Le renouveau des jardins du Prieuré Saint-Cosme : Demeure de Ronsard
« Mignonne, allons voir si la rose […] » Qui ne connaît ce vers de Ronsard ? Mais saviez-vous que le poète a vécu au Prieuré Saint Cosme (Indre-et-Loire) où il a entretenu des jardins et, sans doute, des rosiers ? Des fouilles archéologiques, puis une reconstitution de ces jardins, ont été entreprises au début des années 2010. Comment faire, alors que peu d’archives subsistaient ?
Histoire du Prieuré Saint-Cosme
Après une vaste campagne de fouilles archéologiques menées entre 2009 et 2010, c’est tout le passé du Prieuré Saint-Cosme (Indre-et-Loire) qui a surgi. Aux environs de l’an mil, les moines de Saint-Martin, à Tours, établissent sur une ancienne île de la Loire située à peine à trois kilomètres en aval, un monastère, érigé en 1092 en prieuré. L’économie du lieu est alors fondée sur l’activité d’une pêcherie complétée par un système agropastoral permettant de nourrir les religieux. Pour les cinq premiers chanoines augustins à s’y installer, Saint-Cosme est « un paradis sur terre permettant d’atteindre le véritable paradis ». Il le reste jusqu’à leur départ définitif en 1742.
Jusqu’alors, c’est plus la personne de Pierre de Ronsard, prieur du lieu entre 1565 et 1585, qui a marqué les esprits. Le « Prince des poètes » cherchant à fuir la cour, malade, y a vécu plusieurs longs séjours, y est mort le 27 décembre 1585, et est inhumé dans les vestiges de l’église.
C’est au sommet de sa gloire que Ronsard, qui vient de publier les Discours des misères de ce temps, se voit récompensé de son soutien à la politique royale de Catherine de Médicis et de son fils Charles IX. Il obtient plusieurs bénéfices ecclésiastiques dont le prieuré Saint-Cosme où il remplace… son frère Charles. Car Pierre, cadet, a reçu la petite tonsure des clercs lui octroyant des revenus assurés, ce qui le place au rang des « commendataires », c’est-à-dire de ceux que le roi nomme à la tête de bénéfices ecclésiastiques. N’est-il pas l’un des quatre aumôniers du roi et son poète officiel ?
À Saint-Cosme, on apprend qu’entre autres loisirs, Ronsard jardine, greffe, herborise et offre sa production aux princes. Pas un mot sur la culture des roses… Il travaille aussi à son œuvre et s’attelle au long labeur des rééditions pour lesquelles il retire, corrige, augmente. Les rivages ligériens lui offrent des promenades récréatives et Tours la proximité de quelques amis. Au seuil de la mort, il dicte au Prieuré ses Derniers vers :
Quelle « reconstitution » pour quel renouveau ?
Mais revenons aux jardins, après les fouilles, quel allait être leur esprit ? Il faut dire ici que les précédents jardins de roses conçus au début des années 1990 et qui ont fait la renommée du lieu ont été malheureusement aménagés sur des remblais modernes, en dépit de la logique de l’organisation monastique, rendant leur compréhension difficile pour le visiteur. Ces remblais, une fois plantés et arrosés, constituaient surtout une menace sanitaire pour les murs séculaires édifiés en tuffeau, sans parler des variétés de roses, pour la plupart modernes : la rose éphémère, parfumée, évocatrice des muses ronsardiennes était pour le peu absente. Rien du passé monastique – donc utilitaire du lieu – les vestiges du prieuré formaient un décor romantique en péril, alors même qu’ils sont, au contraire des jardins, classés au titre des Monuments historiques depuis 1925.
