Le CNPMAI pour conserver les plantes à parfum, médicinales et aromatiques
Le Conservatoire national des plantes à parfum, médicinales et aromatiques (CNPMAI) a été créé en 1987, dans le bassin historique de production de plantes médicinales que représente Milly-la-Forêt (Essonne). Organisme technique de recherche agronomique appliquée adossé à l’Iteipmai (1*), son rôle se situe en amont du travail de recherche de l’Institut, autour de la conservation et la valorisation du patrimoine végétal pour la filière. Les objectifs et enjeux de la conservation des ressources génétiques, telle qu’elle est pratiquée par le Conservatoire national des plantes, sont pluriels.
Conserver des ressources génétiques pour les agriculteurs
La filière plantes à parfum, aromatiques et médicinales (PPAM) se caractérise, par rapport à d’autres filières agricoles, par sa taille modeste (2*), mais également par la multiplicité des espèces qu’elle renferme. En effet, environ 120 PPAM sont cultivées en France (FranceAgriMer, 2022), et plus de 700 seraient cueillies dans la nature (Lescure JP, 2018). Certaines espèces peuvent être indifféremment cultivées ou cueillies, en fonction des besoins, des critères de qualité, de l’abondance de la ressource sauvage et de la difficulté de leur mise en culture. Une autre caractéristique de cette filière est que l’on cultive ces plantes non pas pour l’alimentation, mais pour les « métabolites secondaires » qu’elles renferment. Ils représentent par exclusion les composés qui n’appartiennent pas au métabolisme primaire de la plante, à savoir la nutrition, la croissance, la reproduction. Les métabolites secondaires peuvent aussi bien être utiles à la plante pour se défendre contre les pathogènes et prédateurs que pour communiquer (avec d’autres plantes, des champignons, des insectes)… Le panel des usages par la plante est très vaste et encore à découvrir. Les métabolites secondaires sont les principes actifs qui confèrent aux PPAM leurs étonnantes propriétés.
Lorsqu’on cultive les PPAM, on recherche les variétés les plus productives possible en principes actifs. C’est pourquoi, lors de l’évaluation variétale, phase amont du travail de création variétale, le volet phytochimique est particulièrement important et passe par une étape d’extraction et d’analyse. Ces étapes nécessitent un matériel et des compétences particulières mais également de l’espace et du temps. Ce sont donc des procédés particulièrement coûteux, alors même que ces espèces se cultivent sur de petites surfaces, ce qui limite les possibilités de retour sur investissement. Cela explique pourquoi aucun sélectionneur privé ni public ne s’est spécialisé dans la sélection variétale des PPAM. On peut dire que la filière PPAM est « orpheline » en termes de sélection variétale comparée à d’autres filières végétales comme les grandes cultures, l’arboriculture, la viticulture…
Par ailleurs, la filière est relativement jeune : elle s’est structurée au tournant du XXe siècle et les premières variétés ont été développées dans la seconde partie de ce même siècle. La majorité des plantes aromatiques et médicinales étaient auparavant soit cultivées sur de petites parcelles, soit cueillies.
Une filière jeune et de nombreuses collaborations
Les « gains génétiques » à l’issue du travail de création varié- tale sont donc remarquables. À titre d’exemple, sur la digitale laineuse (Digitalis lanata Ehrh.), l’une des premières espèces pour lesquelles l’Iteipmai a créé une variété (travaux démarrés en 1985), la teneur en digoxine, le principe actif recherché dans le type sauvage, est multipliée par quatre dans la variété développée.
C’est dans ce contexte que le réseau d’organismes techniques au service de la filière PPAM, le « Réseau PPAM » ayant comme tête de file l’Iteipmai, et comme partenaires le Crieppam (3*), la Chambre d’agriculture de la Drôme et le Conservatoire national des plantes, s’est spécialisé entre autres dans la création variétale. Le Conservatoire approvisionne en diversité génétique les programmes de création variétale de ses partenaires par des prospections dans la nature ou par des recherches auprès de structures homologues en France et dans le monde. Puis il met en culture les accessions collectées et mène des travaux de préévaluation dans lesquels la teneur et le rendement en huile essentielle, ainsi que la qualité chimique, sont étudiés. Le matériel végétal ainsi que les données associées sont ensuite utilisés dans les programmes de sélection du Réseau PPAM et ont permis la création de variétés pour une quinzaine de genres et espèces prioritaires comme la lavande, le thym, la sauge.
Des formes de conservation multiples
Le Conservatoire maintient des collections sous forme de plants pour les clones « élites » ou pour les parents des variétés, qui remplissent sept tablettes sur une serre bitunnel arrosée au goutte-à-goutte, et plusieurs rangs dans une parcelle en pleine terre. Les populations issues de prospections sont conservées sous forme de semences dans des congélateurs à -18 °C. Les collections du Conservatoire représentent près de 3 000 accessions sous forme de semences, et 800 sous forme de plants, avec 4 individus par accession pour les plants. Les collections de lavande et d’origan sont reconnues comme un patrimoine national par le label CCVS (4*).
