L’entreprise Delaunay et Fils. Les « Quatre saisons » en couleurs
Jean-François Coffin
« Notre exploitation est loin d’être un jardin « à la française », bien net, sans une mauvaise herbe ! Chez nous, elle est partout. Un terrain bien propre n’est pas un signe de réussite. » Ainsi s’exprime Emile Delaunay, de l’entreprise « Les Quatre saisons » spécialisée en plantes médicinales et tinctoriales à Chemillé, en Maine-et-Loire. Dès le début, Emile entame une démarche environnementale sur son exploitation où il s’installe dans les années 80. « On annonçait déjà la diminution du nombre de petites exploitations agricoles. » Il ne voulait pas détruire le bocage, comme cela se pratiquait pour augmenter les surfaces, tout en sauvegardant sa petite exploitation « alors que la tendance de l’époque était de raser les haies. » Il mise sur les cultures dites marginales, sur les productions de niches comme les plantes médicinales et tinctoriales
Équilibre naturel
« J’ai appris avant tout à regarder les plantes, les insectes et voir comment travailler avec, plutôt que de lutter contre. Il faut comprendre l’équilibre naturel, créer un milieu favorable pour les auxiliaires et les plantes. » Cela fait 25 ans que l’entreprise n’intervient plus contre les pucerons. La technique consiste à cultiver de petites parcelles, pas plus de 50 m de large, créer des lieux de refuges pour les auxiliaires comme les haies bocagères. Pour maîtriser l’enherbement, des associations de plantes sont étudiées.
Sensibilité au bio
En 2005 apparaît le phénomène de la remise en cause du modèle agricole industriel. « Cela a sensibilisé davantage la population au bio, au naturel et nous a donné l’idée de proposer des couleurs végétales. Dans notre production de plantes médicinales, nous avions des plantes tinctoriales comme le réséda. Il nous fallait trouver les semences, puis découvrir les cultures, leurs techniques de production, les meilleurs stades de récoltes. » Pour cela, Emile s’entoure des conseils de Michel Garcia « Couleur Garance » (cf. encadré).
Textiles et peintures
En 2008, l’exploitation développe la production de plantes tinctoriales : la renouée des teinturiers (Polygonum tinctorium) pour le bleu indigo, la gaude ou réséda (Reseda luteola) pour le jaune, la garance des teinturiers (Rubia tinctorum) pour le rouge, les trois couleurs primaires.
« Nous nous sommes lancés sans avoir de marché mais nous sentions un intérêt. Nous avons seulement étudié les secteurs potentiels : cosmétique, savonnerie, textiles, encres, peintures, … Quand nous avons proposé notre production, les retours ont été immédiats : neuf entreprises dans neuf secteurs différents. Le besoin était là ! »
Marie Andrée et Emile Delaunay créent leur propre unité d’extraction. « Plus nous avancions, plus il fallait la développer. Mais notre métier est la terre, comprendre comment elle fonctionne, connaître sa vie, accompagner l’équilibre. Nous avons donc laissé de côté cette unité, dans les années 2012-2013. Extraire la teinture est un métier, produire des plantes en est un autre. Nous avions bien des débouchés auprès d’artistes, d’artisans savonniers ou teinturiers, mais le volume était minime, de quelques kilos. »
Des kilos de couleurs
Aujourd’hui, l’entreprise relance ses cultures de plantes tinctoriales, travaille avec des laboratoires. « On sent une demande de l’industrie depuis un an. Si, à une époque, nous avons laissé tomber la production, nous avions cependant conservé les pieds-mères, ce qui nous permet de redémarrer aujourd’hui. »
L’entreprise recense 2 ha de culture de plantes tinctoriales sur une exploitation de 38 ha dont les autres productions sont principalement des plantes médicinales. Il faut assurer une régularité de l’approvisionnement pour les sociétés d’extraction avec laquelle « Les Quatre saisons » passe des contrats. « Nous devons avoir une uniformité des productions. Nous essayons de garder les mêmes génotypes. Nous en avons cinq différents pour une même plante pour des débouchés particuliers et nous gardons toujours les mêmes pieds-mères. Actuellement, nous avons des demandes de l’ordre de 500 kilos à 1 tonne ! »
Recherche permanente
Aujourd’hui à la retraite, Emile Delaunay joue le rôle de consultant et de communicant au sein de l’entreprise. Il a deux fils qui ont repris l’exploitation, « responsable chacun d’une entité, l’une plutôt axée sur la production bio, l’autre plus conventionnelle mais des ponts existent entre les deux. »
« Nous observons une remise en cause des couleurs de synthèse et c’est à nous de proposer des alternatives. Nous travaillons en collaboration avec une artiste, Betty de Paris, pour l’utilisation du polygonum, pour le réséda et la garance, avec Isabelle Munoz, de « l’Habit en rose » atelier de teinture végétale.
Les Delaunay sont vraiment les artistes de la couleur !
L’association « Couleur Garance »
Fondée en 1998 par Michel Garcia, l’association « Couleur Garance » a pour but de favoriser le rapprochement entre les professionnels de la couleur végétale et leurs publics. Elle propose, aussi des stages et des ateliers tous publics.
En 2002, Michel Garcia crée le jardin Conservatoire des Plantes tinctoriales de Lauris (Vaucluse), « conçu comme un centre de ressources, ouvert à tous ceux qui le souhaitent, dans un esprit de partage et de mutualisation des connaissances. »
Dans le cadre de son organisme de formation agréé, Michel Garcia propose des formations et des accompagnements de projets et intervient dans de nombreux pays : États-Unis, Canada, Chine, Indonésie, Afrique, Europe, …