Les plantes de services : Pièges à nitrate et engrais vert

Certaines plantes de services permettent de capter l’azote nitrique dans le sol et de le restituer à la culture de rente associée ou qui suit. Elles jouent ainsi les rôles de piège à nitrate et d’engrais vert.

Les plantes de services désignent des espèces et variétés végétales cultivées en pur ou en association spatiale ou temporelle, en interculture ou en couvert pérenne, susceptibles de rendre différents services écosystémiques et sans objectif direct de production. Ainsi, les plantes de services participent, d’une part, à la captation de l’azote nitrique contenu dans la solution du sol et susceptible, en automne et à la sortie d’hiver, évitant de polluer les eaux de surface et profondes (effet « piège à nitrate »), d’autre part, à la fourniture à la culture principale, dite de rente, qu’elles précèdent ou accompagnent, de l’azote minéral nécessaire à sa croissance en particulier au printemps (effet « engrais vert »).

Des couverts végétaux « pièges à nitrate »

Pour la fonction « piège à nitrate », les plantes de services sont implantées après la récolte d’une culture de rente pour une durée de quelques semaines à plusieurs mois, période où les conditions climatiques sont favorables à l’augmentation du stock de nitrate potentiellement lessivable. Pour être efficace à capter et accumuler cet azote dans sa biomasse, le couvert végétal doit pouvoir s’installer facilement, même en conditions limitantes de stress climatique et d’azote, et combiner des caractères tels que la vitesse et la profondeur d’enracinement, l’adaptation à la date d’installation et la durée de fonctionnement relatives au système de culture, la gélivité ou la persistance aux conditions hivernales et la capacité de piégeage dans les conditions du milieu. Les crucifères sont reconnues comme les plus efficaces à piéger le nitrate grâce à leur rapidité d’installation et à leur système racinaire profond. Dans le réseau CTPS de 2016 à 2021, les nouvelles variétés de moutarde blanche et de radis fourrager ont capté dans leur biomasse aérienne en moyenne respectivement 69 et 70 kg N/ha/an. Par ailleurs, elles captent bien le soufre et peuvent réguler des bioagresseurs telluriques par la voie des glucosinolates ou la résistance variétale à des nématodes. Les graminées, comme l’avoine rude, le ray-grass d’Italie ou le seigle, sont un peu moins véloces à l’installation mais s’adaptent à des dates de semis et à des périodes d’interculture variées : les variétés nouvelles d’avoine rude ont capté en moyenne 55 kg N/ha/an dans nos essais de 2013 à 2021. Plus lentes à s’installer et à se développer en fin d’été et souvent plus gélives, les légumineuses témoignent d’un potentiel de piégeage du nitrate estimé à la moitié d’une non-légumineuse. Mais leur aptitude à accumuler de l’azote par fixation symbiotique conduit à des niveaux élevés d’azote, acquis en fin de période d’interculture : 69 kg N/ha/an pour la féverole entre 2017 et 2019 et même 92 kg N/ha/an pour une variété de vesce commune en 2018 et 2019. Cette caractéristique conduit à rechercher la complémentarité fonctionnelle d’espèces légumineuses et non légumineuses, et des travaux récents ont mis en évidence une même efficacité de piège à nitrate et un meilleur effet engrais vert d’un mélange 50/50 comparé aux mêmes crucifères cultivées en pur (Couëdel, et al., 2021).

L’effet engrais vert, valeur ajoutée agronomique

Les cultures intermédiaires génèrent un bénéfice environnemental mais peuvent être ressenties comme une nouvelle contrainte pour les agriculteurs, à moins de leur associer une valeur ajoutée agronomique et économique porteuse d’intérêts concrets et perceptibles, comme l’effet engrais vert. La fourniture d’azote à la culture suivante après enfouissement est tributaire de la quantité d’azote accumulée dans la biomasse totale de la culture intermédiaire et de son ratio C/N qui conditionne la libération de l’azote assimilable dans le sol. Avec un C/N inférieur à 12, cas des couverts de légumineuses, environ la moitié de l’azote présent dans les résidus est restituée à la culture suivante. A contrario, lorsque le C/N dépasse 30 (comme pour un fumier frais pailleux), l’azote minéral du sol se réorganise et n’est plus disponible. Les espèces non légumineuses n’induisent pas ou peu d’effet positif pour la culture suivante, mais génèrent à long terme une évolution des stocks d’azote organique et du potentiel de minéralisation, à prendre en compte en ajustant la fertilisation minérale.

L’implantation de plante compagne

Une autre voie pour la fourniture d’azote à la culture principale est celle de l’association végétale avec une plante de services appelée plante compagne. Ainsi, l’association d’une culture de colza d’hiver avec une légumineuse annuelle gélive est une pratique qui tend à se développer. Outre les services de régulation naturelle des bioagresseurs et des adventices, l’objectif est de valoriser auprès du colza la fourniture d’azote acquis par fixation symbiotique et minéralisé au printemps après destruction de la plante compagne par le gel. Dans ces conditions, il a été possible de réduire l’apport d’engrais minéral de 30 kg N/ha sans affecter le rendement et en améliorant la teneur en protéines du grain (Cadoux, et al., 2015). D’autres travaux confortent un effet engrais vert de 20 à 40 kg N/ha dépendant de l’espèce compagne et de sa date de destruction.

Denis Leclercq
Geves, ingénieur chargé de l’évaluation agronomique, technologique et environnementale, des variétés fourragères et des plantes de services.

POUR EN SAVOIR PLUS

Cadoux S, Sauzet G, Valantin-Morison M, Pontet C, Champolivier L, Robert C, Lieven J, Flénet F, Mangenot O, Fauvin P, Landé N.. Intercropping Frost-Sensitive Legume Crops with Winter Oilseed Rape Reduces Weed Competition, Insect Damage, and Improves Nitrogen Use Efficiency. 2015. OCL 22, D302. https://doi.org/10.1051/ocl/2015014
Couëdel A, Alletto L, Justes E, Desplanques J, David P, Valladares L, Brin A, Seassau C. CRUCIAL – Services écosystémiques produits par les cultures intermédiaires multiservices de légumineuses et de crucifères. Innovations Agronomiques. 2021;84:217-225