Les rouilles des végétaux : la mort en ce jardin ?
Ivan Sache
Tous les jardiniers ont un jour déploré la présence de pustules de rouille sur leurs plantes et arbres préférés. Ces pustules, généralement arrondies et de couleur brune, libèrent une poudrée de spores au moindre contact ou coup de vent. Plus dommageables pour l’esthétique du jardin que pour les plantes elles-mêmes, sauf en cas d’attaque massive, les rouilles sont des maladies causées par des champignons parasites microscopiques dont la vie intime recèle bien des surprises et dissimule encore de nombreux secrets. Une meilleure connaissance de leurs modes de dissémination, conservation et reproduction aidera le jardinier à vivre en bonne intelligence avec ces commensaux indésirables.
Des champignons au goût très sélectif
Les rouilles des végétaux sont des parasites à caractère très exclusif, chacune des 7000 espèces répertoriées n’attaquant qu’une gamme très restreinte de plantes. Emblématique de nos jardins, la rouille qui défigure les roses trémières est également capable d’attaquer les mauves ornementales et sauvages, et, quoique très rarement, les Malvacées arbustives (hibiscus et lavatères) ; en revanche, elle ne saurait attaquer des plantes appartenant à d’autres familles et ne constitue pas un danger pour les rosiers, qui hébergent une autre rouille. La rouille des Caryophyllacées a développé quatre « formes spéciales », impossibles à distinguer morphologiquement, mais inféodées à des espèces différentes. La rouille de la menthe n’attaque que les menthes; la sélection de variétés lui résistant a entraîné l’apparition de « pathotypes » adaptés à certaines variétés. Une véritable « course aux armements » s’instaure ainsi entre l’homme, qui sélectionne des variétés résistantes, et les champignons, qui « contournent » très souvent ces résistances et les rendent inopérantes ; en agriculture et en sylviculture, le contournement est facilité par l’homogénéité génétique des peuplements hôtes.
Des maladies explosives qui aiment rosée et chaleur
L’apparition simultanée de la rouille sur différentes plantes, observée par de nombreux jardiniers, n’est donc pas liée à l’arrivée d’une « super-rouille » capable de contaminer indistinctement toutes les plantes, mais plutôt à des séquences climatiques favorables au développement de la maladie sur différentes plantes hôtes. Comme de nombreux autres champignons, les rouilles sont friandes de rosée : déposées pendant la journée, les spores qui propagent la maladie se réveillent enfin de nuit, lorsque la rosée leur fournit l’eau libre nécessaire à leur germination et à leur entrée dans les tissus végétaux. Pendant une période d’autant plus courte que la température est élevée, le champignon se développe à l’intérieur des tissus, sans induire de symptôme visible. Bien nourri, il forme alors des pustules remplies d’une nouvelle génération de spores. En conditions favorables, le champignon peut boucler ce cycle en une à deux semaines ; sachant qu’une seule pustule peut produire, pendant quelques semaines, plusieurs centaines de spores par jour, la dynamique explosive des épidémies de rouille n’est pas surprenante, toute impressionnante qu’elle soit.
Des champignons qui prennent la poudre d’escampette
La rupture de l’épiderme des feuilles malades expose les spores pulvérulentes à l’air libre ; le vent et, dans une moindre mesure, la pluie assurent leur dissémination et la propagation de la maladie dans l’espace. Le vent permet aux spores de voyager à travers jardins et plantations, mais aussi à travers continents et océans. Cette dispersion à très grande échelle, associée à l’introduction intempestive de plantes contaminées, explique le caractère très international des rouilles. Parmi les rouilles bien établies sous nos climats, celle des Malvacées vient du Chili, celle du muflier vient de Californie, celle du chrysanthème vient du Japon, celle du séneçon vient d’Australie, et celle du glaïeul vient d’Afrique du Sud. Les rouilles non présentes en Europe font l’objet d’une attention particulière de la part des organismes de surveillance ; la rouille de l’hémérocalle, qui a déjà voyagé de la Sibérie à l’Amérique du Nord, a été interceptée sur des plantes importées au Royaume-Uni. Le rôle essentiel des jardiniers dans les dispositifs d’épidémiosurveillance est détaillé dans le No. 617 de « Jardins de France » et dans ce numéro.
