Les concurrents du Bon Jardinier (partie II)
Daniel Lejeune
Le Bon Jardinier a toujours coexisté avec d’autres encyclopédies. Il est cependant le seul à s’être à la fois développé à peu près incessamment depuis sa naissance au XVIIIe siècle jusqu’à nos jours. Voici toutefois quelques exemples d’encyclopédies agro- horticoles de langue française ayant eu leur célébrité au cours des siècles.
- La plus ancienne fut la Maison rustique française du XVIe siècle, publiée d'abord en latin en 1554 par Charles Estienne, puis en français dix ans plus tard, avec la collaboration de son gendre, Jean Liebault. Cet ouvrage fit l'objet de plus de 80 rééditions qui traitent déjà le jardinage comme partie intégrante de l'économie rurale et domestique.
- La plus célèbre est le Théâtre d'agriculture et mesnage des champs d'Olivier de Serres, dont la première édition est de 1600. Avec la Maison Rustique, il s'agit sans doute des deux encyclopédies qui ouvrent pour la première fois un chapitre dédié aux plantes de jardin.
- La Nouvelle Maison Rustique de Liger, parut en 1702, faisant à son tour l'objet de plusieurs rééditions jusqu'à la fin du XVIIIe siècle.
- Le Botaniste cultivateur de Dumont de Courset date de 1798. Il atteignit 5 volumes en 1802-1805, puis 7 volumes en 1811-1814.
- Le Manuel complet du Jardinier de NOISETTE (première édition en 1825-27, seconde édition en 1835) apporte le témoignage d'un praticien de premier plan et affiche par rapport à la Maison Rustique, d'intéressants développements sur l'art des jardins.
Mais, ainsi qu'on va le voir, l'appellation Maison Rustique était loin de tomber en déshérence. Parmi les éditeurs ayant plus ou moins tenté d'en adopter le titre, c'est finalement Bixio, savant et politicien caricaturé par Daumier qui, de simple collaborateur, devint finalement le pilote d'un nouveau best-seller : inspirée de l'Encyclopædia of gardening de Loudon (1825), il s'agit de La Maison rustique du XIXe siècle. Cette dernière fut en effet tout d'abord publiée en 4 volumes "agricoles" à partir de 1834-35 sous la direction d'Emile de Girardin et d'Alexandre Paulin, bientôt rejoints par Bixio. Ce n'est que plus tardivement en 1843, qu'un un 5e volume spécifiquement intitulé "Horticulture" y sera ajouté, rapidement épuisé et donc tiré à nouveau dès l'année suivante. Notons que sans attendre, Madame Cora-Elisabeth Millet-Robinet donna dès 1844 une version simplifiée de l'ouvrage, à destination des femmes d'agriculteurs, sous le nom de Maison rustique des Dames. S'il est besoin d'une preuve de leur succès, les deux tomes de cet ouvrage firent l'objet de très nombreuses rééditions. Ainsi, une quinzième version revue et corrigée parut en 1899, près de dix années après le décès de l'auteur.
Bixio, retiré de la politique après 1848, fonda la fameuse Libraire agricole de la Maison Rustique qui édita l'essentiel des écrits horticoles jusqu'il y a peu.
- Le Manuel de l'amateur des jardins, traité général de l'horticulture, publié par J. Decaisne et Ch. Naudin 4 volumes 1862-1871 fait appel à des collaborateurs réputés, il représente une bonne synthèse du savoir horticole de l'époque.
- Le Livre de la ferme et des maisons de campagne correspond à la même logique. Publié de 1861 à 1864 en 13 fascicules formant 2 gros volumes sous la direction de Pierre Joigneaux, agronome et politicien républicain deux fois exilé de France et qui obtiendra de la IIIe république la création de l'Ecole d'Horticulture de Versailles. L'ouvrage, plusieurs fois réédité durant un quart de siècle, réserve une place importante à l'horticulture, y compris l'art des jardins, dont le sujet avait été confié dès le début à Edouard André, alors âgé de 21 ans et jeune collaborateur de Barillet-Deschamps à la Ville de Paris !
Aucune de ces encyclopédies, malgré leurs mérites, n'aura la longévité ni la diffusion du Bon Jardinier qui, organiquement lié à la revue Horticole et complété périodiquement de planches, restera la publication de référence, imitée mais jamais égalée.
C'est ainsi que le Nouveau Jardinier illustré d'Hérincq , visa ouvertement et durant de longues années la clientèle du "vieux" Bon Jardinier qui tirait tout de même annuellement à 4 000 exemplaires.
Sa naissance en 1864 fut saluée par Edouard André dans les colonnes du Moniteur Universel. Vendues au même prix que celles de son concurrent, les éditions successives, qui étaient plutôt des retirages, se maintinrent sans actualisation notable jusqu'au début du XXe siècle, époque où le Bon Jardinier distança nettement l'ensemble de ses concurrents. Enfin, et nous avons déjà publié une étude à son propos, le Dictionnaire pratique d'Horticulture et de jardinage de Georges Nicholson, paru en fascicules entre 1892 et 1899, traduit et surtout très fortement augmenté sous la direction Séraphin Mottet, représente à ce jour, le développement encyclopédique horticole le plus ambitieux jamais atteint en langue française. Malgré de nombreux aspects qui en datent fortement la référence, un retirage en 1938 et une réédition en fac-similé en 1980, le Nicholson est toujours considéré par les amateurs éclairés comme une sorte de « super-Bon Jardinier ».
Le Bon Jardinier a failli s’exporter. Selon une communication personnelle, il a existé au moins deux traductions du Bon Jardinier en langue allemande par JF Lippold en 1824 et 1831.
janvier-février 2013