Les légumes de diversification de la famille des Apiacées

Parmi les nombreuses espèces de la famille des Apiacées, seule une très faible minorité est cultivée et souvent pour un usage condimentaire. Les espèces cultivées comme légumes sont essentiellement la carotte (Daucus carota), le céleri (feuille et rave, Apium graveolens) et le fenouil (Foeniculum vulgare). Cependant, il existe quelques autres formes, soit exotiques telles que l’arracacha typique d’Amérique du Sud (Arracacha xanthorriza), soit considérées comme des légumes oubliés ou de niche tels que le panais (Pastinaca sativa), le persil à grosse racine (Petroselinum crispum var. tuberosum) ou encore le cerfeuil tubéreux (Chaerophyllum bulbosum).

 

Du fait de la richesse des Apiacées en métabolites spécialisés, ces légumes mineurs présentent des arômes originaux à valoriser dans une démarche gastronomique. Ces mêmes composés peuvent souvent conférer un intérêt santé particulier à ces légumes. De plus en plus reconnus, ces légumes bénéficient utilement des programmes de sélection de nouvelles variétés.

Le cerfeuil tubéreux

Le cerfeuil tubéreux est une espèce bisannuelle originaire d’Europe Centrale et du Sud-Est. Il pousse spontanément en Russie, en Sibérie, en Autriche, en Allemagne, en Italie et en Roumanie. En France, on trouve des populations indigènes denses dans les bassins du Rhin et de la Moselle, qui constituent la limite occidentale des spécimens sauvages. La propagation est assurée par les semences dispersées par les rivières ou les oiseaux.

Utilisation et culture du cerfeuil tubéreux

Le cerfeuil tubéreux est récolté à l’état sauvage et utilisé comme aliment depuis l’Antiquité. La culture a été décrite pour la première fois en Autriche en 1601 et introduite en France en 1846 où il est devenu une culture populaire, en particulier pendant la première moitié du XXe siècle. Après avoir connu le succès en tant que culture au cours du XIXe siècle et au début du XXe siècle, en particulier en France et en Allemagne, la culture a été progres­ sivement abandonnée après la Seconde Guerre mondiale. Au début des années 1980, elle n’était plus présente que dans quelques rares régions de France. Cette disparition quasi totale s’explique par deux difficultés liées à la production et au stockage des racines. En raison de la dormance des graines, le semis devait avoir lieu en novembre pour que la germination ait lieu fin février ou début mars. De plus, après la récolte en juillet, la racine devait être stockée pendant plusieurs mois pour atteindre un goût et un arôme acceptables afin d’être com­ mercialisée de novembre à mars. Les programmes de sélection des scientifiques français, lancés en 1985, ont permis de développer de nouvelles variétés sans dormance des graines, avec un taux de germination élevé (90 %) et une forme de racine uniforme, ce qui a contribué de manière significative à un regain d’intérêt dans des régions telles que la vallée de la Loire et le nord de la Bretagne. Aujourd’hui, la popularité de cette culture ne cesse de croître.

 

Culture en plein champ de cerfeuil tubéreux
Culture en plein champ de cerfeuil tubéreux © J. Granger

Itinéraire cultural et stockage

Les semences sont placées à une profondeur de 2-3 mm et légèrement recouvertes d’une fine couche de sable, dans un sol fin de type sableux ou sablo-limoneux profond. Selon les variétés cultivées, il existe deux pratiques de production différentes qui se distinguent par la date de semis et la durée de la période de culture. La première concerne les variétés à longue dormance des semences (par exemple Altan, obtentions INH, J.Y. Péron). Elles doivent être semées avant la fin décembre pour obtenir une stratification des semences (application d’un froid humide de huit à neuf semaines à 0-6 °C pendant la germination). La levée a lieu de février à mars. Le cycle de culture peut atteindre sept mois. La seconde pratique s’adresse aux variétés à dormance courte, comme Doléane ou Véga (obtentions INH, J.Y. Péron), qui sont semées en février ou mars. La levée des plantules a lieu quatre semaines plus tard. Le cycle de culture est de quatre à cinq mois.

