Les orobanches : une menace pour l’agriculture et l’horticulture
Philippe Delavault
Les orobanches sont une famille de plantes parasites qui regroupe des autotrophes, des hémiparasites, des hémiparasites facultatives, des hémiparasites obligatoires et des holoparasites. En raison de leur développement d’abord souterrain, donc caché, elles causent d’importants dégâts aux cultures. La lutte s’avère difficile à cause de leurs capacités de dissémination et d’adaptation.
Quelques chiffres
Parmi les 4 450 espèces de plantes à fleurs parasites répertoriées à ce jour, 1 725 appartiennent à la famille des Orobanchaceae. Il s’agit de l’une des rares familles regroupant des espèces autotrophes non parasites et des espèces parasites présentant différents degrés de spécialisation trophique : des autotrophes (Lindenbergia), des hémiparasites facultatives (Rhinanthus, Triphysaria…), des hémiparasites obligatoires (Striga) et des holoparasites (Orobanche et Phelipanche). Avec 190 espèces, les strigas et les orobanches regroupent les principales plantes parasites de racines dans les régions tempérées et les régions sub et intertropicales d’Afrique et d’Asie. Parmi les 150 espèces d’orobanches, quelques-unes représentent de redoutables adventices parasites qui s’attaquent à de nombreuses espèces cultivées. Quelle que soit l’espèce d’Orobanchaceae, elle représente une contrainte économique majeure puisque plusieurs millions d’hectares de terres arables sont menacés autour de la Méditerranée, en Asie de l’Ouest et en Afrique.
Une grande famille, deux genres
Le terme générique orobanche dérive du grec ancien ὄροβος (orobos, la vesce) et ἄγχω (ankhō, étouffer) en référence à l’impact du parasite originellement observé sur ses hôtes qui étaient essentiellement de la famille des Fabaceae. Il existe une certaine confusion concernant la classification de ces différentes espèces en raison d’une réduction drastique, induite par le mode de vie parasitaire, du nombre de caractères phénotypiques classiquement utilisés en identification taxonomique. Cependant, à l’aide de plusieurs marqueurs moléculaires différents, il a été possible de regrouper l’ensemble de ces espèces en deux genres phylogénétiquement distincts : le genre Orobanche (19 chromosomes) et le genre Phelipanche (12 chromosomes).
Caractéristique commune à tous les parasites obligatoires de racines, le cycle de vie des orobanches est atypique comparé à celui des angiospermes autotrophes, en raison de son haut degré de spécialisation trophique mais aussi de sa synchronisation avec celui de son hôte.
Ce cycle est divisé en deux phases distinctes : la première va de l’imbibition de la graine au développement de la radicule et s’opère grâce à la mobilisation des réserves des graines. Cette indépendance énergétique cache néanmoins une forte dépendance vis-à-vis de l’hôte puisque qu’un signal chimique produit par les racines de l’hôte et exsudé dans la rhizosphère est indispensable à la germination des graines de ces plantes parasites. Ces signaux sont appelés stimulants de germination et appartiennent essentiellement à la famille des strigolactones. La seconde phase débute avec la formation de l’haustorium, organe clé et spécifique de ce parasitisme permettant la connexion du parasite au système vasculaire de l’hôte. Là encore, cette étape est sous la dépendance de l’hôte, qui produit et exsude des facteurs hormonaux impliqués dans l’induction de la formation de l’haustorium.
Jusqu’à plusieurs dizaines de milliers de graines par plante
La survie du parasite après germination est fortement dépendante de cette étape de fixation qui représente ainsi l’étape la plus critique du cycle de développement. Le faible succès de fixation est néanmoins compensé par le taux de reproduction très élevé chez ces espèces parasites, avec, en effet, la production de plusieurs dizaines de milliers de graines par plante. Cette stratégie de reproduction garantit ainsi la pérennité de ces espèces. Une fois l’haustorium différencié, la plante parasite constitue un puits surnuméraire et dominant pour la plante hôte, ce qui lui permet de détourner l’eau, les nutriments et les hormones nécessaires à son développement. Les orobanches développent tout d’abord un tubercule puis une tige écailleuse souterraine et une hampe florale achlorophyllienne après émergence hors du sol. Ces plantes présentent des degrés d’autogamie extrêmement variables selon les espèces. Elles ont néanmoins la propriété commune de produire une multitude de graines minuscules (10 000 à plus de 50 000 graines par plante selon les espèces). Ainsi, le processus de spoliation trophique mis en place par ces plantes parasites ravageuses est régi par un dialogue moléculaire fin entre les deux partenaires et représente ainsi un exemple extraordinaire d’adaptation végétale opérée au cours de l’évolution.
