Les plantes : de l’origine à la domestication
Mieux comprendre les relations entre les plantes et les hommes, la situation actuelle et les possibilités d’évolution, nécessite de revenir sur quelques points historiques et sur les caractéristiques biologiques des végétaux.
Les plantes ont commencé leur lente évolution il y a environ 500 millions d’années. Le nombre d’espèces était assez réduit alors qu’elles occupaient de très larges territoires. Elles restaient essentiellement rampantes et il n’y avait pas encore de zones floristiques différenciées. Il faudra attendre 250 millions d’années pour que les fougères, les ginkos, les cycas ainsi que les premiers arbres (Archeopteris) apparaissent et que des zones floristiques originales commencent à se former. Une révolution biologique d’ampleur se produit il y a environ 65 millions d’années, juste après la disparition des dinosaures, avec l’apparition des plantes à fleurs (angiospermes). Des modifications profondes de leurs génomes conduisent en particulier à la duplication de nombreux gènes qui vont permettre aux plantes d’acquérir progressivement de multiples compétences nouvelles.
L’acquisition de caractéristiques propres
Il y a 35 millions d’années, il existait environ 300 000 espèces végétales ayant co-évolué avec de nombreux autres organismes vivants (virus, bactéries, insectes…). Les continents étant déjà séparés, les espèces vont commencer à acquérir des caractères particuliers en fonction des conditions écologiques de leur lieu de vie.
C’est à ce moment qu’apparaissent les grandes familles botaniques que nous connaissons aujourd’hui. Elles s’enrichissent en nombre d’espèces en fonction de leurs caractéristiques biologiques propres et notamment de leurs capacités reproductives. La fécondation croisée, rendue possible par la coévolution plantes/insectes qui s’est établie, va générer une importante biodiversité, hétérogène selon les groupes. Certaines familles auront une destinée mondiale, telles les herbes pour les céréales (Poacées), alors que d’autres se retrouvent dans des zones plus limitées (endémiques) comme les baobabs (Afrique de l’Est et Madagascar). Certaines familles connaissent un énorme succès avec plusieurs centaines d’espèces (Rosacées, Solanacées, Rubiacées…) tandis que d’autres n’en génèrent que quelques-unes (le cocotier, une seule espèce).
Le processus de domestication
La situation est largement structurée et différenciée lorsque les hommes commencent à intervenir sur leur environnement. Dans un premier temps, notre espèce se contente de cueillir et de chasser (les fameux chasseurs-cueilleurs). Probablement à la suite d’un réchauffement climatique, certains groupes se sédentarisent progressivement, créant des campements, puis des villages. C’est alors que commence le processus de domestication, il y a 15 000 à 20 000 ans, sur l’ensemble de la planète. Il est difficile de dater précisément, pour chaque espèce domestiquée, le démarrage du processus. Quoi qu’il en soit, en fonction des caractéristiques propres et des possibilités de modification, les hommes transforment certaines espèces présentes dans leur environnement immédiat pour les rendre plus accessibles et plus intéressantes pour eux.
Migrations : sélection de nouvelles espèces et de variétés
Différentes parties de la plante sont concernées. Selon toute vraisemblance, les espèces capables de stocker des réserves d’amidon dans leurs racines ou sous forme de tubercules connaissent un succès rapide, de même que celles dont les feuilles sont consommables. Pour d’autres, ce sont les graines, ou encore le fruit dans sa totalité. En fonction des espèces sauvages présentes localement, les populations humaines les transforment en variétés de la même espèce, que nous appellerons « domestiquées », ou créent de nouvelles espèces en suivant des processus plus ou moins complexes. C’est le cas notamment du blé, des agrumes ou des bananes.
Dès l’Antiquité, des échanges commerciaux existent au sein des zones d’origine des espèces cultivées comme les routes de la soie. Certaines espèces voient leur zone de culture s’élargir avec l’apparition de nouvelles formes. Le maïs domestiqué au Mexique se diffuse par exemple vers l’Amérique du Sud, où les populations modifient les formes cultivées, créant de nouvelles variétés. Cette région est, pour cette espèce, considérée comme une zone de différentiation primaire (voir encadré). Vers l’année 1400 de notre ère, juste avant la découverte de l’Amérique, les hommes ont domestiqué de nombreuses espèces sauvages en fonction de la flore locale et de leurs intérêts (Figure n° 1). À titre d’exemple, les peuples du continent américain donnent naissance aux pommes de terre, aux tomates, au maïs ; ceux d’Asie au riz, aux bananes et aux agrumes ; ceux d’Europe au blé, à la vigne et à de nombreux fruitiers ; ceux d’Afrique au caféier, au palmier-dattier ou au mil.
Suite à la découverte de l’Amérique et aux voyages internationaux qui s’amplifient, les échanges d’espèces prennent une tout autre ampleur. Les espèces cultivées sont transportées et testées sur d’autres continents avec des succès variables du fait de leurs capacités adaptatives. Les pommes de terre apparaissent en Europe, les tomates également, avec une aire de culture possible bien plus large. Le maïs est l’espèce qui connaît le plus grand succès. Il est dorénavant cultivable presque partout avec de nombreuses zones de diversification secondaire.
La réduction de la diversité en contrepartie
La principale conséquence de ces migrations est l’isolement de l’espèce cultivée des formes ancestrales et des espèces sauvages qui lui ont donné naissance. Ce phénomène, connu sous le nom de réduction de la diversité type « goulot de bouteille » devient la règle. Les hommes vont continuer à modifier les variétés cultivées pour les faire correspondre à leurs besoins. Ce faisant, ils éliminent les formes dites « primitives » en ne conservant que les variétés dites « améliorées ». Ce phénomène s’accentue considérablement au XXe siècle, avec l’émergence des programmes de sélection faisant appel à la génétique quantitative, puis aux biotechnologies. C’est d’ailleurs au milieu de ce siècle qu’arrivent le concept de ressources génétiques et la nécessité de conserver les ressources sauvages et cultivées. Progressivement, les préoccupations concernent non seulement les espèces les plus cultivées (majeures) mais aussi les espèces moins importantes au niveau mondial (mineures), puis les écosystèmes dans leur globalité. Aujourd’hui, les ressources génétiques au sens large peuvent être classées en quatre catégories. La première concerne l’ensemble des espèces cultivées, qu’elles soient d’importance économique mondiale ou locale. La seconde est constituée de l’ensemble des espèces sauvages, progénitrices ou non, des espèces cultivées. La troisième, particulièrement importante, se trouve in situ dans les zones d’origine et de domestication des espèces. Elle se compose des formes hybrides naturelles ou des formes adventives. La quatrième est beaucoup plus large et constituée de toutes les espèces sauvages et non améliorées potentiellement utiles (aromatiques, médicinales…). Les espèces végétales sont donc bien plus anciennes que l’espèce humaine. Elles ont eu le temps de se développer et de se diversifier en de multiples lieux sur la planète. L’Homme en a domestiqué une infime partie à laquelle il a donné beau- coup d’importance. Il a ainsi créé une nouvelle diversité en négligeant, voire en perturbant les écosystèmes d’origine et en perdant la mémoire des pratiques ancestrales. Puisse ce petit texte contribuer à la conservation et à l’utilisation optimisée des ressources végétales.
Serge Hamon
Généticien à l’IRD
Serge Hamon (2019), L’Odyssée des plantes sauvages et cultivées. Éditions Quae, éditions IRD, 367p.