Le formidable voyage de la plante au médicament
Depuis des siècles, l’homme a utilisé les plantes médicinales pour se soigner. Les jardins des simples en témoignent. Avec l’avènement de la chimie et le développement des sciences, les substances chimiques purifiées ont remplacé les préparations des apothicaires. L’aspirine (étymologiquement « de la spirée ») a détrôné depuis un siècle la reine-des-prés (Filipendula ulmaria).
L’utilisation des plantes médicinales en thérapeutique se présente sous différentes formes, aspects et statuts : des médicaments allopathiques à base de molécules extraites et purifiées des plantes comme la digoxine (Digoxine Nativelle®), extraite des feuilles de digitale laineuse, ou la yohimbine (Yocoral®), extraite des écorces de l’arbre yohimbe ; des préparations à base de plantes comme l’extrait de rhizomes de petit houx (Cyclo 3®), l’extrait sélectif de feuilles de ginkgo (Ginkor fort®), l’extrait d’hydrocotyle (Madecassol®) ou celui des fruits du palmier de Floride (Permixon®); des médicaments traditionnels à base de plantes : sous forme de mélanges de plantes pour tisanes (Boldoflorine® ou Mediflor®), sous forme de gélules de poudre de plantes, gamme Arkogélules® (Busserole, eschscholtzia, harpagophytum, etc.), d’extraits secs, gamme Elusanes® (Boldo, fumeterre, millepertuis, etc.) ou encore à base d’huiles essentielles (Gouttes aux essences®); des remèdes homéopathiques unitaires comme Arnica, Belladona, Sanguinaria, Rhus toxicodendron (sumac vénéneux) ou complexes comme L72® (Lehning); des préparations officinales, tels les mélanges de plantes pour préparation de tisanes, réalisés en pharmacie selon les prescriptions de la pharmacopée.
Pharmacognosie, ethnopharmacologie et profil phytochimique
La pharmacognosie (connaissance des substances pharmaceutiques) étudie les sources des drogues naturelles et leurs principes actifs. Elle se distingue maintenant de la pharmacie chimique avec les substances de synthèse. La pharmacognosie est une discipline d’interface entre la botanique, la chimie, les sciences biologiques et la pharmacologie.
Dans le prolongement de l’ethnobotanique, l’ethnopharmacologie recense les usages traditionnels des plantes pour se soigner. L’identification botanique de ces plantes au-delà de leur dénomination vernaculaire est la suite indispensable, mais parfois délicate, ce qui peut conduire à une spécialisation comme les rubologues pour les ronces (spécialistes des espèces du genre Rubus). Au-delà des sous-espèces, des variétés et cultivars, les progrès en biotechnologie végétale ont conduit à nombre d’hybrides, clones et chémotypes (1*).
Les falsifications et confusions peuvent être détectées par le codage génétique, comme c’est le cas pour différencier Harpagophytum zeyheri d’H. procumbens. Laissons les OGM de côté et imaginons les potentialités de mutations provoquées par les rayonnements ionisants ou les substances chimiques mutagènes…
La détermination du profil phytochimique est la troisième étape. Le principe repose sur l’extraction, suivie d’une séparation des constituants (techniques chromatographiques souvent) puis la caractérisation par les techniques de chimie structurale (spectrométrie IR, UV, de masse, RMN, etc.).
La dernière étape concerne l’évaluation des propriétés biologiques, tant sur les fractions extractives que sur les composés phytochimiques isolés. Les études in vitro sur modèles biochimiques ou cellulaires sont complétées par des études ex vivo ou sur modèles animaux. Les études de toxicité (aiguë, chronique et de génotoxicité) sont indispensables dans notre ère, devenue très sécuritaire. On s’intéresse ainsi au cytochrome P450, avec en filigrane le risque d’interactions médicamenteuses (effet inducteur enzymatique du millepertuis ou inhibiteur du pamplemousse…). L’attention se focalise de plus en plus sur le rôle du microbiote et de l’ensemble des métabolites en résultant, ou métabolome.