Dans les cultures
Les orobanches représentent une catégorie de mauvaises herbes parasites parmi les plus destructives pour les plantes de grandes cultures et de cultures maraîchères du pourtour méditerranéen et d’Europe. Leur impact a significativement augmenté ces dernières années en raison du réchauffement climatique, de l’accroissement des échanges commerciaux et de la mondialisation. Ces plantes se connectent au système vasculaire de leur plante hôte, de sorte que les deux partenaires, l’hôte et le parasite, sont physiquement et physiologiquement associés tout au long du cycle de développement du parasite. Les premières phases de l’interaction se déroulent sous terre, où le parasite soutire à son hôte eau, sels minéraux et composés organiques. Ce n’est qu’après s’être totalement établi et avoir développé une tige aux dépens de l’hôte que le parasite émerge. Il a alors déjà causé des dommages importants qui réduisent significativement et irréversiblement le rendement de la culture. L’orobanche cause ainsi des dégâts pouvant aller jusqu’à une perte totale de rendement au coeur des foyers d’attaque. En Europe et en Asie, parmi les 150 espèces d’orobanches, sept sont des menaces pour des cultures d’intérêt économique en agriculture et en horticulture :
• Plus d’un million d’hectares de cultures légumières, plus particulièrement la féverole, la lentille, le pois chiche, la vesce, le petit pois et la carotte, sont infestés ou menacés en région méditerranéenne et en Asie occidentale par Orobanche crenata.
• Phelipanche ramosa s’attaque aux Cucurbitacées, Solanacées et Brassicacées et est largement répandu en Europe, devenant un problème majeur pour le colza en France et pour la tomate dans les pays d’Europe du Sud.
• Phelipanche aegyptiaca, très semblable à P. ramosa mais s’en différenciant malgré tout par quelques traits morphologiques, peut s’attaquer aux mêmes cultures que P. ramosa, en particulier les Solanacées (tomate, pomme de terre, aubergine et tabac) et plusieurs cultures appartenant aux Fabacées, Brassicacées, Apiacées et Astéracées dans le sud-est de l’Europe, au Moyen-Orient et en Asie.
• Orobanche cumana est une espèce présentant une spécificité d’hôte, contrairement aux autres espèces d’orobanches, puisqu’elle constitue une menace uniquement pour le tournesol et ce, dans toute l’Europe. À terme, 60 à 70 % de la production européenne de tournesol sont menacés par cette orobanche.
• Orobanche cernua affecte essentiellement des cultures de Solanacées, et est devenu ainsi une problématique pour la tomate cultivée en Europe du Sud et en Afrique, et le tabac en Inde.
• Orobanche minor infeste les légumineuses fourragères, comme le trèfle et la luzerne, cultivées pour la production de semences, en Europe centrale et du Sud.
• Orobanche foetida présente un spectre d’hôtes restreint aux Fabacées et une distribution limitée à la Méditerranée occidentale : Afrique du Nord, Espagne et Portugal. Si O. foetida parasite plusieurs espèces de légumineuses sauvages, d’un point de vue économique, seule la féverole en Tunisie a été répertoriée comme affectée par cette mauvaise herbe parasite.
Parce qu’elles sont dotées d’un pouvoir exceptionnel de dissémination et d’une capacité extrême d’adaptation, la propagation des orobanches est impossible à contrôler. Malgré d’intenses efforts de recherche, les méthodes de lutte efficaces (pratiques culturales essentiellement) sont quasi inexistantes et le développement de résistance chez les cultures hôtes reste une priorité des pathologistes, agronomes et biotechnologues. Cependant, à ce jour, le déploiement de variétés et lignées avec une résistance complète et durable reste limité