Les nanotechnologies sont-elles au service de l’horticulture ?

Depuis une vingtaine d’années, les nanotechnologies, perçues comme révolutionnaires, ont envahi de nombreux secteurs d’activité en revêtant différents aspects.
Elles sont présentées, y compris dans le monde de l’horticulture, comme faisant partie des solutions aux enjeux actuels de protection de l’environnement et du consommateur.

Les nanotechnologies sont employées aussi bien dans le volet nutrition que protection de la plante. Elles sont de plus en plus présentes mais invisibles à l’oeil nu © Adobe-Stock

Mais de quoi parlons-nous ?

La Commission européenne (CE) définit un nanomatériau comme « un matériau naturel ou manufacturé ou formé accidentellement contenant des particules libres, sous forme d’agrégats ou d’agglomérats, dont au moins 50 % des particules, dans la répartition numérique par taille, présentent une ou plusieurs dimensions externes se situant entre 1 nm et 100 nm1 » (recommandation n° 2011/696/UE). Les nanomatériaux se présentent sous diverses compositions : métalloïdes, oxydes métalliques, non-métaux ou encore nanomatériaux de carbone. Leurs petites tailles, et en conséquence, les rapports surface/volume élevés leur confèrent des propriétés uniques de solubilité, de mobilité et de capacités d’entraînement (ions et/ou molécules). Pour synthétiser les nanoparticules, on peut employer des méthodes physiques, chimiques ou biologiques avec différentes approches :

  • Approche ascendante : assemblage des atomes/molécules à l’échelle nanométrique à l’aide de forces chimiques ;
  • Approche descendante : décomposer et miniaturiser davantage les structures à l’échelle nanométrique sans perturber leur originalité à l’aide d’une force externe ;
  • Approche fonctionnelle : les composants ayant la fonctionnalité souhaitée sont créés indépendamment de leur mode d’assemblage.

Les connaissances actuelles ne permettent pas de connaître précisément les différents mécanismes inhérents à leur emploi, tels l’absorption, la translocation, l’accumulation, l’ensemble des fonctionnalités dans les plantes, mais aussi la dispersion, l’accumulation dans l’environnement et les organismes cibles et non cibles, ou encore les effets indirects. La pénétration des nanoparticules dans les plantes se fait principalement par les racines ou les feuilles. D’autres moyens d’application des nanoparticules sont en cours d’étude comme l’injection directe, l’incubation avec des graines, l’administration biolistique, l’irrigation, le traitement hydroponique.

Les domaines d’application

La Figure n° 1 récapitule les différents domaines des nano-technologies impliquant notamment l’horticulture. Le génie génétique et la récente technologie d’édition de gènes ont tout d’abord permis d’améliorer la production agricole grâce à la modification des gènes. À présent, avec les progrès de la nanotechnologie, c’est l’utilisation de nanoparticules pour le transfert de gènes qui est mise en lumière. À titre d’exemple, le système CrisPR/Cas 9 basé sur la nanotechnologie est un outil d’édition du génome de troisième génération qui a fait ses preuves et qui est utilisé pour l’amélioration et la protection des cultures2. Les nanotechnologies sont particulièrement travaillées pour la nutrition des plantes. Plusieurs dénominations existent, regroupées sous le vocable d’« engrais intelligents ». Les nano-engrais permettent un large éventail d’applications qui garantirait une distribution précise des nutriments à des moments et à des endroits optimaux. Ils permettent de réduire les doses par rapport à une fertilisation traditionnelle et assurent aussi une meilleure assimilation. Dans la prolongation de ces usages, il y a tout le domaine des biostimulants pour réduire les stress abiotiques : températures extrêmes, stress osmotiques ou encore métaux lourds. De même, ils peuvent simultanément favoriser la croissance des plantes et permettre leur défense face aux bioagresseurs. Leurs implications dans la protection des plantes sont diverses :

  • Action directe sur les maladies, les bactéries et même les virus ;
  • Action indirecte en favorisant les capacités et l’activation des défenses naturelles des plantes ;
  • Inclusion dans les formulations avec des effets variés, meilleure efficacité, réduction des doses ou encore moins de pertes dans l’environnement ;
  • Diagnostic précoce, en particulier des maladies, en améliorant la sensibilité et la sélectivité de la détection des agents pathogènes ou des marqueurs de maladies tels que les acides nucléiques, les protéines, les toxines et les hydrates de car-bone au travers d’outils de détection « nano-structurés » tels que des biocapteurs ou des capteurs portables placés sur des parties de plantes, combinés à des appareils portables, comme des smartphones.