Lorsque l’efficacité est prometteuse et que l’évaluation de la sécurité est jugée satisfaisante, autrement dit en cas de rapport bénéfice/risque positif, le développement galénique, ou mise en forme pharmaceutique, commence. Le choix d’un traceur ou d’un marqueur de qualité devient un élément clé puisqu’il conditionne l’évaluation de la biodisponibilité et le suivi de la stabilité.
Procédure pour obtenir une AMM
Concernant les préparations à base de plantes, les essais cliniques sont souvent limités et les méta-analyses plutôt rares. À ce niveau, il convient de distinguer les médicaments qui font l’objet d’un dossier d’autorisation de mise sur le marché (AMM) normal des médicaments traditionnels à base de plantes pour lesquels un dossier d’AMM dit « allégé » est suffisant. Dans le premier cas, des essais cliniques sont exigés, alors que, dans le second, un dossier bibliographique pharmaco-clinique et toxicologique est généralement suffisant. Le principe est basé sur la reconnaissance de la tradition (plus de trente ans de commercialisation sur le marché) comme gage de l’innocuité et de l’activité.
C’est la théorie. Car, en pratique, il n’y a quasiment plus de médicaments à base de plantes objets de dossiers complets mais essentiellement des dépôts de dossier dits « allégés ». Les études cliniques nécessitent des budgets importants et des délais conséquents. La démonstration d’une efficacité thérapeutique est beaucoup plus difficile sur un mélange complexe de constituants. Enfin, les substances naturelles présentent les défauts de leurs qualités : ce qui est naturel appartenant à l’humanité (c’est-à-dire à tous) est donc associé à un faible niveau de protection industrielle. Pour toutes ces raisons, les laboratoires pharmaceutiques préfèrent les substances de synthèse protégées par un brevet.
Une autre distinction: l’activité des médicaments constitués de substance purifiée (une seule le plus souvent) relève d’une approche essentiellement pharmacologique (allopathie), alors qu’en phytothérapie, l’activité repose sur le spectre de propriétés biologiques du « totum »(2*). L’efficacité thérapeutique est la résultante des interactions et des effets multi-cibles des différents constituants phytochimiques (3*). L’activité physiologique du thé ne peut être réduite à la seule activité de la caféine.
La présence de tanins contribue à moduler la cinétique et la biodisponibilité de cette substance psychoactive. Des formes de complexation entre tanins et caféine sont décrites. Il y a une grande disparité entre les pays : plusieurs centaines de médicaments à base de plantes sont disponibles dans les pays anglo-saxons contre quelques dizaines seulement en France. Depuis une dizaine d’années et l’avènement de la nutraceutique (4*), nombre de médicaments à base de plantes ont perdu leur statut et sont maintenant commercialisés en tant que compléments alimentaires.
De la plante au médicament, on assiste à un formidable voyage dans l’univers des sciences de la vie. Certes, l’évolution sociétale pousse à une remise en cause du caractère médicinal de nombre de plantes : le physiologique remplace le pharmacologique et l’on achète des compléments alimentaires plutôt que des médicaments. À l’heure des changements de paradigme entre nutrition et santé, la problématique de la justification des allégations santé reste entière : davantage de science et un peu moins d’excès marketing.
Loïc Bureau
Docteur en pharmacie, professeur associé, Faculté des sciences biologiques et pharmaceutiques, Université Rennes 1, fondateur et directeur de l’Institut de formation des acteurs de santé (Ifas), Le Mans
(1*) Sortes de « races chimiques » que l’on peut considérer comme des écotypes.
(2*) Le « totum » peut être défini comme l’ensemble des constituants qui participent à l’activité.
(3*) Par phytochimique, il faut comprendre micro-constituants du métabolisme secondaire des végétaux (flavonoïdes, anthocyanes, lignanes, terpènes, caroténoïdes, etc.).
(4*) Substances naturelles des aliments à visée médicale.