Le Conservatoire des Camellia préserve et développe les collections
À Gaujacq, dans les Landes, le Conservatoire des Camellia et le Plantarium (le jardin botanique attenant) renferment notamment 2 000 taxons de Camellia. Introduire, multiplier, étudier, conserver, créer sont quelques-unes des missions que s’est fixées Jean Thoby, pour le plus grand bonheur des visiteurs comme des passionnés.
Le métier de pépiniériste a beaucoup évolué. Au début des grandes introductions des XVII et XVIIIe siècles, l’idée principale était d’acclimater des végétaux, de les observer et de les multiplier. Pendant longtemps, ce sens premier fut un âge d’or où des fortunes se sont faites. Puis dès 1900, les productions sont devenues plus importantes. À partir de 1970, les cultures sous abri se sont développées. En 2023, la mécanisation est généralisée chez beaucoup de producteurs. Cette évolution constante ne laisse que peu de temps à l’introduction, à l’étude et à la conservation du règne végétal, alors que cela en est l’essence.
Aujourd’hui, il y a une perte de diversité, nécessitant plus que jamais de conserver ce qui est. Si l’histoire de la famille Thoby à Nantes (Loire-Atlantique) est bien connue, elle continue de plus belle, mais différemment, surtout depuis 2007, date d’un grand changement. En effet, l’expropriation de nos terrains historiques de Carquefou a complètement changé la donne, et nous avons décidé, Frédérique et moi, de revenir à l’essentiel du métier, celui d’introduire, de multiplier, d’étudier, de conserver, de créer, en intégrant la collection de Camellia de Nantes et autres diversités sur le site de Gaujacq, en Chalosse (Landes), où nous avions établi dès 1985, à peine âgés de 22 et 24 ans, le jardin botanique nommé Plantarium et la pépinière botanique. À ce jour les jardins comptent 2 000 taxons de Camellia, ce qui constitue la moitié des collections existantes.
Une collection qui bouge et évolue
Notre collection de Camellia prend source en 1850 grâce à Henri Guichard. Le premier catalogue datant de 1864 indique clairement la spécialité, il présente 264 taxons ! Son fils Henri Guichard renforce l’aura de la maison grâce à l’Exposition universelle de 1900 à Paris. Puis ses filles prennent le relais, et des exportations se font à travers le monde, vers l’Iran, la Syrie, l’Irak, la Jordanie, le Maroc, la Californie, le Brésil, les États-Unis… et, bien sûr, à travers toute l’Europe.
En 1954, mes parents, Claude et Anne Thoby, achètent et transposent les cultures Guichard sur le site de Carquefou. S’établir dans le Sud-Ouest, de 1978 à 1982, a été la volonté de Paul Maymou, célèbre pépiniériste de Bayonne qui m’a beaucoup appris, et dès mon jeune âge, à considérer les végétaux aussi par leur sensibilité. Cette approche était nouvelle. Jusqu’alors, pour moi, les plantes étaient un peu des « objets » que l’on multipliait suivant un calendrier type et immuable. En 1985, nous nous installons à Gaujacq grâce à un bail emphytéotique. Ces baux de 99 ans, très utilisés par les jardins botaniques anglais, ne le sont quasiment pas en France.
De 1997 à 2007, c’est la période nantaise, marquée par une évolution des cultures, vers une diversité qui allait un peu à l’inverse de nos collègues, mais qui nous a permis de beaux développements, comme la fourniture au Japon des cultivars français, ou de commencer des multiplications importantes des Camellia sinensis, pour la Bretagne tout d’abord, mais aussi l’Angleterre. C’est l’apogée, avec 30 hectares de cultures et plus d’un million de Camellia en production !
