Le parc d’Azay-le-Ferron : de l’histoire du parc à sa mise en valeur au futur
Michèle Quentin
Aux confins de la Touraine et du Berry, le domaine d’Azay-le-Ferron appartient à la ville de Tours qui en a reçu la propriété par legs de la famille Hersent-Luzarche en 1951. Le domaine d’Azay-le-Ferron comprend un parc agricole d’une surface totale de 32 ha au sein duquel un parc paysager de 18 ha a été aménagé autour du château classé Monument historique par l’arrêté du 25 janvier 1950.
Vue du pavillon Cingé - © A. Gilbert
La gestion de ce magnifique domaine est menée en coordination avec les services municipaux concernés (Musée des Beaux-arts de Tours, Service des parcs et jardins, Archives municipales) et les acteurs locaux (Parc Naturel Régional de la Brenne, Office du Tourisme et mairie d’Azay-le-Ferron). Le parc a reçu le label « Jardin remarquable » du Ministère de la Culture et de la Communication en 2011, suite à l’initiative conjointe des différents acteurs.
Du fond documentaire à la mise en valeur du parc
Afin de mener à bien la gestion du parc du château dont l’architecture a été très bien conservée depuis le legs, la ville de Tours a fait appel à l’école d’architecture de Versailles, et plus particulièrement aux étudiants du Master 2 « Jardins historiques, Patrimoine, Paysage », sous la Direction de Monique Mosser, pour la réalisation d’une étude historique du parc. L’existence d’un fond documentaire très important, recelant plans originaux de différentes époques et documents descriptifs de travaux, a été un atout précieux pour comprendre l’organisation actuelle du parc, disposer de bases solides pour le plan de gestion du parc et proposer des pistes d’amélioration de certains secteurs. Un retour dans l’histoire permettra aux lecteurs d’apprécier cette démarche…
Le parc et les jardins au XVIe et XVIIe siècles
Depuis le Moyen-Âge jusqu’à la Révolution, presque tous les seigneurs de la baronnie de Preuilly possèdent directement la châtellenie d’Azay et en font leur principale résidence à partir de 1629 jusqu’en 1791. Il est vraisemblable que le parc et les jardins d’Azay-Le-Ferron aient été créés au XVIIe siècle. Louis IV de Crevant (1628-1695), baron de Preuilly et duc d’Humières, aurait planté un chêne dans le parc qui fut, au fil du temps, l’arbre symbolique des seigneurs de Preuilly, visible jusqu’au début des années 1990. Une estimation des biens de la succession de Louis de Crevant d’Humières, datée du 11 mai 1656, précise l’existence de parterres avec fontaine totalisant une superficie de deux arpents (ancienne unité de mesure de longueur, l’arpent variait selon les villes. En Touraine, il était compris entre 4 000 m à 6500 m). Un document d’archive nous montre la façade sud du château et l’espace correspondant à l’actuel parterre de broderie, clos par une palissade ou balustrade formant une vaste cour carrée devant le château.
De propriétaire en propriétaire au XVIIIe siècle
La carte de Cassini, établie en 1768, nous montre qu’à l’époque le bourg d’Azay-le-Ferron est de moyenne importance et isolé. A l’est, aucun chemin n’est indiqué, c’est le pays des mille étangs. Le symbole d’un rond surmonté d’un drapeau et le dessin d’un espace végétal enclos situent le château avec son parc, de taille importante en regard du bâti. D’après les symboles également, le parc est constitué de massifs boisés entrecoupés d’allées droites ou rayonnantes. La découverte d’un superbe plan aquarellé inédit du troisième quart du XVIIIe siècle, remarquablement dessiné et détaillé, a mis en évidence la présence de certains éléments topographiques, faisant ainsi le lien entre les différents projets d’aménagement.
On peut supposer qu’il s’agit d’un plan de projet, néanmoins ce document exceptionnel montre un double alignement d’arbres fermant l’espace à l’est du château, pouvant correspondre à l’allée de tilleuls, dite de Breteuil, que nous retrouvons aujourd’hui, ainsi que l’existence du mur séparant le château, du village et la présence du grand bassin circulaire au fond du parc.