Pour Bruno Marmiroli, architecte et paysagiste à l’origine des nouveaux jardins : « L’occasion qui nous était donnée, suite aux travaux des archéologues, devait intégrer toute l’histoire du site et non pas se limiter à celle de Ronsard. Il nous fallait choisir les principales phases d’épanouissement, entre le XIIe et le XVIe siècle, pour recomposer une certaine idée des jardins, en admettant dès l’origine qu’il ne s’agirait ni d’une reconstitution fidèle (nous n’avons que très peu d’indices de ce que furent les jardins à cette période – N.D.L.R. : deux plans des XVIIIe et XIXe siècles), ni d’une création ex nihilo. Les jardins de Saint-Cosme pourraient s’apparenter à la constitution d’une nouvelle strate dont la proposition, le dessein, se fondent sur l’histoire du lieu, interprétée selon quelques préceptes que nous aurions pu peut-être partager avec le poète et les jardiniers du monastère. »
Ainsi deux objectifs ont été fixés : rendre perceptible, d’une part, le caractère spirituel du lieu, retraite monastique également tournée vers l’accueil et les soins à destination des pèlerins (Cosme et son jumeau Damien sont les saints patrons des médecins et des chirurgiens) et, d’autre part, le fait qu’il fut aussi un espace de création poétique. Cette création se trouve aujourd’hui réactivée avec les quatorze vitraux du peintre Zao Wou-Ki, réalisés pour le réfectoire en 2010, et la collection de livres d’artistes, les Livres pauvres mariant poésie et peinture. À partir de ce paysage ligérien devenu largement urbain, autrefois boisé et occupé par des parcelles cultivées par les moines, un gradient de domestication végétale a été mis en place. Au fur et à mesure qu’on se rapproche de l’épicentre du site, matérialisé par le tombeau de Ronsard dans l’église, la main de l’homme se fait plus présente, les végétaux se trouvant à ce dernier stade sont contenus à l’intérieur de voliges en acier oxydé. Entre les deux, on trouve des clôtures basses en bois, des platelages en bois qui marquent l’emprise des bâtiments et leur redonnent une échelle, des pergolas couvertes de rosiers anciens, de vigne, de mûriers, de clématites, des plantes en pots de terre, des fruitiers palissés…
« J’aime fort les jardins qui sentent le sauvage »
C’est l’étude croisée de l’œuvre de Ronsard et des travaux d’Olivier de Serres, célèbre agronome de la fin de la Renaissance, qui a permis d’étendre la palette végétale à plus de 300 variétés. Les végétaux ajoutés à cette liste ont été identifiés sur le plan de l’origine géographique, de la période d’acclimatation en Europe du Nord, des usages, des symboliques… Le choix des végétaux a répondu à un désir de simplicité, laissant les plantes à leurs possibles développements, sans excès de maîtrise ou volonté de contrôle.
La conception du projet a ainsi abouti à la subdivision en douze jardins articulés pour répondre à l’architecture du lieu et établir un dialogue entre le bâti et le non-bâti. Le cloître a donné son échelle aux espaces périphériques établis sur deux terrasses. L’une, située à l’entrée, correspond au parvis de l’église et au logis du prieur et propose son architecture gothique. La seconde, plus basse, accueille les vestiges des bâtiments monastiques médiévaux.
L’ensemble des jardins a été planté en 2015. Le verger-bouquetier et le potager occupent toute la partie ouest, plus ensoleillée et située à proximité des anciens celliers et cuisines. Les jardins plus symboliques, comme le cimetière ou le cloître, occupent sobrement les parties centrales. Le jardin des simples a repris l’emplacement de l’infirmerie, et celui des parfums l’ancienne salle à manger des hôtes. L’espace au contact de la levée de Loire du XVIIIe siècle est volontairement « ensauvagé » et offre au visiteur des points de vue inédits sur ce qui fut la façade du prieuré (on abordait l’île par la Loire). Cette promenade s’apparente à celle, méditative, des moines ou du poète cherchant récréation. La cour du logis de Ronsard est fermée d’une pergola de roses anciennes et, à l’arrière, on trouve un potager d’esprit Renaissance où les artichauts le disputent aux fraises, aux choux italiens, aux salades et aux melons.
Pensé pour rapprocher les hommes des plantes, ce jardin de narration est respectueux de l’environnement et nécessite de perpétuels ajustements de nos pratiques d’accompagnement. Les encouragements du public qui vient à Saint-Cosme se ressourcer sont un précieux soutien pour perpétuer l’existence du mausolée du poète.
Vincent Guidault
Attaché de conservation du patrimoine et responsable du Prieuré Saint-Cosme