Les conifères XXL
Thomas Rouillard
La diversité des plantes à fleurs reflète de nos jours l’incontestable succès évolutif d’espèces qui ont notamment développé une coopération avec le monde animal pour perfectionner à la fois la pollinisation, mais aussi la dissémination de leurs graines encapsulées dans des fruits. Oublier les conifères paraîtrait cependant bien injuste au regard des paysages qu’ils façonnent dans les hautes latitudes (et altitudes) et de la place qu’ils ont tenue par le passé.
On trouve des espèces présentant des individus exceptionnels dans toutes les familles (Pinacées, Taxacées, Cupressacées…) lesquelles sont quelques fois dispersées sur la planète. C’est finalement souvent le climat qui permet aux conifères d’atteindre de sérieuses dimensions, la quantité d’eau disponible tenant un rôle important. Dans nos régions, les plus gros ifs (Taxus baccata) se trouvent en Angleterre (pas loin de 3,5 m de diamètre à Estry) et le sapin blanc (Abies alba) dépasse 50 m dans les massifs les moins exposés d’Europe centrale. En Asie, on peut rencontrer des Cryptomeria japonica de plus de 5 m de diamètre (Japon, Mont Takatsuka), de même pour certains Agathis australis (Nouvelle-Zélande). On a mesuré des Cedrus deodara (Inde) ou Podocarpus totara (Nouvelle Zélande) présentant un diamètre de plus de 4 m. Les araucarias restent plus élancés : Araucaria columnaris dépasse 60 m (France, Nouvelle-Calédonie) et Araucaria hunsteinii frôle les 90 m (Papouasie-Nouvelle-Guinée). On retrouve les podocarpacées et les araucariacées également en Amérique du Sud. Il semble que les grands conifères soient circonscrits depuis l’ère tertiaire aux zones connaissant un climat océanique humide, froid en hiver. Au Chili Araucaria araucana atteint 50 m de haut dans les forêts d’altitude, Darwin tomba sur des Fitzroya cupressoides impressionnants, dont les champions actuels, avec près de 5 m de diamètre et 70 m de haut, ne seraient que de modestes individus… Cette essence il est vrai, a été activement exploitée depuis le XVIe siècle. Même si certaines espèces croissent particulièrement vite, on comprend que les sujets les plus imposants soient tout de même nécessairement âgés. De plus par marcottage (Picea abies) en Suède), certains arbres se propagent durant des millénaires ! Dans le cas des ifs anglais du Moyen-âge, il arrive que ce soit les églises qui aient été « plantées » à côté des ifs, et non l’inverse puisque quelques rares sujets ont plus de 3000 ans (Ashbrittle, Sommerset). Mais revenons à notre Fitzroya géant ; son âge est estimé à 3600 ans soit le début de l’âge du bronze en Europe occidentale ! Pour parfaire la « règle » du climat tempéré humide, il existe quelques exceptions. Les spécimens (non clonaux) les plus âgés au monde se rencontrent sous un climat froid et sec. Leur âge extrême est à corréler avec la durée de leur période annuelle de croissance : pas plus de six semaines quelques fois... Pinus longaeva des montagnes arides du Nevada, peut atteindre l’âge pharaonique de 4800 ans (en fait il poussait déjà quand les égyptiens édifièrent leurs premières pyramides).
Nous voici donc enfin aux États-Unis qui sans conteste sont désignés comme patrie d’adoption des conifères. Ces paysages, étroitement cloisonnés par le Pacifique, la chaîne des Cascades et la Sierra Nevada ont finalement été épargnés par les glaciations et par la diversification des plantes à fleurs. Il nous faut évoquer ici la mémoire de David Douglas (1799-1834), botaniste écossais et chasseur de plantes pour la RHS , qui explora au péril de sa vie cette région sauvage (Oregon et Washington) de 1825 à 1833. Aux menaces réelles que représentaient les moustiques, grizzlis et autochtones, s’ajoute un climat tout à fait particulier. Les précipitations annuelles s’échelonnent de 1500 mm dans le nord de la Californie et les hauteurs de la Sierra Nevada à plus de 4000 mm/an en Colombie britannique (il pleut à Paris 630 mm/an). Dans ce climat doux en été et très humide en hiver s’épanouissent de nombreuses espèces de première grandeur. Tsuga heterophylla, Pinus lambertiana, et Chamaecyparis lawsoniana peuvent atteindre 75 m. Abies Procera, Abies grandis et Sequoiadendron giganteum peuvent dépasser 90 m. Pseudotsuga menziesii frise les 100 m (il est attesté au XIXe des individus de 400 pieds, soit 120 m) et pour finir Sequoia sempervirens culmine aujourd’hui à 115 m. La conquête de l’ouest a abouti ici sur une incroyable ressource en bois qui est exploitée à grande échelle depuis 1850. Bien entendu, les hommes ont d’abord décimé les plus gros arbres, comme en témoignent les nombreuses archives photographiques (le fonds Ericson de l’université Humboldt par exemple). Des diamètres de 4 m étaient courants chez Pseudotsuga menziezsii, de 5 à 6 m pour des Picea sitchensis et Thuya plicata et de 6 à 7 m concernant les Sequoia sempervirens. On considère que depuis la découverte de ce dernier, il y a un peu moins de 200 ans, 95% de la population a succombé aux activités humaines. Les peuplements de Sequoiadendron giganteum (nommé à juste titre « Big tree ») ne persistent que dans quelques zones refuges en Californie. On trouve néanmoins encore plusieurs arbres âgés de plus de 2000 ans dépassant 8 m de diamètre ce qui fait de cette espèce, et de loin, le plus gros organisme vivant (malgré un exceptionnel Taxodium huegelii de près de 12 m de diamètre à Santa Maria del Tule au Mexique). On estime à 1400 tonnes le poids du séquoia géant le plus imposant, soit autant qu’une douzaine de baleines bleues, le colosse du monde animal. Hélas la fascination est fugace et bien souvent on cherche à s’accaparer l’objet admiré ; la nature humaine veut que sans interdit, la possession conduise régulièrement à la destruction. Les populations de vieux et grands arbres sont en train de diminuer très rapidement dans toutes les régions du monde, menaçant l’intégrité des écosystèmes. Ces exceptionnelles espèces de conifères ne survivent aujourd’hui que grâce à la création d’aires protégées qui les mettent à l’abri de l’envie que suscite leur matière première.