Le jardin de Locmaria à Quimper ou la transformation d’un espace vert de quartier en jardin à thème médiéval
Jean Hubert Gilson
Jardin remarquable de la DRAC (direction régionale des affaires culturelles) depuis 2009, le jardin de Locmaria a été progressivement transformé depuis 1997 en jardin conventuel dans l’esprit de l’époque d’Anne de Bretagne. Situé le long de l’Odet dans l’ancienne petite ville romaine fondatrice de Quimper Corentin, il est à proximité de l’église du XIIe et du prieuré de Locmaria, remodelé au XVIIe par les Bénédictines. En face du jardin, la faïencerie Henriot doit son existence à la disponibilité d’une argile blanche dans le lit de la rivière qui est probablement à l’origine de l’installation d’activités humaines très anciennes. Le jardin de Locmaria est un rectangle allongé de 1500m² environ.
Plan du jardin
L’esprit qui préside à la conception est de retrouver dans ce lieu les différents usages du jardin médiéval à une petite échelle et dans des contextes parfois très différents que sont les jardins ordinaires protégés des animaux, les jardins monastiques et les jardins nobles essentiellement utilisés par les femmes. Ce mélange paradoxal a été organisé sous forme de petits jardins clos juxtaposés. Le jardin de Locmaria est composé de plusieurs parties : la source du Paradis et sa tonnelle, les carrés de plantes potagères, légumineuses et salades, les carrés de plantes médicinales, les carrés des graminées comestibles, les carrés des plantes tinctoriales et techniques du tissage, les parterres aromatiques, le fruitier en espalier, les petits fruits rouges et le jardin du repos, des dames ou de l’amour courtois dit : jardin de Marie. Le profane et le sacré sont intimement liés à cette époque. Le jardin de Marie[1] est la convergence d’un lieu symbolique mystique mais aussi un lieu concret de détente au Moyen Age dans une partie attenante au château.
Avant l’introduction des plantes d’origine américaine comme le maïs, la pomme de terre, la tomate ou les plantes d’origine asiatique comme le riz, les agrumes, les habitants du duché de Bretagne utilisaient les ressources végétales de leur région pour se nourrir, se soigner ou se vêtir. La viande étant réservée aux classes aisées, la majorité se nourrissait de salades consommées plutôt cuites et de racines très nutritives qui se gardaient facilement l’hiver dans le sol de la cave. Les fruits secs étaient très recherchés et les fruits juteux étaient conservés au frais dans les caves ou dans la sciure.Les soins médicaux étaient essentiellement réalisés à base de plantes collectées dans la nature. Les plantes cultivées dans l’hortulus[2] étaient un appoint de la cueillette dont la liste de base était diffusée à partir du IX siècle à travers le Capitulaire de Villis[3]. Les plantes pour les vêtements comme le lin ou le chanvre subissaient un traitement pour extraire la fibre puis il fallait la carder, la filer et la colorer bien souvent à l’aide de plantes tinctoriales. Mais le jardin médiéval est aussi le support d’une symbolique chrétienne forte. Le jardin « gart » est le lieu symbolique du paradis en contraste avec l’extérieur qui est l’enfer. Au milieu du jardin se trouve la source du paradis qui diffuse son eau bénéfique aux quatre points cardinaux à l’image des quatre fleuves du paradis. Les fontaines qui soignent en Bretagne témoignent de la persistance de cette symbolique. Les tonnelles représentent le ciel et les végétaux comme le lis ou la rose qui ont été ramenés des croisades symbolisent la pureté ou la renaissance après le péché.
Le rosier ramené des croisades
Plus concrètement…..
Materia….materiae
Les anciens utilisaient ce qu’ils trouvaient dans leur environnement proche. Pas de transport lointain de matériaux très pondéreux à l’exception des constructions nobles. Le jardin ne se prête pas à la démonstration des richesses mais, exposé aux intempéries, il est prudent d’utiliser quelques matériaux facilement renouvelables. Le bois vivant est préféré à tous les autres. Les clôtures sont faites d’arbustes parfois épineux, tressés entre eux pour faire barrage aux animaux les plus téméraires. Le bois de construction du jardin est coupé à la morte saison, en sève descendante, puis mis à tremper, dans des mares ou dans la fosse des urines. Il ne fend pas comme et pourrit moins vite surtout s’il est brûlé à la pointe, couvert de cuir ou de fer sur le haut et graissé ou huilé, parfois recouvert entièrement de cuir lacé pour assurer l’étanchéité. Le petit bois souple, tressé, le plessis, sert de support aux rectangles de terre. Les plantes sont cultivées à hauteur de genoux dans des parcelles surélevées qui permettent précocité (trois semaines) et fatigue en moins. La métallurgie est manuelle mais bien expérimentée, l’acier obtenu du bas fourneau de charbon de bois est travaillé à chaud par martelage jusqu’à obtenir un fer doux assez résistant à l’oxydation qui contient très peu de carbone (moins de 0,02%). La pierre, prise dans les carrières locales, est dégrossie à la bretture[4] et à la boucharde en acier[5].
