Les plantes médicinales : De la tradition au renouveau

Bien avant la médecine moderne, les humains se soignaient avec des plantes. Ces usages sont aussi attestés chez les grands singes. Ils ont fait l’objet de savoirs longtemps transmis oralement, puis collationnés dans des manuels de materia medica. Ceux qui nous ont été transmis viennent surtout de Chine, d’Inde, d’Egypte et de la Méditerranée.

 

Dioscoride : le premier botaniste médicinal ?

La pharmacie herboristerie du Père Blaize à Marseille, vers 1920 © Xsuividunp-CC BY-SA 3.0

Pour ce qui est de l’Europe, un traité a eu une importance considérable, la Materia medica de Dioscoride. Écrit au Ier siècle de notre ère, il compile des données sur les simples (plantes, mais aussi animaux et minéraux) utilisées dans l’Empire romain, qu’elles proviennent de la cueillette ou du commerce lointain. La Materia medica a été à la base de la botanique elle-même, puisque les premiers botanistes de la Renaissance ont commencé par rédiger des commentaires de Dioscoride, comme Matthiole. Dans le domaine médicinal, Dioscoride a été constamment reproduit, commenté, abrégé, et cela jusqu’au XIXe siècle. Au Moyen-Âge sont venus s’y ajouter les apports des savants arabes, qui incluaient des éléments persans (Avicenne) et indiens. La fusion de ces savoirs s’est faite en particulier à l’École de Salerne, où a été écrit Le Livre des simples médecines de Platearius, qui a connu un grand retentissement.

Un portrait d’Avicenne, l’un des savants
persans dont les connaissances ont
été ajoutées, au Moyen-Âge, à celles
de Dioscoride © CC BY 4.0

Parallèlement, des savoirs populaires se sont élaborés partout. Transmis par tradition orale, ils incorporent aussi des savoirs savants car il y a toujours eu des érudits locaux capables de lire Dioscoride ou les innombrables livres de colportage diffusés dans les campagnes depuis la fin du XVe siècle. Il en résulte qu’il est difficile de déterminer si un savoir populaire l’est totalement, ou s’il a été influencé par un savoir savant.

Dès le Moyen-Âge, les savoirs populaires ont été dénigrés comme étant le fait de « sorcières ». Avec l’émergence de la pharmacologie moderne, on a parlé de « commères » ou de « bonnes femmes ». C’est oublier que, pendant des millénaires, les populations paysannes n’avaient d’autre choix que de recourir aux ressources locales.

Les savoirs populaires sont difficiles à interpréter. Ils s’expriment souvent dans une vision du monde empreinte de magie, de la théorie des humeurs de Galien et de la théorie des signatures. Ces savoirs reposent aussi sur une classification des maladies bien différente de la médecine moderne. Leur étude relève de l’ethnobotanique et de l’ethnopharmacologie, comme l’illustre Pierre Lieutaghi dans ses livres.

Les synthèses sur les plantes médicinales locales sont devenues plus rares avec le temps. Le Traité de Cazin, qui a fait l’objet de nombreuses éditions entre 1850 et 1886, constitue la meilleure somme qui relie sa pratique des simples à toute la tradition historique. Il faut ensuite attendre le Précis de Leclerc (1935), l’un des derniers phytothérapeutes, et les Ressources médicinales de la flore française de Garnier et al. (1961), qui intègrent les données de la chimie du XXe siècle aux connaissances sur les simples.

L’essor de la pharmacologie

Une version du De Materia Medica
(1655) de Dioscoride, premier ouvrage
de botanique médicinale © CC BY 4.0

Depuis l’Antiquité, des médicaments simples arrivaient de Chine ou d’Inde (myrobolans, nard, rhubarbe…). Avec la découverte des Amériques, un véritable engouement va se porter sur les plantes américaines, comme les salsepareilles, réputées contre la syphilis, l’ipéca et le quinquina. Promus par les médecins des villes et les pharmaciens, ces médicaments étaient chers et inaccessibles aux pauvres, et Cazin ne cesse de vitupérer contre cette « exoticomanie ».

L’essor de la chimie analytique a constitué un tournant majeur. Elle permet d’isoler et d’identifier les substances constitutives d’un simple. La morphine est l’une des premières, isolée en 1817. Suivent la strychnine en 1818, puis la colchicine, la caféine et la quinine en 1820, et enfin le principe actif de l’écorce de saule, qui allait devenir l’aspirine, entre 1830 et 1897.