Autre domaine possible d’utilisation, la prégermination (priming) des semences : c’est une technologie émergente utilisant des nanoformulations qui sont retenues par les enveloppes des semences. Ces nanoparticules peuvent être regroupées en deux catégories : les nanoparticules actives et les systèmes de nano-transporteurs à libération prolongée.
Enfin, il est possible de retrouver les nanotechnologies après la récolte dans des emballages permettant de réduire les pertes post-récolte, mais aussi dans les process de fabrication et de conservation des produits transformés.
On va retrouver ces techniques dans bien d’autres domaines pouvant toucher l’horticulture tels la remédiation de polluants et de contaminants, l’industrie du bois ou encore la filtration pour éliminer les solvants organiques et inorganiques, les colorants, les ions divalents et les sucres des systèmes aqueux.

Figure n° 1 : Les diverses applications des nanotechnologies en horticulture.

Pas sans dangers

Comme toutes les technologies, les nanotechnologies pré-sentent leurs propres limites. De fait, les effets toxiques des nano formulations dispersées dans l’environnement peuvent se retrouver dans tous les types de compartiments biotiques et abiotiques de l’environnement, tels que les plantes, les animaux, les insectes, les humains, le sol, l’air et l’eau. Concernant les plantes, il est possible d’observer des phytotoxicités liées à une accumulation des nanoparticules induisant des impacts négatifs sur la croissance et le développement, mais aussi l’induction d’un stress oxydatif. Pour le volet environnement, les nano particules libérées dans l’air interagissent avec les nuages ou d’autres particules présentes dans l’air, ce qui a pour effet de réchauffer ou de refroidir la température globale. Dans le sol, elles peuvent interférer avec les systèmes d’eau souterrains et les rendre inutilisables, mais aussi induire des modifications du microbiote des sols provoquant des altérations dans leur fonctionnement et leur stabilité. Elles peuvent également être transférées à un autre niveau trophique lorsque d’autres organismes se nourrissent de plantes traitées avec des nano-particules et se retrouvent dans la chaîne alimentaire, donc chez l’homme, avec accumulation dans des organes vitaux, mais aussi en interaction avec le microbiote intestinal.
Au niveau mondial, il existe différents textes réglementaires qui ont pour fonction de fournir des lignes directrices et d’élaborer des politiques et des cadres réglementaires pour une utilisation sûre des nanoproduits. Les différents règlements de la Commission européenne traitent des normes de sécurité et des questions de gestion des risques liés aux nanotechnologies agricoles. Du fait de leurs spécificités, des méthodes d’évaluation spécifiques sont nécessaires.
Les nanotechnologies ont ouvert de larges champs d’utilisation qui sont amplement explorés et commencent à trouver des appli-cations pratiques. Le taux de croissance du marché mondial des nanotechnologies, y compris dans l’agriculture, est estimé à plus de 18 % par an au cours des cinq dernières années. Différents produits sont déjà disponibles, plus de 260 à travers le monde, par ordre décroissant : engrais, produits phytopharmaceutiques, produits visant la sélection végétale et l’amélioration des sols. Toutefois, les recherches doivent se poursuivre pour mieux connaître leurs effets secondaires et à long terme.

François Villeneuve
Ingénieur honoraire du CTIFL, membre du comité de rédaction
de Jardins de France

1 Un nanomètre (nm) est égal à un milliardième de mètre.
2 Voir « Que peut-on attendre des nouvelles techniques de sélection des plantes ? » Jardins de France n° 669.