Le Parc signé Bühler au XIXe siècle
Le domaine d’Azay-le-Ferron constitue alors un véritable lieu de production : ferme, terres labourables et compartiments réservés au potager sont clairement référencés sur le plan de géomètre de 1835 ; la valeur du bois de la baronnie de Preuilly assure un rendement supplémentaire et important.
Le souci de rentabilité et de productivité laisse place à la démonstration de la réussite sociale de l’élite provinciale sous le Second Empire. Le XIXe siècle développe une vogue de créations de parcs paysagers, notamment en Touraine. De nombreux architectes-paysagistes connus marquent la région de leur empreinte. D’autre part, l’avènement de l’ingénierie horticole grâce à des paysagistes comme Barrillet-Deschamps, originaire de Touraine, permet de nouvelles créations de parcs et jardins. En 1856, Alfred Luzarche fait appel au paysagiste Denis Bühler (parc de la Tête d’Or à Lyon et parc du Tabor à Rennes). Celui-ci dessine le plan d’aménagement du parc d’Azay-le-Ferron, représentatif de cette nouvelle composition paysagère alors à la mode. Il précise les essences d’arbres à introduire (tilleuls argentés, chênes rouges, marronniers, d’essences d’origine nord américaine : le magnolia, le liquidambar, le « Wellingtonia » plus connu aujourd’hui comme le Sequoiadendron giganteum (introduit en Angleterre vers 1852) et des bosquets de cèdres bleus, etc. ) dont la plupart sont encore en place aujourd’hui. Le célèbre paysagiste déploie son style caractéristique. Des allées sinueuses forment, pour les unes, une ceinture qui contourne le parc, pour les autres des chemins ombragés propres à un parcours plaisant. Des couverts boisés alternent avec des prairies découvertes, des allées parcourent l’ensemble du parc ménageant différents points de vue, les espaces sont traités par masses arborées homogènes dans leur composition. L’ampleur de la réalisation, entre 1870 et 1872, est toujours visible de nos jours. Son respect guidera donc la suite de la réflexion…
Plan Bühler
Les topiaires de Georges Hersent : une remarquable collection
Une autre grande étape de l’évolution du parc et des jardins d’Azay-le-Ferron se situe au début du XXe siècle. La propriété appartient encore à la famille Luzarche mais le mariage de Marguerite Luzarche avec Georges Hersent, riche industriel, va provoquer un remaniement important du domaine, avec la création d’une série de nouveaux jardins et une restructuration des abords du château dès 1920. Un parterre de broderies de buis inspiré de modèles du XVIe siècle, jalonné de grandes pyramides d’ifs est réalisé tandis qu’un boulingrin assure la transition avec le parc paysager. Les allées au tracé souple emmènent le promeneur jusqu’aux confins du parc où se trouve l’étonnant bassin circulaire en pierre du XVIIIe siècle, et le buffet d’eau réaménagé à l’époque. Une longue perspective de 1500 m, axée sur la tour médiévale du château, est ponctuée de groupes de grands tilleuls, érables, marronniers. Elle se prolonge au-delà de la pièce d’eau par une longue avenue bordée de tilleuls. Près du pavillon Cingé, un étonnant jardin de topiaires d’ifs assure la transition avec le jardin fleuriste de madame Hersent. Il s’agit d’une collection particulièrement originale de topiaires multiformes d’ifs, influence de la mode des jardins anglais du XVIIe siècle. La plupart des sujets sont imposants et très structurés, les formes raffinées demandant une méthode de taille adaptée et un outillage particulier. Topiaires en forme de toupies, cônes retravaillés, topiaires à plateaux superposés, pyramides tronquées, et coussins volumineux forment un ensemble exceptionnel et unique en son genre.