Environ quatre mois après l’émergence, la racine de conservation présente un épiderme subérisé, de couleur ocre à brun clair, de forme globulaire, conique ou allongée, et une chair blanche à maturité de récolte. Les racines à la récolte sont composées essentiellement d’amidon (76 % de la matière sèche) et sont insipides. C’est le stockage pendant quatre à cinq mois à basse température (chambre froide humide ou cave) qui va stimuler l’hydrolyse de l’amidon et les différentes évolutions aromatiques pour en faire un légume de qualité gastronomique optimale. La racine est alors sucrée et savoureuse, rappelant le goût de la châtaigne. À partir de cette racine au goût subtil, de nombreux chefs de restaurants gastronomiques ont créé des recettes non seulement pour un usage végétal mais aussi pour des desserts. Typique des fêtes de fin d’année, le cerfeuil tubéreux se consomme cuit à la vapeur ou rissolé.

Cerfeuil tubéreux ’Doléane’ à la récolte
Cerfeuil tubéreux ’Doléane’ à la récolte © E. Geoffriau

Le panais : cultiver son arôme caractéristique

Le panais est une espèce bisannuelle adaptée aux conditions fraîches des zones septentrionales et revêt une certaine importance locale dans les pays d’Europe du Nord et de l’Est. La documentation indique, comme pour d’autres Apiacées, que cette espèce était cultivée par les Romains. Étant une source d’amidon, le panais a acquis de l’importance en tant que légume au Moyen Âge en Europe, avant l’introduction de la pomme de terre, et a d’ailleurs été introduit dans le Nouveau Monde, où il a été cultivé par les peuples indigènes et les colons européens. Cependant, il n’est pas aisé de retracer son histoire avec précision, le panais étant présenté avec la carotte sous le terme commun de « Pastinaca » dans plusieurs écrits anciens. Les principales zones de production aujourd’hui sont la Grande-Bretagne, la Hongrie et la France, mais il est cultivé commercialement au Canada, aux États-Unis, en Australie…

Exemple de préparation culinaire goûteuse : le panais rôti
Exemple de préparation culinaire goûteuse : le panais rôti © E. Geoffriau

 

Du fait de la nécessité de températures fraîches, le panais sera cultivé en zones tempérées ou en altitude dans les autres zones. Semé typiquement dès février et jusqu’en juin en Europe, il est recommandé de le cultiver dans un sol profond et drainant, de type sableux ou sablo-limoneux, afin d’obtenir une bonne qualité de racine. Le cycle de culture est de 90 à 130 jours selon les conditions et la variété. Caractéristique commune de la famille des Apiacées, le panais produit une série de métabolites spécialisés, ce qui lui confère son arôme caractéristique. Il est connu pour produire des furanocoumarines, un groupe de composés dont la toxicité et la cancérogénicité potentielle sont connues, et qui peuvent être responsables de dermatite chez les personnes sensibles au contact des feuilles. De façon similaire au cerfeuil tubéreux, le stockage l’hiver au champ ou en chambre froide humide permet la transformation de l’amidon en sucres avec en parallèle l’évolution de nombreux métabolites. Le panais est consommé cuit avec plusieurs préparations culinaires, sous formes rôties, de soupes, ou plus récemment de chips.

Panais de forme ronde au champ
Panais de forme ronde au champ © E. Geoffriau

Le persil à grosse racine : un cycle de cinq mois

Le persil présente une forme avec racine tubéreuse. Elle est blanche, longue et pointue et est souvent confondue avec le panais ou la carotte blanche. Les conditions de culture sont similaires à celles du panais. Toutefois, l’émergence des plantules est particulièrement lente et le cycle de culture est plus long (cinq mois). Contrairement aux deux cas précédents, ce légume est peu calorique. La racine de persil tubéreux présente un arôme typique et prononcé de persil. Elle est valorisée dans les soupes et pot-au-feu, et notamment dans les mélanges de chips de légumes. Les feuilles peuvent être prélevées comme du persil commun.

Racines de persil tubéreux (gauche) et de panais (droite)
Racines de persil tubéreux (gauche) et de panais (droite) © E. Geoffriau
Persil à grosse racine au champ
Persil à grosse racine au champ © E. Geoffriau

Emmanuel Geoffriau, Sébastien Huet, Cécile Dubois-Laurent, Anita Suel, Valérie Le Clerc, Mathilde Briard
Institut Agro, Université d’Angers, Inrae, IRHS UMR 1345, SFR 4207 QuaSaV