Le jardin créole : un îlot dans l’archipel des biodiversités du monde
Modèle écologique et social, à la croisée de multiples influences, en vogue aujourd’hui, alors que l’on parle beaucoup de la transition écologique, le jardin créole présente un intérêt certain sous des latitudes où la biodiversité est, comme partout ailleurs, menacée.
Le jardin créole, à la croisée de multiples influences
Jardin « créole » dans la Caraïbe, bokay en Martinique, lakou en Haïti, il est encore omniprésent dans le paysage rural et culturel des Antilles. Produit d’une hybridation à la fois douloureuse et féconde entre les civilisations amérindiennes et la colonisation (Afrique, Europe, Inde, Chine…), le jardin créole raconte une histoire*. À la fois garde-manger, pharmacie, réservoir de biodiversité et de savoir-faire, il s’impose, par la diversité des espèces cultivées, la oexistence de différentes strates (des herbacées aux arbres) multifonctionnelles, comme source de résistance et d’inspiration, face à l’hubris consumériste des temps modernes (Figure n° 1).
Le jardin créole, un modèle écologique et social
Le jardin créole a fait l’objet de nombreux travaux qui sont bien synthétisés dans des ouvrages de référence(1). S’il revêt de multiples facettes en lien avec ses influences culturelles et les conditions pédoclimatiques dans lesquelles il est conduit, le biomimétisme, l’appropriation de la biodiversité et l’application des grands principes agroécologiques en constituent le socle commun (Figure n° 2).
L’agrobiodiversité est un de ses traits caractéristiques comme le démontre une enquête récente réalisée en Guadeloupe, témoignant de la mise en culture d’un nombre d’espèces végétales pouvant varier de 20 à 123 sur des surfaces inférieures à 2 000 m2 (Figure n° 3).
La coexistence de nombreuses espèces dans le jardin stabilise la production et répartit les risques pour le producteur. Comme dans une forêt, les espèces sont agencées de manière à occuper une « niche écologique » permettant leur coexistence et la facilitation de processus profitant à l’ensemble. Souvent associé à un petit élevage, ce qui constitue également un modèle de recyclage efficace des flux de matières(2).
Au-delà des aspects biologiques, le jardin créole procède d’une dimension sociale très active, s’exprimant aussi bien dans la transmission des savoir-faire traditionnels innovants, dans le partage et la diffusion des semences indigènes, que dans la promotion d’une culture de l’entraide Koudmen.
Le jardin créole à l’aune de la transition agroécologique
Souveraineté alimentaire, transitions agroécologique et alimentaire, adaptation au changement climatique vs consolidation de la résilience sont les défis qui nous sont aujourd’hui adressés, exacerbés par la crise du Covid-19 qui nous touche douloureusement. Plus que jamais, la réhabilitation de la biodiversité en agriculture, associée à la fourniture de services écosystémiques(3), est à l’ordre du jour. Le jardin créole, à l’instar de l’oasis au Maghreb, de la taungya en Asie, ou des fermes en permaculture en Europe, fait figure de poche de résistance face aux systèmes conventionnels intensifs. Il recèle de nombreux atouts et constitue une source d’inspiration originale pour la conception de systèmes agricoles de petite échelle à la biodiversité renforcée.
Harry Ozier-Lafontaine
Inrae UR Astro Domaine de Duclos Prise d’eau 97170 Petit-Bourg Guadeloupe (FWI)
Voir l’article de Stéphane Bellon dans ce Grand Angle (p. 24)
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
(1) Chamoiseau P., 1988. Chronique des sept misères. Gallimard Éd. 278 p.
(2) Degras L., 2015. Le jardin créole – Repères culturels, scientifiques et techniques. Éd. Jasor & Archipel des Sciences, Nouvelle Édition. 231 p. + Annexes.
(3) Ozier-Lafontaine H., 2012. Le jardin Créole, un modèle d’agroécologie. Inra Magazine n° 21. Reportage – Propos recueillis par Cécile Poulain. 2 p. https://www.fun-mooc.fr/c4x/Agreenium/66001S02/asset/jardin_creole.pdf