Des champignons qui passent mal l’hiver ?
Les rouilles sont dites « biotrophes stricts » - elles ne peuvent se développer et survivre que sur des tissus vivants. Les feuilles malades peuvent constituer une source de contamination tant que les pustules de rouille restent vivantes et produisent des spores, ce qui ne saurait durer trop longtemps. D’autres parasites, dits « nécrotrophes », s’accommodent des tissus morts et peuvent hiverner sur les feuilles mortes. Un exemple bien connu est la tavelure du pommier ; l’élimination des feuilles mortes à l’automne permet de réduire significativement la quantité de spores susceptibles d’infecter l’arbre au printemps suivant. On ne peut cependant que recommander d’éliminer les feuilles contaminées par la rouille afin qu’elles ne constituent pas une source locale, même peu durable, de contamination. Les rouilles ne peuvent pas non plus survivre dans le sol ; les spores tombées à terre germeront dès que le sol sera mouillé, comme elles germeraient sur la main humide du jardinier, et mourront très vite en l’absence de tissu hôte. Pourtant, les rouilles reviennent à chaque printemps. Leurs capacités de dissémination peuvent leur permettent de revenir chaque année d’un lieu d’hivernage lointain plus propice – avec un climat plus doux et une durée de végétation étendue. Une solution plus « économique » consiste à se faire héberger par un hôte alternant, voire à hiverner dans son hôte lorsqu’il est vivace.
Des champignons à spores et partenaires multiples, ou pas.
Le cycle de développement des rouilles peut impliquer jusqu’à cinq types de spores et deux hôtes, souvent très différents botaniquement. De nombreux cas intermédiaires et exceptions existent, pour le bonheur des mycologistes et le malheur des profanes. L’exemple classique de rouille à cycle complet (dite « macrocyclique ») et deux hôtes alternants (dite « hétéroïque ») est la rouille noire du blé, qui effectue son cycle de multiplication asexuée sur le blé (les pustules visibles sur les plantes du jardin correspondent aussi, généralement, à cette phase asexuée) et cache pudiquement sa reproduction sexuée sur l’épine-vinette, son hôte alternant. Le terme « alternant » indique précisément une alternance obligatoire dans le temps ; les puristes réserveront « alternatif » à un hôte contaminé en même temps que l’hôte principal mais de moindre importance. Malgré ses nombreux usages agricoles et alimentaires, l’épine-vinette a été impitoyablement éradiquée, depuis des siècles, en Europe et en Amérique du Nord. L’observation, judicieuse, de la contamination extrême des parcelles de blé voisines de buissons d’épine-vinette n’a trouvée son explication rationnelle qu’à la fin du XIXe siècle, avec l’élucidation du cycle complet de la maladie. L’éradication de l’épine-vinette a entraîné une réduction significative des pertes causées par la rouille noire ; l’abandon du programme en Amérique du Nord à la fin du XXe siècle s’est accompagné, de façon prévisible, d’une recrudescence de la maladie. Outre le couvert, l’hôte alternant fournit aussi le gîte pour la reproduction sexuée, qui permet un brassage génétique bien utile dans la « course aux armements » évoquée plus haut. Il est à noter que les variétés ornementales de Berberis ont échappé au massacre car, bien leur prend, elles n’hébergent pas la rouille noire. L’éradication n’est cependant pas la panacée puisque la rouille noire se développe très bien en Australie en l’absence totale d’épine-vinette, se contentant d’un cycle réduit à la multiplication asexuée sur blé. De nombreuses autres rouilles d’intérêt agricole ou horticole possèdent un cycle incomplet. C’est le cas, entre autres, des rouilles du chrysanthème, des rosiers, du pélargonium, ou du haricot. Certaines rouilles ont une stratégie plus simple, effectuant un cycle complet au sein de leur unique hôte. C’est le cas de la rouille de la menthe, qui hiverne au sein des rhizomes ; la maladie progresse ensuite de façon systémique dans les tiges émergeant au printemps, puis dans les feuilles, sur lesquelles apparaissent les pustules de rouille. Plus anecdotique, la rouille de la pervenche hiverne de façon similaire dans les souches.
