Les jardins d’Arnaga : L’autre œuvre d’Edmond Rostand
Formidable auteur, remis sur le devant de la scène par la pièce, puis le film adapté, d’Alexis Michalik, Edmond Rostand se prend, au début du XXe siècle, d’amour pour le Pays basque. Il y fait bâtir une demeure et ses jardins et fait de son rêve une réalité que nous pouvons aujourd’hui encore visiter : les jardins d’Arnaga.
La découverte du site d’Arnaga
En 1900, Edmond Rostand, l’auteur de Cyrano de Bergerac et de L’Aiglon, gravement malade, vient se soigner à Cambo-les-Bains, dans les Pyrénées. Conquis par ce village au cœur du pays basque, il y revient en janvier 1902 pour s’y établir définitivement. Le poète décide d’y construire la demeure de ses rêves, Arnaga. Un palais dans un écrin de verdure.
À pied, à cheval, en voiture, il parcourt la région à la recherche du terrain idéal et, après des semaines de prospection, trouve l’endroit parfait. Le futur domaine d’Arnaga se situe sur un éperon à la confluence de la Nive et d’un petit ruisseau. Au comble de l’enthousiasme, il le fait découvrir à son ami Paul Faure : « Il est rare que le paysage n’ait pas quelque imperfection. Ce plateau-ci, dans quelque direction que l’on se tourne, le tableau est harmonieux en tous ses détails, parfait de proportions et de mesure. » Même le paysage lointain, semble « avoir été disposé par une volonté d’artiste(1*) ».
Rostand, poète et architecte
Une fois que le poète a pris sa décision, tout doit aller très vite. Sur recommandation de son père, Edmond Rostand fait appel à Albert Tournaire, qui avait construit la Caisse d’Épargne de Marseille. Dès la première quinzaine d’août 1902, l’architecte est à Camboles-Bains. Rostand se réjouit qu’il ait « si merveilleusement compris le projet de maison et de jardin [qu’il] rêve(2*) ». Le 15 octobre, le plan du domaine est dressé par un géomètre de Constantine. Les réserves du musée Edmond Rostand renferment de nombreux documents qui montrent que l’auteur s’est totalement investi dans la création de son jardin. Dessins et lettres le dévoilent fourmillant d’idées, exigeant dans la réalisation, impatient du résultat. La collaboration entre les deux hommes fonctionne parfaitement. Dès mars 1903, les plans sont prêts. Les entreprises sont choisies. Les travaux commencent. Le terrain est rapidement nivelé. Paul Faure raconte : « Il y a tant d’ouvriers, sur ce plateau encore si récemment sauvage, qu’on ne sait si c’est une maison qu’on édifie ou une ville. Cette foule d’hommes occupés à piocher, défoncer, planter, cette procession de tombereaux qui ne cessent de déverser de la terre, ces monceaux de pierres, ces treuils, ce charroi continu, ce va-et-vient des contremaîtres donnant des ordres, tout cela rappelle, par l’activité, par la rapidité, par les transformations à vue d’œil des lignes et des aspects, les travaux de la dernière Exposition Universelle, qui, du jour au lendemain, métamorphosaient un quai en sentier de jardin, faisaient pousser des palais en quelques nuits, plantaient en quelques semaines une allée de vieux arbres(3*). »
Un jardin aux multiples facettes
Jean Rostand, le plus jeune fils et futur célèbre biologiste, disait du jardin d’Arnaga que son père « l’avait réellement créé de toutes pièces. Il en avait lui-même tracé tout le plan, avec minutie, avec amour, avec la même attention qu’il avait pour ses œuvres théâtrales ». C’est une véritable œuvre de verdure qu’imagine le poète. La tâche est énorme. Le vaste terrain, de seize hectares, nécessite une totale invention.
Rostand demande à son architecte : « … quant aux jardins, si vous le voulez bien, ils seront “à la française”, avec leurs lignes bien dessinées, leurs bassins, leur orangerie et leur gloriette, qui évoqueront pour moi toute notre histoire, de Cyrano jusqu’à L’Aiglon ! Derrière la maison, le jardin sera plus “sauvage”, avec sa fontaine et sa grotte pour satisfaire les enfants et les amateurs de contes de fées que nous sommes dans la famille(4*). »
Albert Tournaire, premier Grand Prix de Rome, maîtrise les règles classiques. Il organise la vision du grand jardin régulier depuis la terrasse surélevée de la maison. De là, part l’axe de symétrie. La géométrie se décline dans l’ocre de ses allées et le vert de ses gazons. La main de l’homme est partout. Le végétal est maîtrisé, les arbustes forment des boules et des cônes parfaits qui soulignent les axes et les angles. À la périphérie, les haies sont taillées en murs adoucis d’ondulations comme pour créer un cadre à ce tableau végétal.
