège Social et manufacture: 3, rue Pierre et Marie Curie – 77380 Combs-la-Ville
- Boutique : 3, rue Charles-François Dupuis – Paris 3e
Le champignon responsable de la « mort du Safran » est surtout connu par sa forme stérile, Rhizoctonia crocorum (Pers.) DC. C’est un champignon « imparfait », à très large spectre d’hôtes, depuis des plantes herbacées, jusqu’à des arbustes. Dans son classique ouvrage « Les Champignons parasites des plantes cultivées »[1], Viennot-Bourgin cite une bonne centaine de plantes hébergeant le parasite. S’agissant plus particulièrement du Safran, Crocus sativus, il écrit : « Sur les bulbes de safran, l’abondance des amas d’hyphes et de formations sclérotiques est telle que la tunique disparaît presque complètement, tandis que les écailles entrent en pourriture. L’altération du système racinaire entraîne la flétrissure de la plante. »… » La persistance dans le sol du mycelium ou des corps miliaires de Rhizoctonia crocorum paraît prolongée. Duhamel du Monceau (1728) a vu réapparaître la maladie dans une culture de safran 20 ans après le premier abandon de cette culture. Son étude sur le dépérissement du Safran est loin d’être anecdotique. Le Gâtinais, où il possédait plusieurs domaines et où il mena tant d’expériences agronomiques et sylvicoles, était depuis le Moyen-Age un important terroir de culture du Safran, en particulier à Boynes, pour laquelle Porchaire, seigneur des lieux, obtint en 1698 un édit favorable de Louis XIV. Cette culture intensive, dont les débouchés ont toujours été précieux et fort rémunérateurs, faisait vivre de nombreuses familles. En l’absence de rotations parcellaires, il n’était pas étonnant que des problèmes phytosanitaires s’y fassent jour avec gravité, allant jusqu’à en compromettre la vocation régionale. C’est sur les conseils de Bernard de Jussieu que l’Académie des sciences chargea Duhamel du Monceau d’enquêter sur le problème. Il le fit d’une manière remarquable et pour tout dire pionnière : il observa d’abord les bulbes des plantes malades pour constater qu’ils étaient privés de leur tunique, largement noircis et semblaient porter de curieux corps pouvant atteindre la dimension d’une noisette. Il observa également, dans le sol, des cordonnets semblant relier les plantes entre elles. Soupçonnant une plante parasite, il eut l’idée d’expérimenter la contamination en pots d’un sujet sain par un sujet malade. Il réussit par la même occasion à infecter d’autres espèces bulbeuses, telles que lis, tulipes, jusqu’au Sureau hièble. La preuve était faite du caractère contagieux et de l’origine parasitaire du dépérissement du Safran. Les travaux de Duhamel furent à l’origine du célèbre mémoire de 1728 « Explications physiques d’une maladie qui fait périr plusieurs plantes dans le Gâtinais et particulièrement le Safran. ». Ce travail fut décisif pour l’admission de Duhamel du Monceau à l’Académie des sciences, dont il fut toute sa vie l’un des membres les plus assidûs et les plus prolifiques. Daniel LejeuneLa maladie du Safran en Gâtinais
Un édit favorable de Louis XIV
Preuve du caractère contagieux
A lire …
[1] 2 volumes, Masson, 1949 pages 1182 et 1184