La pharmacologie n’a eu de cesse, depuis lors, que d’isoler les principes actifs des plantes et de les proposer comme nouveaux médicaments, tels quels ou sous une forme dérivée. Cette approche analytique et réductionniste est souvent critiquée par les tenants des simples, qui avancent que le « totum » des simples présente des qualités que n’ont pas leurs constituants.

Le renouveau des plantes médicinales

Les savoirs populaires ont largement disparu avec la fin de la civilisation paysanne et l’essor de la médecine moderne. Avec eux ont disparu les mises en garde touchant à la durée du traitement, comme le signale Lieutaghi (1997) pour la germandrée petit-chêne.

Avec l’interdiction du métier d’herboriste, les pharmaciens sont devenus les seuls professionnels autorisés à faire commerce de la plupart des produits de plantes, mais sous forme de teintures-mères, lyophilisats, macérats glycérinés ou huiles essentielles. Ces préparations offrent l’avantage d’être plus fiables et faciles à utiliser. Il est vrai que l’usage des simples présente de nombreux défauts, dont les erreurs d’identification, la fraude, la variabilité des teneurs en constituants actifs. Il suffit de lire Cazin pour s’en convaincre.

On assiste depuis une trentaine d’années à un renouveau de l’intérêt pour les plantes médicinales, sans parler de l’engouement pour l’homéopathie. Ce renouveau porte aussi bien sur des simples exotiques (boldo, harpagophytum) que sur des plantes de cueillette. S’y ajoutent les produits de civilisations exotiques (Chine, Afrique, Antilles…). Régulièrement apparaissent sur le marché des « plantes miracles » riches en vitamines (maca, acerola, goji), voire de véritables panacées, ou plus simplement des psychotropes et des aphrodisiaques. L’intérêt pour les simples ne va pas hélas toujours de pair avec la connaissance des plantes. Et comme l’écrivent Lieutaghi et al. (1984): « Il ne s’agit pas de substituer le fanatisme du naturel au fanatisme de la drogue pharmaceutique. »

En conclusion, nous citerons la position prudente d’un cueilleur professionnel : « Restez humble et modeste, l’automédication doit être limitée aux problèmes bénins, et la prévention est le domaine le plus adéquat pour l’usage des plantes médicinales » (Thévenin, 2019).

 

Michel Chauvet
Ethnobotaniste

RÉFÉRENCES

Cazin, François-Joseph, 1868. Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes : avec un atlas de 200 planches lithographiées. 3e édition, revue et augmentée par le docteur Henri Cazin. Paris, P. Asselin. 2 tomes dont 1 de pl. en 1 vol., XXVIII-1189 XL p. Réédition 1997 avec une préface de Pierre Lieutaghi, aux Éditions De L’envol (Jalons des savoirs), Mane (04300) et chez Abel Franklin, Nice.

Garnier, Gabriel; Bézanger-Beauquesne, Lucienne & Debraux, Germaine, 1961. Ressources médicinales de la flore française. Paris, Vigot Frères. 2 vol., 1511 p., 37 pl.

Leclerc Henri, 1935. Précis de phytothérapie; essais de thérapeutique par les plantes françaises. Paris, Masson. 4e éd., XV-363 p.

Lieutaghi, Pierre, 1984. Médecine populaire par les plantes, réalités et renouveau. Mane, Association E.P.I. 111 p.

Lieutaghi, Pierre, 1996. Le livre des bonnes herbes (3e édition révisée). Arles, Actes Sud. 528 p.

Lieutaghi, Pierre, 1997. Le traité de F.-J. Cazin, une leçon de médecine du partage. in Cazin, François-Joseph, réédition de l’édition de 1868.

Lieutaghi, Pierre, 2009. Badasson & Cie. Tradition médicinale et autres usages des plantes en Haute Provence. Arles, Actes Sud. 715 p.

Thévenin, Thierry, 2019. Le chemin des herbes. Du Midi à l’Atlantique. Identifier et utiliser 80 plantes sauvages médicinales, alimentaires, tinctoriales. Paris, Ulmer (coll. Vieilles racines et jeunes pousses). 360 p.

Pl@ntUse, https://uses.plantnet-project.org/fr/

On trouvera sur Pl@ntUse de nombreuses ressources, comme la Materia medica de Dioscoride et le livre de Cazin.