Les fractales et la réitération chez les plantes
Élisabeth Dumont
La caractéristique d’une fractale est sa structure répétitive : sa forme reste identique à elle-même, quelle que soit l’échelle à laquelle on l’observe. Elle peut être regardée de loin ou de près et sembler identique.
Le meilleur exemple de fractales dans le monde végétal est le chou Romanesco, variété ancienne de chou-fleur, cultivée en France seulement depuis les années 1990. Sa couleur verte est celle du brocoli, sa forme compacte est celle du chou-fleur. La forme générale du chou Romanesco est un cône, lui-même constitué de cônes plus petits, disposés en spirale.
Du point de vue théorique, l’une des figures de base des fractales est ce que l’on appelle le flocon de Koch. Il est obtenu progressivement à partir d’un triangle équilatéral. Chaque côté est découpé en 3, puis accolé d’un petit triangle similaire au triangle de départ, et ainsi de suite. Le contour de ce flocon a une longueur infinie et pourtant sa surface tend vers une valeur égale à 8/5 fois la surface du triangle de départ.
Répétition d’une forme de base
La forme des prêles et des fougères, végétaux vasculaires archaïques, se caractérise également par la répétition d’une forme de base. A partir de la nervure centrale de la fougère aigle se déploient symétriquement les pennes, et cette division se répète 3 fois. La fronde qui en résulte est bien reconnaissable chez cette fougère (photo ci-dessus).
Les fractales en mathématiques ont ouvert de nouveaux champs d’application, en particulier dans le domaine de l’informatique. Michael Barnsley, mathématicien anglo-saxon, a inventé en 1988 un jeu appelé « jeu du chaos ». L’image numérique de la fougère y est obtenue grâce à une fonction réitérée très simple, appelée « fougère de Barnsley ». Pour que son image soit un tant soit peu réaliste sur un ordinateur de puissance normale, il a choisi des valeurs particulières pour les variables de départ.
De nombreux programmeurs informatiques s’intéressent aux formes naturelles, les ordinateurs faisant étrangement office de pont entre l’univers très artificiel de l’informatique et celui de la nature ! Nous assistons aujourd’hui à un renversement de situation, si l’on considère que nous avons essayé longtemps de ramener les formes complexes de la nature à des formes simples, lisses, géométriques et idéalisées, et qu’aujourd’hui au contraire, nous tentons d’imiter grâce aux ordinateurs et à des fonctions numériques, la richesse formelle des plantes.
Les ramifications
La géométrie fractale permet de modéliser des lignes en pointillés, des courbes irrégulières, des circonvolutions. Or, dans de nombreux systèmes biologiques, on observe des structures qui se ramifient, comme les bronchioles des poumons ou les branches d’un arbre. La géométrie des fractales permet de les étudier, même si les formes réitérées du monde vivant ne se répètent pas à l’infini comme dans la théorie, mais un nombre restreint de fois. Les formes vivantes ne sont d’ailleurs pas parfaitement auto-similaires, le détail d’une feuille de fougère n’est pas absolument semblable à la forme globale de la feuille. Pour décrire le vivant, la géométrie des fractales n’est qu’une approximation, mais tout aussi pertinente que la géométrie classique pour décrire un objet réel, comme la ligne pour décrire une route.
L’architecture des arbres
Chez les plantes d’une manière générale, la tige est une succession de nœuds et d’entre-nœuds. C’est cette succession d’un même motif que l’on appelle réitération. La structure des arbres est également concernée. Lorsqu’il est très jeune, l’arbre a une architecture unitaire, issue de la graine. Puis viennent s’ajouter à cette architecture d’autres unités identiques. Depuis Francis Hallé, nous ne pouvons plus considérer un arbre comme un individu, mais plutôt comme une colonie d’individus imbriqués. Un arbre serait donc un être collectif composé d’individus étroitement unis. Un individu, selon l’étymologie de ce terme, est ce qui ne peut pas être divisé, à moins de perdre la vie. Jean-Henri Fabre, l’éminent naturaliste, aurait dit « Diviser un animal, c’est le tuer, diviser une plante c’est la reproduire. ». Les unités réitérées apparaissent chez un arbre pour différentes raisons. Quand on coupe la branche d’un arbre, ou que l’arbre est exposé à la lumière lors d’un défrichage, de nouvelles branches apparaissent dès le printemps suivant. Ces nouvelles branches sont appelées rejets, ou pousses épicormiques, car elles apparaissent à partir de bourgeons situés sur le tronc, ou nommées gourmands par les forestiers. Ces rejets ont chacun leur individualité : conformément au modèle unitaire, ils possèdent des racines propres qu’ils plongent à l’intérieur du tronc au niveau d’insertion, et cela jusqu’au sol parmi les autres racines.
Certaines plantes émettent des drageons, ce qui est une autre forme de réitération. Le robinier, le sumac ou le merisier par exemple émettent des petits arbres à partir d’une racine courant sous la surface du sol : la racine émet non pas une ramification racinaire mais une tige feuillée verticale. Ce clone peut apparaître à une grande distance du tronc.
Les modèles mathématiques en agronomie
Lindenmayer (1925-1989) est un biologiste hongrois qui a proposé en 1968 une méthode pour décrire la structuration des plantes. Il a inventé un modèle de développement et de prolifération que l’on appelle maintenant L-System (ou système de Lindenmayer). Son modèle concernait au départ des organismes simples comme les levures ou les algues, il s’est étendu ensuite aux plantes grâce à la puissance de calcul de l’informatique. Son système est un ensemble de règles et de symboles qui permettent de modéliser la croissance, comme le développement d’une algue. Ce modèle s’applique également à la suite de Fibonacci, au flocon de Koch, puis à la forme des arbres ou des feuilles. Un L-Système permet de modéliser entièrement le développement et la croissance d’un système arborescent. Les structures obtenues ressemblent vraiment à des structures végétales, comme le réseau de nervures d’une feuille.
Dans les années 1970, un ingénieur agronome du CIRAD, Philippe de Reffye, en travaillant sur la production du caféier, s’est intéressé à l’architecture des arbres, à la suite des travaux de Francis Hallé. L’observation sur le terrain d’un très grand nombre d’arbres d’une espèce, la mesure des éléments architecturaux (réitération, axe, unité de croissance), l’analyse des données, la conception d’une base de données informatique, toutes ces étapes ont abouti à la simulation de diverses formes d’arbre et à la production d’images virtuelles vraisemblables. Les travaux de son équipe à l’université de Montpellier permettent de développer des outils qui sont utiles d’une part dans le secteur de l’agronomie, et d’autre part dans le domaine de l’infographie*.
Simulations pour mieux comprendre
Les simulations permettent de mieux comprendre les impacts sur la plante de divers paramètres environnementaux : hygrométrie, ensoleillement, etc. en y intégrant des paramètres physiologiques. Comprendre comment les plantes s’adaptent à leur milieu est un enjeu considérable pour l’agronomie de demain. Les modèles mathématiques aideront à optimiser les cultures, en calculant les rendements en fonction de l’irrigation, de la densité de plantation, et de bien d’autres paramètres.
*Cf. également dans Jardins de France n° 637 « À l’affût des connaissances » l’article de Gerhard Buck-Sorlin et Mickaël Delaire « Des plantes virtuelles pour relever les défis d’une horticulture durable »