[1] Jardin de Marie ou jardin céleste, garni de fleurs
[2] Hortulus : jardin des plantes médicinales
[3]Capitulaire de Villis : En l’an 800, cent vingt recommandations concises de Charlemagne aux gestionnaires des cités de l’empire carolingien écrites par un ensemble de sages. Trois recommandations concernent le jardinage
[4]Bretture : Outil de tailleur de pierre, façonné en forme de marteau tranchant et dentelé
[5] Boucharde : outil de tailleur de pierre, marteau à une ou deux têtes composées chacune d’un damier de pointes pyramidales dites en « pointe de diamants ».
Animalia
Les animaux domestiques sont environ quatre fois moins gros à l’époque médiévale que maintenant. La sélection est inexistante .Un mouton pèse 12 kilos, le petit cochon est véloce et dépasse rarement les 30 kilos. Un bœuf fait environ le poids d’un âne. Les animaux ne sont pas dangereux pour l’homme. La maisonnée médiévale vit à proximité de ses animaux.
Plantis
Dans le champ, souvent petit et cultivé deux ou trois fois avant d’être laissé à l’abandon, les céréales dominent, épeautre pour les galettes, avoine pour les chevaux, orge pour la cervoise. On y trouve aussi le sarrasin, ramené des croisades, qui pousse bien sur les sols pauvres et acides (pH 5,5) de Bretagne. Dans le jardin, les feuilles à cuire comme l’arroche, le chénopode, la roquette, le chou, le pourpier sont cultivées en complément du ramassage. Les racines sont aussi cultivées dans l’hortus[6] : navet, chou-rave, carotte, panais, oignon, poireau, ail et forment le gros de la culture. Les légumineuses sont présentes et appréciées du fait de la facilité de conservation : fève, pois lentille. Le verger qui fait office de cimetière est cultivé hors des murs. Les fruits sont âpres et consommés cuits : pommiers, pruniers, sorbier, néflier etc. Les arbres ou arbustes à fruits secs sont très appréciés : noyer, noisetier.
La vigne est cultivée sur tonnelles
La fève et les tonnelles support de la vigne
Les plantes dites ‘simples’ (sauge, fenouil, rose, rue, iris, cumin) utilisées comme remèdes sont cultivées en complément de la cueillette qui reste primordiale. On parle beaucoup de purges, de fièvre, d’humeurs, de sang et de plantes pour les femmes ou les blessures (plantes dites vulnéraires), des maux de ventre au sens large avec une prédilection pour les menthes ou la tanaisie. Hildegarde de Bingen en en est une spécialiste au XII ème siècle. La théorie des signatures de Paracelse[7] est en vogue, par exemple la noix qui ressemble au cerveau serait bonne pour cet organe ou la serpentaire contre les morsures des serpents. Les aspects magiques sont assez méconnus aujourd’hui mais bien présents dans l’inconscient populaire de l’époque avec l’utilisation de panacées, plantes à tout faire comme la petite pervenche, la bétoine, l’angélique, le souci, l’aristoloche, la joubarbe etc. Les plantes aromatiques sont précieuses, elles masquent le goût des viandes faisandées et elles relèvent les plats fades à défaut du sel qui reste cher. Le laurier sauce, la ciboule, l’ail, la livèche ou la moutarde sont très appréciés avant l’introduction des épices de l’Orient. Enfin les plantes textiles et les tinctoriales sont primordiales en dehors de la laine des moutons. Le lin et le chanvre sont tissés après rouissage et cardage. La gaude et le pastel sont utilisés comme teintures.
La cardère (utilisée pour le cardage) (à gauche) et le mélange floral (à droite)
Symbolico
La pensée se construit sur une symbolique qui intègre des interprétations plus anciennes, de l’antiquité, mythologique ou païenne. Mais le symbolisme chrétien domine, par exemple le lis blanc ramené des croisades évoque la vierge et l’œillet est associé à la crucifixion. Le jardin lui-même clos de murs représente le paradis et la poutre courbe qui surmonte l'entrée symbolise le ciel.. Le carré central de la source du paradis et les quatre carrés périphériques sont eux-mêmes divisés en huit parties pour arriver au nombre symbolique de quarante. La vigne fait partie des plantes à la connotation symbolique forte, comme la rose ou la pomme. Domaine de prédilection des femmes comme complément indispensable des nécessités vitales de base, le jardin est aussi le support d’un imaginaire d’harmonie, de douceurs et de sensualité. Le jardin médiéval est complet, son intention est de nourrir le corps et l’esprit et de cultiver l’espérance d’un monde meilleur en reliant la terre au ciel, l’aspect pratique et la beauté. Sur ses banquettes odoriférantes il invite à venir ‘conter fleurette’.
[6] Hortus : potager pour produire les plantes cuites au pot
[7] Paracelse : médecin Suisse du XVI ème siècle qui défendit la théorie dite des signatures
mars-avril 2013
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