Le Jardin de Monet Marmottan au village de Kitagawa
Sophie Le Berre
Selon son ami Octave Mirbeau1 : « …venu en Hollande pour y peindre, [Claude Monnet] trouva, en dépliant un paquet, la première estampe japonaise qu’il lui eût été donné de voir. L’épicier hollandais, qui avait enveloppé ses marchandises dans une estampe, avait été, ce jour-là, agent de liaison inconscient, mais utile, entre deux grands artistes… »
Une passion pour le pays du soleil levant
La fascination s’est exercée, dès l’époque de Monet, en sens inverse car il accueillait bien volontiers les Japonais, acheteurs et collectionneurs, qui devenaient ses amis. Suivaient alors des échanges épistolaires et des envois d’estampes destinés à agrandir sa collection. La passion que Monet éprouvait pour le pays du soleil levant l’amena à introduire diverses touches japonaises dans son jardin de Giverny. C’est peut-être ce qui incita le chef jardinier d’une petite commune japonaise de 1 300 habitants, Kitagawa2, située sur l’île de Shikoku, à proposer la reproduction du jardin de Monet dans son village…
De la cave au jardin
Nous sommes dans les années 1990, de nombreuses sociétés et communes japonaises investissent de l’argent dans la création de parcs de loisirs ou de musées. La commune de Kitagawa n’est pas en reste. Un terrain est trouvé pour aménager une cave à vin dans cette région réputée pour sa production de citrons yuzu3 et de cédrats4. L’immeuble, vaste, sort de terre.
Mais la bulle financière éclate, le projet ne voit pas le jour. Il faut lui trouver une autre utilité. C’est à ce moment-là, en 1996, qu’émerge l’idée d’un jardin rappelant celui de Claude Monet à Giverny. Les premiers contacts sont établis avec Gilbert Vahé, alors responsable du jardin de Giverny et avec la Fondation Claude Monet. Les échanges sont fructueux, la commune de Kitagawa finit par obtenir l’agrément et les plans pour construire son projet.
Trois étoiles au Michelin
En 1998, Gilbert Vahé se rend au Japon afin d’accompagner l’équipe japonaise. Il donne les premières graines et les premiers pieds de nénuphars. En 1999, le maire de Kitagawa rencontre Arnaud d’Hauterives, secrétaire perpétuel à l’Académie des Beaux-arts et reçoit l’autorisation d’attribuer au jardin, le nom de « Jardin de Monet Marmottan5 au village de Kitagawa ». L’inauguration est célébrée le 15 avril 2000. Dès la première année, le jardin accueille 200 000 visiteurs. En 2015, le guide vert Michelin japonais lui décerne trois étoiles.
Le domaine est divisé en trois espaces bien distincts : un jardin d’eau, un jardin de lumière et un jardin de fleurs, reliés entre eux par des allées bien entretenues.
Le jardin d’eau
« Le jardin d’eau est séparé du jardin de fleurs par la voie ferrée… Véritable coin de paysage japonais : la perfection des lignes, la légèreté des ponts de bois sous leur poids de glycines, se mêlent à la qualité toute particulière de l’eau ». Cette description de Marthe de Fels6, en 1929, pourrait tout à fait s’appliquer au jardin d’eau conçu à Kitagawa, à un détail près : ici pas de voie ferrée mais un parking ! Nous franchissons le pont de glycines, de splendides nymphéas s’épanouissent sur la pièce d’eau. Les Japonais s’enorgueillissent volontiers de la présence de près de 70 variétés de nymphéas tropicaux, qui trouvent à Kitagawa des conditions climatiques favorables. D’étroits chemins, ponctués de représentations des toiles du maître, permettent aux visiteurs d’accéder, ici et là, aux rives afin de contempler ce tableau végétal vivant, de le photographier ou de le peindre. Tout n’est que beauté et ravissement. C’est également le paradis d’une quarantaine de variétés de libellules, dont le gracieux ballet attire l’œil des passionnés d’entomologie.
Le jardin de lumière
Un peu plus en hauteur, à flanc de colline, nous découvrons le jardin de lumière, traité de façon plus naturelle. Il est inspiré des peintures7 réalisées par Claude Monet à l’occasion de son séjour à Bordighera, en Italie, entre janvier et avril 1884.
Pendant son séjour, Monet demanda à son ami Durand-Ruel8 : « Il y a ici un Monsieur Moreno qui habite une propriété merveilleuse mais dont l’accès n’est possible qu’avec recommandation. Si vous pouvez voir cela, je serai bien content. » Grâce à l’ouvrage intitulé Les stations d’hiver de la Méditerranée9, nous pouvons avoir une idée de ce qu’était alors le jardin de Francesco Moreno : « Sur le versant ouest de la colline, est situé le jardin Moreno, la merveille de Bordighera. Ce jardin, la plus belle serre du monde entier, mais une serre de plein air, renferme une si magnifique collection de fleurs, de plantes, d’arbustes et d’arbres de toutes les régions les plus opposées du globe, que l’oeil ébloui se contente d’admirer, sans distinguer aucune espèce. L’ensemble est trop splendide pour qu’on songe à en analyser les détails. »
Tout naturellement, les Japonais de Kitagawa ont choisi d’implanter ici les essences qui faisaient la renommée des jardins Moreno : palmiers, oliviers, orangers, citronniers se mélangent dans une luxuriance qui rappelle celle des paysages méditerranéens.
L’esprit de Giverny
Nous redescendons vers le parking, qui est le trait d’union entre le jardin d’eau, le jardin de lumière et le jardin des fleurs.
Ce qui était autrefois une « cave à vins en devenir » abrite désormais l’accueil du domaine, une galerie d’art, la boutique et un restaurant à la cuisine raffinée. Le bâtiment est traité dans l’esprit de la maison de Claude Monet à Giverny, avec les mêmes codes de couleurs. Nous traversons la galerie d’art et la boutique pour nous retrouver sur une grande terrasse en bois qui fait face au jardin de fleurs, en contrebas. Reprenant la palette du peintre, ce dernier jardin nous offre une gamme chromatique oscillant du jaune, à l’orangé et au rouge, en ce début septembre, et nous propose une déambulation à travers différentes ambiances. Nous franchissons les arches du jardin, recouvertes de rosiers lianes, et le directeur en profite pour nous inviter à revenir à la mi-mai afin d’admirer la floraison des roses. La découverte de ce magnifique endroit se termine par un passage à la « Maison des fleurs » qui propose une belle gamme de plantes du jardin à la vente.
Visite effectuée début septembre 2017
2 Commune de 196 km2, sud-est du département de Kôchi, île de Shikoku.
3 Citrus junos Siebold ex Tanaka.
4 Citrus medica L. : espèce voisine du citronnier, originaire d’Extrême-Orient (Rutaceae).
5 Le musée Marmottan est légataire universel de Claude Monet et dépositaire du premier fonds mondial de son oeuvre.
6 La vie de Claude Monet, Marthe de Fels, 1929, Gallimard.
7 « Bois d’oliviers au jardin Moreno » (1884), « Jardins de la villa Moreno » (1884) et « Jardin Moreno à Bordighera » (1884).
8 Paul Durand-Ruel (1831-1922), marchand d’art français et ami de Monet.
9 Guide écrit par Paul Joanne en 1878 pour les guides Diamant.