Le Magnolia grandiflora
Daniel Lejeune
C’est à l’issue d’un long et périlleux voyage depuis les côtes sudest de l’Amérique du Nord, en Louisiane, que débarquera sur le continent européen, à Nantes, le premier spécimen de Magnolia grandiflora. Nantes est aujourd’hui la ville des magnolias. Roland Jancel, grand connaisseur et amoureux de cet arbre historique nous livre ici quelques-uns de ses secrets…
Découvert en 1703 par le père Jacques Plumier, le genre Magnolia a été dédié au botaniste Pierre Magnol (1638-1715), directeur du Jardin des Plantes de Montpellier en 1697 et précurseur de la classification moderne. Le Magnolia dodecapetala de Plumier devint quelque temps après, sous la plume de Linné, le Magnolia grandiflora L.
Roland Jancel, directeur honoraire des parcs et jardins de la Ville de Nantes, oeuvré depuis plus de vingt-cinq années pour la connaissance de ce genre botanique auquel il a consacré de nombreuses heures de recherches, autant sur le terrain que dans les archives.
Une jolie plante à feuillage vernissé…
Roland Jancel nous rappelle que ce fut tout d’abord l’armateur René Darquistade, Maire de Nantes, qui remarqua, pour la première fois en 1711, une plante à feuillage luisant, tout juste arrivée par l’un des bateaux, le Saint-Michel. Il l’installa au sein de l’orangerie [1] de son château de la Maillardière où cette nouvelle venue végéta durant deux décennies sans fl eurir. Sacrifié par le propriétaire, promis au dépotoir, le sujet fut sauvé de justesse par la femme du jardinier. Replanté en pleine terre et à bonne exposition près d’un pigeonnier, de magnifiques fleurs délicatement parfumées apparurent très vite, suscitant l’admiration de tous et permettant, en 1764, l’identification de l’espèce par l’apothicaire François Bonamy. Ce magnolia, appelé aussi « lauriertulipier », était si fameux, qu’il fit l’objet d’une protection particulière durant la Révolution. Après plusieurs tentatives infructueuses de multiplication et juste avant de disparaître en 1849, l’arbre finit par produire une descendance nombreuse par marcottage aérien. Le pépiniériste Bruneau s’illustra dans la multiplication intensive de l’espèce. Le jardin des Plantes de Nantes possède encore l’une de ces marcottes, plantée en 1816 par le directeur Hectot. Il fut nommé M. grandiflora ‘Maillardiensis’.
Venus de loin…
Dans son domaine breton du Pallet [2], l’amiral Roland-Michel Barin de la Galissonnière (1693-1756), gouverneur général du Canada entre 1747 et 1749 et parent du célèbre Begon, introduisit et acclimata de nombreux arbres américains. Parmi ceux-ci fi gurait aussi un vigoureux sujet de magnolia, arrivé vers 1741 et très singulier avec son feuillage concolore sur le revers. Ce clone fut commercialisé à partir de 1856 par André Leroy, sous le nom de ‘Galissonniensis’. Avec le clone ‘Treyvensis’, ils font partie de ceux qui ont le mieux résisté aux grandes gelées de 1985 qui accusèrent dans plusieurs régions des températures inférieurs à - 20 °C. Suivent aussi quelques introductions anglaises dont l’un des sujets est toujours visible dans une cour du presbytère à Saint-Sylvain-d’Anjou.
Des semis obtenus à partir de graines récoltées ici ou là, ou encore importées d’Amérique, diversifi ent l’offre génétique des Magnolia grandiflora et permettent aux pépiniéristes la mise sur le marché de nouveaux clones compétitifs. Il suffit de rappeler l’existence de formes élégantes à fleurs doubles et à feuilles étroites, ou de cultivars moins vigoureux comme ‘Microphylla’, parfaitement adaptés aux jardins de taille modeste.