Association d’hôtes : danger pour le jardin, danger pour les vergers et les forêts ?
Certaines rouilles alternantes effectuent une partie de leur cycle sur des plantes horticoles ; le jardinier doit légitimement se demander si ses plantes sont en danger, voire représentent un danger pour l’environnement. Cette interrogation n’est pas nouvelle ; fort heureusement, les situations ayant nécessité des mesures drastiques sont fort rares. Le cas le plus connu est sans doute celui de la rouille du pin de Weymouth, qui effectue son cycle asexué sur les espèces de Ribes sauvages et cultivées, notamment le cassis et le groseillier à maquereau. Aux États-Unis, l’éradication des Ribes sauvages ne fut qu’un demi-succès, alors qu’elle n’est pas envisageable en Europe en raison de l’importance de la culture du cassis, privée ou commerciale. La rouille y a entraîné le déclin de l’utilisation du pin de Weymouth comme espèce forestière ; en Norvège, les producteurs de cassis peuvent même réclamer l’éradication des pins contaminés. En Suisse, il est recommandé de respecter une « distance de sécurité » d’au moins 500 m entre groseilliers et pins de Weymouth. La rouille vésiculeuse du pin effectue son cycle asexué principalement sur la pivoine et le dompte-venin ; des épidémies majeures en Italie semblent liées à la replantation de pins dans des zones riches en dompte-venin. Pour lutter contre la rouille grillagée du poirier, il est conseillé de respecter une « distance de sécurité » d’au moins 1 km avec les genévriers sabines, hôtes alternants de la rouille ; cette recommandation est d’application difficile en zone méditerranéenne, où ce genévrier est omniprésent. L’éradication de tous les genévriers d’ornement, dont certains sont effectivement sensibles à la maladie, n’est pas réalisable ; à Dalhem, une commune de Belgique située dans une zone d’arboriculture (pays d’Herve), la plantation des genévriers est interdite dans les nouveaux lotissements depuis 2005. La rouille qui affecte la plupart des Amygdalées hiverne dans les cormes d’anémone, pouvant provoquer des dégâts sur les deux hôtes. Ici encore, le bon sens préconise d’éloigner les arbres fruitiers des anémones plutôt que d’arracher systématiquement toutes les anémones. La rouille de la laitue reste anecdotique et surtout présente en zones humides, où elle complète son cycle sur les laîches. Enfin, la rouille de l’iris utilise l’ortie comme hôte alternant ; dans ce cas, le jardinier arrachera les orties plutôt que les iris.
Vivre avec les rouilles
Il est illusoire de vouloir éradiquer les rouilles ou leurs plantes hôtes. Mieux vaut tenter de limiter leur impact en privilégiant l’emploi de variétés résistantes, en évitant les peuplements très denses et génétiquement homogènes, en respectant une bonne distance de sécurité entre les quelques plantes à risque, et en appliquant des mesures prophylactiques de bon aloi. Un entretien régulier des jardins (élimination des déchets et des plantes malades, taille et élagage) contribuera pour beaucoup à les maintenir dans un état sanitaire satisfaisant et à reléguer les rouilles au rang d’invités indésirables mais somme toute assez anecdotiques.
janvier-février 2013
la rouille est elle dangereuse pour l’homme ?
Bonjour,
Nous vous invitons à poser votre question directement aux experts de la Société Nationale d’Horticulture de France sur le service de questions/réponses HortiQuid http://www.hortiquid.org.
Belle journée à vous.
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