Les brèdes : légumes feuilles des pays tropicaux
Rémi Kahane
Le mot brède est, en général, associé à un qualificatif. Par exemple, brède mafane (Acmella oleracea, cresson du Parà), bréde chouchou (Sechium edule, christophine ou chayotte), brède morelle (Solanum nigrum, Solanum americanum)…
Tous ces légumes feuilles ont un rôle alimentaire et sociétal, fondamental en pays tropicaux.
Une immense diversité
Si on considère l’Asie et l’Afrique, les légumes concernent respectivement environ 884 et 1 025 espèces cultivées ou sauvages. Sur les 275 espèces légumières les plus importantes d’Afrique tropicale, 207 sont consommées pour leurs feuilles.
On considère que de nombreuses espèces de brèdes traditionnellement consommées sont encore sous-exploitées, comme les morelles (Solanum spp.), les amarantes (Amaranthus spp.), les corètes (Corchorus spp.), les ndolés (Vernonia spp.), le caya blanc (Cleome gynandra), les feuilles de baobab (Andansonia digitata), de racines et tubercules (manioc, taro, macabo), de niébé (Vigna unguiculata), de crotalaires (Crotalaria spp.), de choux divers (Brassica spp.), de courges variées (Cucurbita spp.), d’oseilles (Hibiscus et Rumex spp.), de liserons (Ipomea spp.)… (Tableau 1).
Une réponse aux besoins nutritionnels et médicinaux
Les légumes feuilles jouent un rôle important dans les régimes alimentaires de toutes les populations du monde tropical, particulièrement en Afrique, en Asie et en Océanie, où ils assurent la partie essentielle des besoins nutritionnels et médicinaux. Les légumes traditionnels (ou indigènes, par opposition aux légumes exotiques des pays tempérés) sont généralement plus riches en éléments minéraux, vitamines et facteurs nutritionnels. Les richesses en fer, vitamines A et C(Tableau 2) correspondent à des enjeux de santé particulièrement significatifs dans les pays où l’on compte de nombreux cas d’anémie causés par le paludisme et de déficiences immunitaires.
Les fortes concentrations minérales assimilables alliées aux faibles teneurs en substances anti-nutritionnelles (acides phytique ou tannique, oxalates) en font de recommandables suppléments diététiques. Les recettes utilisées pour la préparation de ces légumes (préparation à chaud, incorporation d’huiles végétales) augmentent la disponibilité en micronutriments tout en éliminant la toxicité de certains composés (alcaloïdes chez les Solanacées, ou cyanogènes chez le manioc ou la patate douce par exemple).
La couleur favorable à la santé
Les légumes feuilles présentent également la particularité d’être fortement colorés, traduisant une concentration élevée en caroténoïdes, qui ont des propriétés anti-oxydantes favorables à la santé humaine. Parmi ces caroténoïdes, les précurseurs de la vitamine A (ex. β-carotène) et la lutéine, préviennent des maladies graves comme la dégénérescence maculaire, la cataracte, divers cancers et maladies cardiovasculaires.
Les feuilles les plus colorées sont aussi à recommander, et les variétés les plus foncées plutôt que les claires.
Les légumes feuilles apportent également des fibres et des arômes dans l’alimentation, fournissant ainsi un liant accompagnant les plats glucidiques de base (igname, maïs, manioc, plantain, riz, sorgho, taro… etc.). Les plats traditionnels africains utilisent les légumes feuilles de façon courante et spécifique, chaque légume apportant une caractéristique à une sauce ou un plat : Vernonia hymenolepis pour le ndolé camerounais, les brèdes mafanes (Acmella oleracea) accompagnant le romazav malgache1…
L’usage des brèdes en danger
Les légumes feuilles jouent un rôle économique dans la stratégie de sécurité alimentaire des populations urbaines, dans la mesure où ils sont produits et présents sur les marchés toute l’année. Contrairement aux légumes fruits tels que la tomate, les brèdes résistent mieux aux fortes pluies et demandent également moins d’eau d’irrigation. Elles s’échangent à petits prix, poussent vite, au bord des rues, sans intrant ni investissement autre que de la main-d’œuvre.
Les légumes feuilles jouent aussi un rôle central dans la lutte contre la pauvreté par deux mécanismes. Souvent issus de cueillettes ou cultivés dans des zones marginales (bas-fonds, marécages), leur production est assurée plutôt par de petits agriculteurs marginalisés pour lesquels simultanément ils contribuent à l’équilibre nutritionnel et procurent par leur vente de petits revenus.
Malheureusement, la modernisation et l’uniformisation de l’alimentation humaine mettent en danger la diversité et l’usage des brèdes.
A lire
- Kahane R, Temple L, Brat P, De Bon H (2007). Les légumes feuilles des pays tropicaux : diversité, richesse économique et valeur santé dans un contexte très fragile. In : “Agricultures et Développement urbain en Afrique de l’Ouest et du Centre”, Éditeurs Parrot L., Njoya A., Temple L., Assogba-Komlan F., Kahane R., Diao M.B., Atelier 31 Oct/03 Nov. 2005 – Yaoundé (Cameroun) 16/01/2007, 177-183
- PROTA 2, 2004. Ressources végétales de l’Afrique tropicale.
vol. 2. Légumes. Éd. par. G.J.H. Grubben & O.A. Denton. Wageningen, Fondation PROTA – Backhuys – CTA. 737 p.