Une passion nommée magnolia
À peine Roland Jancel succédant, en 1985, à un autre grand professionnel que fut Paul Plantiveau, prit-il les rênes du service de Plantations, qu’il eut à coeur de développer avec la Société d’Horticulture Nantaise, la connaissance et l’emploi des magnolias à Nantes, contribuant avec quelques pépiniéristes au dépôt du label « Magnolia nantais » et à la constitution d’une collection rapidement labellisée par la CCVS [3]. Il s’attacha à inventorier les sujets anciens du territoire national, comme celui de Purpan, près de Toulouse ou encore celui à feuilles étroites de l’ancien arboretum Allard à Angers et à en rechercher la généalogie. Il sut intéresser quelques pépiniéristes passionnés à ses recherches, dont un toulousain, Delevers, toujours très actif, comme le dernier Salon du Végétal d’Angers l’a récemment montré. À l’occasion de ses voyages et conférences, il repéra par ailleurs divers clones dont la promotion serait sans doute prometteuse, tel ce ‘Semperfl orens’ découvert dans un parc des environs de Turin. Ses archives personnelles débordent de planches d’études botaniques et de tableaux statistiques, aboutissement d’études morphologiques sur la feuille et la fl eur, mais aussi l’axe fructifère ainsi que de comparaisons biométriques nombreuses. Plus de 200 sujets ont ainsi fait l’objet d’une enquête serrée. L’investissement personnel de Roland Jancel se compte certainement en centaines d’heures et probablement plus. Quand on aime.
CULTURE FACILE
Le M. grandiflora est une espèce dont les exigences ont été bien surévaluées. Tout d’abord sur le plan de la rusticité puisque de nombreux cultivars supportent « sans broncher » des températures très basses, même si c’est au prix de la perte anticipée des feuilles les plus anciennes. Côté sol, pourvu qu’il soit profond et bien frais, avec une dose raisonnable de calcaire actif.
Le Magnolia grandiflora apprécie beaucoup le climat atlantique et sa relative humidité atmosphérique, ce qui explique les performances des sujets bretons. Ce bel arbre à frondaison persistante peut être planté en motte ou en bac, selon la dimension du sujet. Supportant les tailles de formation répétées, le magnolia peut également entrer dans des compositions architecturées, en association avec d’autres grands topiaires ou comme remarquable arbre d’alignement, déjà prisé par les aménageurs actuels. Les sujets adultes supportent avec stoïcisme les transplantations de sauvetage pour peu qu’on leur consacre quelques soins élémentaires.
Quelques sujets exceptionnels de Magnolia grandiflora
Leurs dimensions impressionnantes (la circonférence de leur tronc et la hauteur de leur frondaison) en font aujourd’hui des spécimens remarquables :
- Bordeaux, Domaine de Carreire, planté en 1961 : 2,75 de circonférence (mesurée à 1 m du sol) pour une hauteur de frondaison de 20 m.
- Grasse, Jardin Public, planté en 1956 : 2,7 m/18 m.
- Marseille, Parc Borely, planté en 1929 : 2,22 m/20 m.
- Nantes, le sujet planté par Hectot au Jardin des Plantes est sans doute aujourd’hui le plus vieux spécimen national (un premier sujet planté en 1962 mesure 2,15 m de circonférence pour une hauteur de 12 m et un deuxième, planté en 1985 affiche une circonférence de 2,3 m et 15 m de haut).
- Lendresse (Basses-Pyrénées), planté par Arpagnon vers 1930 : 2,1 m/30 m.
- Tours, Jardin Botanique, planté en 1985 : 2,10 m/18 m.
- Lavalette, près de Montpellier, planté en 1888 : 1,8 m/18 m), sujet présenté par Mouillefert.
[1] Par principe de précaution, les introducteurs de l‘époque donnaient la serre et la terre de bruyère aux nouvelles plantes !
[2] Le Pallet fut la patrie d’Abelard, amant d’Heloïse
[3] Conservatoire des Collections Végétales Spécialisées
Jancel Roland, SEVE-info de Nantes, une saga en 10 fascicules publiés de 1995 à 1997.
Langlois Corinne et Jancel Roland, Magnolia, 2011, Editions Privat.
Lejeune Daniel, Les plus gros arbres de France, 1995, Société d’Horticulture du Cher et CGHB, Bourges.
Treseder Neil G., Magnolias, 1978, Faber et Faber, Londres et Boston.