La conservation des collections génétiques exige des connaissances sur les différentes espèces (botaniques mais également agronomiques et horticoles), de la rigueur pour éviter les mélanges entre accessions et un soin quotidien pour ne pas en perdre. En 2020, un guide des bonnes pratiques de conservation et multiplication des ressources génétiques a été élaboré par les partenaires du Réseau PPAM avec une harmonisation des pratiques de conservation et de traçabilité qui a permis un gain de temps, d’efficacité et une meilleure valorisation des collections, auprès du Réseau PPAM, mais également auprès d’entreprises privées de la filière dans le cadre de programmes de screening pour identifier des sources intéressantes d’actifs végétaux par exemple.
Conserver des ressources botaniques pour répondre aux usages d’aujourd’hui et de demain
En plus du travail sur les collections génétiques pour approvisionner les programmes de sélection variétale de ses partenaires, le Conservatoire des plantes mène un travail de jardin botanique. Partenaire du réseau d’échange de semences des jardins botaniques, il édite un Index seminum et acquiert chaque année de nouvelles espèces ou variétés botaniques par échanges avec des jardins botaniques. La prospection dans la nature est également un moyen pour diversifier les collections botaniques. Ces espèces sont mises en culture dans la « Grande Collection », sur des parcelles d’un mètre carré cultivées en bio avec une organisation thématique (plantes à parfum, tinctoriales, aromatiques) ou biogéographique (par milieu ou par grande région d’origine).
L’objectif est avant tout pédagogique et scientifique, car les collections sont ouvertes au public, assorties d’un musée qui a été mis en place dans un ancien séchoir à plantes de 100 mètres de long. Elles font l’objet de visites guidées et sont également le support de stages, ateliers et animations pour petits et grands. Ce travail est encore très différent du travail de conservation génétique. Il nécessite des compétences en botanique, horticulture mais également en communication, médiation, pédagogie et développement touristique. La connaissance fine du Protocole de Nagoya, concernant l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation (APA), a également été un prérequis pour maintenir et développer ces collections. En effet, elles peuvent faire l’objet de travaux de R&D par des entreprises de la filière PPAM, dans le cadre d’un respect strict des règles de partage des avantages.
Conserver des plantes rares pour sauvegarder un patrimoine fragile
Enfin le Conservatoire tente de participer de différentes manières à la préservation de la biodiversité sauvage en plantes à parfum, aromatiques et médicinales. La conservation prend ici son sens le plus large. Il s’agit d’accompagner les professionnels de la filière « cueillette de plantes sauvages » dans leur démarche de structuration et de bonnes pratiques.
Le Conservatoire a contribué à la création de l’Association française des cueilleurs professionnels de plantes sauvages (AFC) et continue d’héberger son siège social.
Un guide des bonnes pratiques de la cueillette assorti de livrets techniques par plante a été édité par l’as sociation, à destination des cueilleurs professionnels.
Une formation a été mise en place conjointement entre le Conservatoire et l’AFC afin de sensibiliser également les entreprises utilisatrices de plantes sauvages à l’impact de leurs pratiques sur la ressource et de favoriser des pratiques d’achat durable de plantes sauvages.
Le Conservatoire contribue également à la préservation de la ressource sauvage par le développement de programmes de mise en culture de plantes sauvages menacées. Il a par exemple mené des travaux sur Arnica montana L. qui ont abouti à un itinéraire de culture à destination des producteurs. Il conserve une centaine d’espèces rares ou menacées dans un jardin ouvert au public, et récolte chaque année les semences issues de ce jardin afin de disposer de matériel végétal de base pour favoriser la mise en culture en cas de besoin. On parle alors de conservation « ex situ ».
Enfin, en lien avec le Conservatoire botanique national du bassin parisien (CBN BP), le Conservatoire des plantes de Milly amplifie des lots d’espèces de messicoles (plantes annuelles habitant dans les champs de céréales d’hiver) rares ou menacées. L’objectif est de multiplier des lots sélectionnés rigoureusement par le CBN BP afin de pouvoir les réimplanter dans leur milieu sauvage, et de renforcer ainsi les populations lorsqu’elles se fragilisent. Il s’agit de conservation « in situ ».
À la croisée des mondes entre le sauvage et le cultivé, l’agriculture et l’environnement, le Conservatoire national des plantes à parfum, médicinales et aromatiques se veut un lieu de médiation et de partage, préservant les richesses végétales d’hier et d’aujourd’hui pour mieux répondre aux enjeux à venir.
Agnès le Men
Ingénieure agronome, directrice du Conservatoire national des plantes à parfum, médicinales et aromatiques de Milly-la-Forêt
https://www.cnpmai.net/fr/
(1*) Institut technique de la filière plantes à parfum, aromatiques et médicinales (PPAM).
(2*) Les PPAM sont cultivées sur une surface de 67 000 hectares en 2021, soit moins de 1 % des terres arables françaises.
(3*) Centre de recherche appliquée au service des producteurs de plantes à parfum et aromatiques méditerranéennes.
(4*) Conservatoire des collections végétales spécialisées.
Bibliographie
FranceAgriMer. 2022. La filière française des plantes à parfum, aromatiques et médicinales, chiffres clefs 2021. 2022.
2021. Marché des plantes à parfum, aromatiques et médicinales, Panorama 2020. 2021.
Lescure JP, Thévenin T, Garreta R & Morisson B. Les plantes faisant l’objet de cueillettes commerciales sur le territoire métropolitain. Une liste commentée. Le Monde des Plantes. 2018