Un système hydraulique performant
Les performances hydrauliques commencent à s’améliorer au XIXe siècle grâce l’évolution des techniques et des savoirs scientifiques en termes de mécanique des fluides. Mais les techniques hydrauliques de la seconde moitié du XIXe siècle à la première guerre mondiale fonctionnent principalement avec l’eau gravitaire. L’exemple d’Azay-le-Ferron montre un intérêt technique et des moyens importants de la part des propriétaires pour la présence de l’eau dans le parc, élément essentiel dans l’aménagement de ce type de jardin. La recherche sur le terrain, confrontée à l’étude du fond d’archives, permet de retracer l’ensemble du système hydraulique. De la prise d’eau proche de la source d’un ruisseau, une bâche en pierre forme un stockage provisoire. Un peu plus bas, un abri renferme un bélier hydraulique ; un second abrite une pompe qui a dû remplacer le bélier. Cinq cent mètres plus loin, en haut du jardin fleuriste, un réservoir en pierre est prolongé par une rigole à ciel ouvert de plus de sept cent mètres de long qui mène, à travers le parc, jusqu’au bassin rond. Le buffet d’eau est adossé au bassin et l’eau s’écoule en contrebas vers un étang de drainage…
La cartographie et la photo-interprétation, outils d’analyse et de gestion
L’étude de la composition du jardin et de ses structures végétales a pu être menée dans ce parc grâce à l’utilisation de Système d’Information Géographique (SIG). Ces logiciels permettent de superposer des informations cartographiques comme les cartes de Cassini, le cadastre napoléonien, le cadastre moderne, avec les photos aériennes notamment. Ces éléments combinés ont permis de mettre en évidence l’évolution des cheminements et l’évolution des masses végétales dans le parc au fil des différentes périodes. En outre, ces outils cartographiques permettent aussi de réaliser analyse et diagnostic des éléments de composition du jardin pour permettre de prendre des décisions sur la conservation d’éléments ou de réaliser les travaux d’entretien et de restauration. C’est donc un outil très précieux qui est à la disposition des responsables pour assurer une gestion du parc respectueuse de sa composition en collaboration avec le service départemental d’architecture.
Les travaux en cours : alignements, bosquets et réseau hydraulique
L’étude phytosanitaire de l’ensemble des alignements et bosquets du parc confrontée à l’étude historique a permis de dégager des priorités et de programmer des travaux alliant sécurité et respect de l’architecture du parc. L’allée de tilleuls à l’est du château (allée de Breteuil) est en cours de rénovation avec reconstitution d’un double alignement bordé d’une haie de charmilles faisant la transition avec le parterre de buis. Les travaux de mise en sécurité et de régénération des bosquets débutent également. Des recherches techniques complémentaires sont engagées sur le réseau hydraulique avec des études relatives à la disponibilité et à l’usage de l’eau, la recherche des réseaux enterrés, la remise en marche ou le remplacement du bélier ainsi que la restauration des éléments maçonnés. Une recherche de financements est engagée avec une première aide de la Région Centre au titre de la politique de restauration des jardins et un dossier en cours à la Direction Régionale des Affaires Culturelles.
Un challenge pour les gestionnaires : s’inscrire dans la modernité en respectant la composition paysagère….
En complément des nouveaux travaux, l’amélioration des structures existantes est une préoccupation permanente : réfections des broderies et bordures de buis, recalibrage des topiaires, amélioration du jardin anglais, reprise complète des carrés fleuris dans l’ancien potager, amélioration des vergers, restauration du mobilier original, etc. Le paysagiste, tout en s’inscrivant dans l’architecture du parc apporte une touche de modernité qui s’inscrit dans le XXIe siècle…
Véronique Moreau (conservateur Musée des Beaux Arts), Jean-Luc Porhel (conservateur des archives), Monique Mosser (enseignante Master 2 « Jardins historiques, Patrimoine, Paysage »), France Chapron et Alain Gilbert (co-auteurs avec Anne Marchand et Michèle Quentin du mémoire sur Azay-le-Ferron), Daniel Jud (Paysagiste) Camille Labaisse (Master 1 Histoire de l’Art) Jean-Pierre Couturier (ONF).