Les roses avancent encore : Une histoire de leur évolution de 1970 à 2022
1970- 2020 : il y a eu beaucoup de mouvement dans le monde de la rose durant ces cinquante années ! Des idées nouvelles ou renouvelées, des concepts commerciaux, des variétés d’exception, des hommes pour générer tout cet élan. Jacques Mouchotte en a fait partie en première ligne, de 1976 à 2013, chez Meilland International. Voici le panorama qu’il retrace de ces années passionnantes.
En 1970, il se produisait en France bien plus de rosiers qu’aujourd’hui, avec de nombreux producteurs répartis sur l’ensemble du territoire. Les ventes étaient très majoritairement réalisées en fin d’automne avec des plantes à racines nues, par correspondance, chez les grainetiers ou encore chez de petits horticulteurs aujourd’hui disparus. Les clients achetaient de préférence des « Hybrides de Thé » dits aussi « Buissons à grandes fleurs », des « Polyantha » ou « Floribunda » dits aussi « buissons à fleurs groupées » et enfin des rosiers grimpants, valeur stable du marché. Les évolutions vont survenir sous l’influence du marché américain où, déjà à cette époque, 95 % des rosiers sont vendus en pot ou avec un emballage tourbeux succinct des racines dit « prepack ».
Acte I: 1970-1980
Les rosiers miniatures ouvrent le chemin de l’innovation. Ils existent déjà mais les ventes se comptent seulement en milliers d’unités. Le marché de printemps, vente en pots fleuris, était surtout occupé par des rosiers à développement réduit, les « Koster » avec différentes mutations de couleur « Fête des Mères », « Fête des Pères », etc. En France, Raymond Richardier demande à son équipe de créer une concurrence aux Koster. Marie-Louise Meilland répond en créant la variété ‘Meijikatar’ (Orange Meillandina®). On est toujours dans la tradition: rosiers greffés puis rempotés pour être vendus en gros container au printemps, durée du cycle complet 24 à 30 mois.
La variété est exceptionnelle, l’acceptation du public tout autant: les ventes s’envolent. En même temps, au Danemark, Svend Jensen, aidé de Rosa et Harley Eskelund, invente la culture de rosiers miniatures en cycle court: sous serre, éclairée en hiver, racinage de multi-boutures semi-aoûtées avec un œil et une feuille, dans de petits pots de diamètre 10 cm, sous une bâche transparente perforée. Les racines apparaissent en trois semaines, la taille en bois tendre, dite « pincement », après six semaines et le produit marchand fini, six autres semaines plus tard. La durée du cycle est de douze semaines. La logique du produit est la suivante : très gros volumes, petit prix, vente en grande surface alimentaire, production à l’année. Un autre Danois, Owe Nielsen, perfectionne la technique en automatisant presque totalement la culture. Les premiers champions du cycle court sont les variétés ‘Ruimired’ (Red Rosamini®) du Hollandais De Ruiter et ‘Poulvic’ (Victory Parade®) du Danois Poulsen. Les Italiens, dont Rinaldo Sartore, choisissent aussi la multiplication par bouture mais dans des structures moins sophistiquées et avec un cycle plus long qui inclut un repos végétatif hivernal. Le résultat est phénoménal: en 1975, la production de rosiers miniatures en Europe était de quelques milliers, dix ans plus tard elle atteint 30 millions d’unités !