De 2007 à 2009, ce qui fut, au début, un choix « douloureux », celui d’arrêter toutes les ventes aux professionnels, se transforma vite en une opportunité pour revenir au cœur de notre métier. À partir de 2012, nous pouvons consacrer plus de temps au jardin, à la sélection, à l’introduction. Nous commençons en outre à nous intéresser aux travaux de Joël Sternheimer, une belle découverte. Nous découvrons ainsi l’importance de l’activité électrique d’un végétal. En connectant plusieurs sources scientifiques, nous avons pu découvrir d’autres fonctions surprenantes : « Le chant secret des plantes » (1*).
La collection de Camellia
Depuis 1980, Jean-Claude Rosmann travaillait l’hybridation des Camellia à Bayonne puis au Plantarium. Nous avons pu participer financièrement à deux de ses voyages au Vietnam, où il a pu retrouver Camellia petelotii, alors considéré perdu, découvrir le Camellia rosmannii et bien d’autres. Ces espèces ont été implantées au sein des jardins botaniques du Vietnam et un duplicata a été donné au Jardin botanique de Brest. En dehors de l’origine historique, l’augmentation des collections continue. Nous travaillons sur certaines sélections, notamment par rapport à notre climat, sur des Camellia aimant la grande chaleur. En 1996, grâce à l’obtention de la bourse Nuffield, j’ai pu largement voyager sur les cinq continents, ce qui a favorisé les échanges avec des collègues japonais. J’ai visité, en Australie, la fameuse pépinière Paradise de Bob Cherry et, dès 1998, nous avons commencé la multiplication de ses obtentions.
Les diverses introductions donnent la collection d’aujourd’hui, répartie sur 5 hectares, dont 2 hectares, ne sont pas encore ouverts à la visite. Le tout est cultivé sous label AB. La collection continue de s’enrichir, un programme plus spécifique étant dédié aux espèces botaniques. En effet, perdre un cultivar est dommage, mais nous pourrions le refaire à peu près ressemblant. À l’inverse, perdre une espèce botanique après des millions d’années d’évolution constitue une perte inestimable.
Chanel : un partenariat fructueux
En 1997, la Maison Chanel nous a proposé une collaboration avec ses scientifiques pour la valorisation cosmétique des Camellia, ce que nous avons tout de suite accepté. Une première culture est née à partir du Camellia japonica ‘Alba Plena’. Lorsque Chanel a révélé le potentiel cosmétique de ce cultivar, nous nous sommes assurés de la montée en puissance de sa production. Désormais, la ferme aux Camellia de Chanel, à moins de deux kilomètres du Jardin, cultive 70 hectares dont 40 sont consacrés aux Camellia oleifera. L’ensemble est labellisé AB et est cultivé en agroécologie, en particulier en agroforesterie, sous la houlette du chef d’exploitation Philippe Grandry.
Grâce à ce partenariat, nous sommes désormais sûrs que le Camellia japonica ‘Alba Plena’, délaissé par le secteur horticole, sera sauvegardé. Ceci illustre à souhait l’intérêt de maintenir des collections végétales vivantes sur nos terres françaises. Le laboratoire Chanel est implanté au milieu des cultures de Camellia, ce qui permet de les observer dans leur environnement naturel et d’évaluer leurs atouts. « Notre présence accrue sur le terrain et notre expertise scientifique nous donnent un point de vue unique sur le potentiel de la nature au service de la beauté », précise Nicolas Fuzzati, directeur innovation et développement ingrédients cosmétiques. Il s’agit donc d’une forme de dialogue encore rare entre les scientifiques et les producteurs de plantes.
Les comparaisons entre plantes séchées ou fraîches, et entre fleurs ou feuilles sont essentielles afin d’identifier les sources les plus prometteuses de molécules actives, sources d’innovation. Les programmes actuels vont dans le sens d’une augmentation de la diversité au sein du Plantarium, en Camellia majoritairement, mais aussi avec une belle complémentarité notamment en introduisant des collections.
Jean Thoby
Plantarium Domaine de Gaujac
(1*) Editions Rustica 2022