Un tout autre jardin se déploie derrière la maison côté couchant. Sa forme évoque la proue d’un navire. Ce que nous nommons aujourd’hui « jardin à l’anglaise » est, à l’époque un espace relativement nu, couvert de pelouse, de quelques bosquets d’azalées, de rhododendrons et d’arbres colonnaires.
Tout autour des jardins, « un bois long et étroit, très basque avec ses chênes épais, bas, pareils à des candélabres massifs et tordus(5*) », semble former un écrin, témoigne Paul Faure. Aux arbres centenaires clairsemés ont été adjoints des arbres adultes prélevés d’un parc voisin abandonné. Le sous-bois s’enrichit des fleurs colorées des genêts dorés, hortensias bleus, rhododendrons mauves, lauriers roses. Partout, les détails, trouées, constructions apportent une surprise, un nouveau point de vue.
L’épouse d’Edmond Rostand, Rosemonde Gérard prend part à la création des jardins en allant à Paris chercher plantes et fleurs « choisies une à une parmi tout ce qu’il y a de mieux ». Elle achète des sujets uniques et des plantes nouvelles. Elle écrème l’Exposition d’horticulture de 1906, raflant les plantes récompensées. « Il y avait des gens désespérés de trouver brusquement vendues des plantes qu’ils couvaient de l’œil depuis un mois(6*). » Elle y achète de telles quantités de plants qu’il faudra un wagon entier pour les acheminer.
Des jardins sans limite
La nature et les paysages font partie du projet de Rostand. Dès sa première découverte du vaste éperon, il imagine la vue qu’il regarderait de la maison. « De ce côté-ci, la montagne, rien que la montagne, mais la montagne qui n’est pas muraille, qui n’attriste pas, qui reste riante et qui porte sur ses flancs les mêmes petites maisons blanches que de l’autre côté. Vue d’ici, elle forme un tableau où rien ne choque, où les moindres détails semblent avoir été disposés par une volonté d’artiste(7*). »
Les limites des jardins sont repoussées jusqu’à l’arrière-plan des montagnes pyrénéennes. Le jardin régulier se termine par une grande pergola à colonnade. Mais les pentes verdoyantes de l’Ursuya, du Baïgurra se révèlent être les véritables confins de l’ouvrage.
Albert Tournaire multiplie les constructions ouvertes. Le belvédère de l’entrée de la maison surplombe la vallée de la Nive, le treillage transparent du Coin des Poètes laisse apparaître, derrière les bustes de Shakespeare, Hugo et Cervantès, la silhouette conique du Mondarrain, tandis que la pergola aux glycines donne dans le lointain sur la Rhune, montagne mythique du Pays basque.
Les jardins d’Arnaga offrent un cadre idéal aux écrits de cette famille de poètes. Edmond Rostand les prend pour cadre de sa nouvelle pièce Chantecler. Rosemonde et son fils Maurice les chantent dans leurs poèmes. Le cadet, Jean, y découvre la vie des animaux qui deviendra la passion de sa vie. Aujourd’hui classé « Monument historique », « Jardin remarquable », « Arbres remarquables », « Maisons des illustres », le lieu accueille près de 90 000 visiteurs chaque année.
Béatrice Labat
Conservatrice du musée Edmond Rostand
(1*) Extrait de Faure Paul. Vingt ans d’intimité avec Edmond Rostand.
Rééditions chez Atlantica, 1er novembre 2016
(2*) Op. cit. Faure Paul
(3*) Op. cit. Faure Paul
(4*) Lorcey Jacques, Edmond Rostand – Tome II : Cambo – Arnaga –
Chantecler (1900-1910), Editions Séguier, coll. « Empreinte », Paris,
11 mars 2004
(5*) Op. cit. Faure Paul
(6*) Lettre de Rosemonde Rostand à son époux. Paris le 30 mai 1906. Collection BNF
(7*) Op. cit. Faure Paul