Acte II: 1980-1990
Les rosiers dits « Paysage ». L’idée provient d’Amérique grâce à Ernest Schwartz dit « Erny », qui réinvente les rosiers à port étalé remontant, aussi appelés couvre-sol, avec Sea FoamTM et Docteur Griffith BuckTM. Il propose aussi le premier buisson à fleurs groupées sans traitement phytosanitaire avec ‘Bucbi’ (Carefree BeautyTM). En prime de cette résistance, les grandes nouveautés de cette nouvelle catégorie sont l’aptitude à se développer non greffée même en terrain calcaire et à supporter l’absence de taille ou des tailles mécanisées. Meilland théorise ce concept de rosiers à faible entretien pouvant être produit par boutures et, grâce au savoir-faire espagnol de son associé Paco Ferrer, le temps de production est réduit à douze mois : la variété ‘Meigekanu’, (La Sevillana®) devient la star des rosiers pour haie. Une autre variété très importante de la fin de la période est l’œuvre de l’obtenteur allemand Werner Noack avec ‘Noatraum’, vendue sous le nom d’‘Emera®’ en France et qui connaîtra une distribution mondiale. Les autres grandes maisons développeront des gammes équivalentes sans grand succès international. Cette décennie a également connu l’émergence des English Roses de David Austin. Un concept dont le prototype est la variété ‘Ausfisrt’(Constance Spry®) qui deviendra célèbre au début des années 1980 au moment de la sortie de ‘Meiviolin’ (Pierre de Ronsard® Eden Rose), la concurrence la plus sérieuse dans cette catégorie. Les autres grands obtenteurs européens développeront des variétés semblables sans jamais détrôner le très solide concept English Roses.
Acte III: Le XXIe siècle
La révolution ‘Radrazz’ (Knock Out®)
Ce cultivar crée par William J. Radler n’a pas connu un succès fulgurant en France mais il a révolutionné le marché américain au niveau de la production, de la distribution, du marketing, précipitant aussi la chute d’un des géants californien, Jackson & Perkins. Résultat: 40 millions d’unités vendues en dix ans et la reconquête de millions de clients via la grande distribution alimentaire et les chaînes de bricolage de la moitié ouest des États-Unis, où la rose périclitait en raison de problèmes phyto-sanitaires. La clé technique de ce succès est une association unique de résistance aux ravageurs et au gel et une puissance de floraison continue : un modèle à suivre pour les variétés du futur.
La famille des Drifts® de Meilland
Les Drifts de Meilland ont un profil mini-couvre-sol sans entretien et avec un rythme de floraison de haut niveau, elles visent les petits espaces à paysager, les balcons et les terrasses. Pour cette famille, plants non greffés obligatoires.
Les Hybrides de thé ou buissons à grandes fleurs parfumés résistants aux maladies
Les Hybrides de thé sont arrivés à s’affirmer dans les grands concours de roses de confirmation, l’ADR allemand, l’AARS américain, le Grand Prix de la Rose SNHF français, en proposant une bonne sélection. Kordes et Meilland se mettent en avant.
Une autre belle histoire
Une autre belle histoire a commencé en 1784 quand Rosa persica, dite tout d’abord Hulthemia persica, est arrivée en France au jardin du Luxembourg avec son cœur rouge. Cette recherche a débouché un peu après 2010, soit 230 ans plus tard, en une offre commerciale internationale de nombreuses nuances de couleurs sur ce modèle de fleurs qui rappellent l’hibiscus ou l’althéa. Le plus gros travail d’ingression des gènes qui commandent l’apparition de cet onglet rouge a été réalisé par Jack Harkness et Alec Cocker.
Des couleurs nouvelles
Certaines couleurs présentes seulement chez les variétés botaniques sont devenues disponibles chez les roses modernes remontantes, donnant des roses striées, cheval de bataille de Delbard ou des ponctuations foncées sur fond plus clair, du style « poussières d’étoiles » plutôt développées par Meilland.
Deux tendances récentes
Les nouveaux rosiers lianes à grosses fleurs font merveille lorsqu’ils sont plantés au pied des arbres à mise en feuille tardive comme l’albizzia. Enfin, les rosiers miniatures non greffés offrent un niveau de résistance équivalent aux meilleurs rosiers paysage.
La progression potentielle du genre Rosa grâce aux hybrides modernes est loin d’avoir atteint ses limites. Pourtant, les productions traditionnelles souffrent. La solution peut résider dans la modernisation des techniques de production en intégrant les rosiers de bouture qui peuvent réduire drastiquement les cycles de production et ouvrir d’autres perspectives, comme la production directement en pot.
Jacques Mouchotte
Ancien directeur de la recherche aux Éts Meilland